Histoire du cinéma canadien: cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd'hui | l'Encyclopédie Canadienne

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Histoire du cinéma canadien: cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd'hui

Le cinéma est une forme puissante d’expression culturelle et artistique. C’est aussi une entreprise commerciale très rentable. D’un point de vue pratique, le cinéma est une entreprise impliquant de grosses sommes d’argent, ainsi qu’une division complexe du travail. La main-d’œuvre est impliquée dans trois secteurs: la production, la distribution et l’exploitation. L’histoire de l’industrie canadienne du film est tissée de réussites sporadiques, accomplies dans l’isolement et en dépit de défis considérables. Le cinéma canadien existe dans un environnement où l’accès au capital pour la production, l’accès au marché pour la distribution et aux salles de cinéma pour l’exploitation est extrêmement difficile. L’industrie cinématographique canadienne, en particulier au Canada anglais, lutte contre le monopole du divertissement hollywoodien pour attirer l’attention d’un public qui reste largement indifférent à l’industrie nationale. Les principaux points de vente et de distribution au Canada sont détenus et contrôlés par des intérêts étrangers. L’absence de production nationale à travers une grande partie de l’histoire de l’industrie ne peut être comprise que dans ce contexte économique.

Cet article est l’un des quatre articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Canada. La série complète comprend :Histoire du cinéma canadien: de 1896 à 1938; Histoire du cinéma canadien: de 1939 à 1973;Histoire du cinéma canadien: de 1974 à aujourd’hui; Histoire du cinéma canadien: cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd’hui.

Atom Egoyan
Atom Egoyan sur le plateau d’Exotica. Cérébral et non conformiste, Atom Egoyan compte parmi les cinéastes les plus influents et adulés de la « Nouvelle Vague torontoise ».

Voir aussi : Cinéma québécois : de 1896 à 1969 ; Cinéma québécois : de 1970 à 1989 ; Cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui ; 30 Key Events in Canadian Film History; L’histoire du cinéma canadien en 10 étapes faciles ; Cinéma documentaire ;  Cinéma d’animation ; Cinéma expérimental ; La distribution de films au Canada ;  Les 10 meilleurs films canadiens de tous les temps ; English Canadian Films: Why No One Sees ThemOffice national du film du Canada ;  Téléfilm Canada ; Longs métrages canadiens  ; Enseignement du cinéma ; Festivals du film ;  Censure cinématographique ; Coopératives du film ; Cinémathèque Québécoise ;  L’art de la production cinématographique.

Coopératives cinématographiques, agences de financement et croissance du cinéma régional

À partir du début des années 1970, les coopératives du film régionales, comme la Toronto Filmmakers Co-op (1971 à 1979), la Atlantic Filmmakers Cooperative de Halifax (1974 à aujourd’hui) et le Winnipeg Film Group (1974 à aujourd’hui), commencent à former de jeunes cinéastes qui demeurent dévoués au concept du cinéma culturel. Du début des années 1980 à la fin des années 1990, une génération de cinéastes indépendants et talentueux commence à émerger. Ils reçoivent le soutien d’organismes de financement provinciaux qui sont mis en place au milieu des années 1980.

Ontario

En 1986, la Ontario Film Development Corporation (OFDC) ouvre ses portes. La OFDC rejette le modèle de produits d’exportation de l’ère des abris fiscaux. Elle soutient plutôt les nouveaux scénaristes-réalisateurs qui ont des visions personnelles distinctes. La OFDC connaît un succès immédiat avec le film I’ve Heard the Mermaids Singing (Le chant des sirènes) (1987) de Patricia Rozema. Celle-ci gagne le Prix de la Jeunesse au Festival de Cannes, et devient la chouchou de la critique internationale.

La OFDC devient un modèle pour les autres agences provinciales qui suivent son exemple. Une confiance retrouvée entraîne une multitude de productions indépendantes à petit budget à travers le pays. Ceci est une évolution importante. Auparavant, la production était considérablement limitée aux centres métropolitains de Montréal et de Toronto, avec quelques exceptions notables. Maintenant, la production émerge de toutes les régions du pays.        

Sheila McCarthy dans I’ve Heard the Mermaids Singing
Réalisé avec un budget d’environ 350 000 $ et générant des recettes brutes de plus de 6 millions de dollars dans le monde entier, le film compte parmi les plus rentables jamais réalisés au Canada. Mermaids encourage la poursuite d’une démarche artistique authentique et appuie le cinéma d’auteur, un style trop rare en cette ère des abris fiscaux.

Colombie-Britannique

Sandy Wilson connaît un succès à New York avec My American Cousin (Mon cousin américain) (1985), une charmante histoire sur le passage à l’âge adulte se déroulant dans la vallée de l’Okanagan en Colombie-Britannique, durant les années 1950. Elle poursuit avec une suite moins réussie, American Boyfriends (1989) ainsi que le film « western » de musique country Harmony Cats (1992). Les films de Sandy Wilson, en suivant de près le film The Grey Fox (1982) de Phillip Borso, injectent une nouvelle énergie dans le milieu du cinéma national de Vancouver. Patricia Gruben, une réalisatrice de cinéma expérimental, obtient du succès avec ses trois longs métrages idiosyncrasiques : Low Visibility (1984), Deep Sleep (1990) and Ley Lines (1993).

D’autres femmes cinéastes renommées émergent avec leurs propres visions distinctes. Le ravissant film de Mina Shum Double Happiness (Bonheur aigre-doux) (1994), capture le dilemme d’une jeune femme canadienne d’origine chinoise (Sandra Oh) qui tente d’échapper aux traditions de sa famille conservatrice. La talentueuse nouvelle venue Lynne Stopkewich accomplit une adaptation très réussie d’une nouvelle de Barbara Gowdy avec son premier long métrage Kissed (1996). Ce sombre film romantique met l’accent sur la vie d’une jeune nécrophile (Molly Parker) et fait sensation au Sundance Film Festival ainsi qu’au Festival international du film de Toronto (TIFF).

Également à Vancouver, John Pozer réalise un très original premier long métrage, l’excentrique The Grocer’s Wife (1991), suivi de The Michelle Apartments (1995). Depuis le milieu des années 1990, Bruce Sweeney, de Vancouver, s’impose avec un ensemble d’œuvres impressionnant traitant des relations hommes-femmes. Ces œuvres comprennent Live Bait (1995), Dirty (1998), Last Wedding (2001), American Venus (2007), Excited (2009) et Kingsway (2018). À travers les années 2000, Carl Besai réalise en moyenne un film par année, incluant la trilogie sur les dynamiques familiales, Mothers & Daughters (2008), Fathers & Sons (2010) et Sisters & Brothers (2011).

Sandra Oh
Sandra Oh, depuis la sortie des films « Diary of Evelyn Lau » et « Double Happiness », apparaît comme l'actrice canadienne la plus prometteuse de sa génération.

Provinces des Prairies

Les Prairies sont également témoins d’un bon nombre de films très intéressants. Plus particulièrement, Anne Wheeler fait ses débuts avec le puissant drame familial Loyalties (1986). Elle poursuit avec Bye Bye Blues (1989), un conte fantasque et sentimental racontant l’histoire d’une chanteuse (Rebecca Jenkins) qui se trace un chemin durant la Deuxième Guerre mondiale, ainsi que The War Between Us (1995), Better Than Chocolate (1999) et Suddenly Naked (2001). Durant les années 1990, Gary Burns émerge de Calgary avec son trio de comédies banlieusardes branchées : The Suburbanators (1996), Kitchen Party (1998) and waydowntown (2000).

La production probablement la plus originale provient d’un groupe d’anciens élèves du Wnnipeg Film Group. Après s’être mouillé les pieds avec des courts métrages, ils passent à la formule plus longue. John Paiz ouvre la voie avec Crime Wave (1995), un film loué par la critique, mais très peu vu. C’est en fait Guy Maddin qui se crée une réputation internationale. Son style très individualiste conjugue les conventions du film muet, l’humour ironique ainsi qu’un goût postmoderne pour le choquant. Ses films les plus remarqués incluent Tales from the Gimli Hospital (1988), Archangel (1990), le brillant Careful (1992), Twilight of the Ice Nymphs (1997), et le largement reconnu The Heart of the World (2000), The Saddest Music in the World (2004), My Winnipeg (2007), Keyhole (2011) et The Forbidden Room (2015). Son ensemble d’œuvres remarquablement homogène lui vaut une audience internationale culte.

Guy Maddin
Le cinéaste Guy Maddin, sur le plateau de tournage de son film « The Saddest Music in the World ».

Canada atlantique

Venant de la côte Est, la vision la plus singulière appartient à William D. MacGillivray. Il s’inspire constamment de ses racines de la Nouvelle-Écosse et il explore la relation entre l’art et la vie. Son premier drame est Aerial View (1979) d’une durée d’une heure. C’est un prélude aux études plus ambitieuses menées dans ses longs métrages Stations (1983), Life Classes (1987), Vacant Lot (1989) et Understanding Bliss (1990). William D. MacGillivray explore des thèmes semblables dans ses documentaires I Will Make No More Boring Art (1988), For Generations to Come (1994), Reading Alistair MacLeod (2005), The Man of a Thousand Songs (2010), sur le chanteur folk Ron Hynes, et Danny (2015), sur l’ancien Premier Ministre provincial de Terre-Neuve Danny Williams. Mike Jones, de St.John’s, s’inspire d’une tradition comique d’humour local avec The Adventures of Faustus Bidgood (1986) et Secret Nation (1992). Le dramaturge accompli Daniel MacIvor fait plusieurs incursions réussies dans le monde du long métrage. Il écrit Marion Bridge (2002) de Wiebke von Carolsfeld, Trigger (2010) de Bruce McDonald et Weirdos (2017). Il écrit et réalise également Past Perfect (2002) et Wilby Wonderful (2004). Un autre cinéaste notable de la région est Paul Donovan. Il se taille une carrière réussie en réalisant des comédies plus commerciales comme Buried on Sunday (1993) et Paint Cans (1994).       

William D. MacGillivray

Québec

Le cinéma québécois émerge du marasme de la fin des années 1970 et du début des années 1980 avec Maria Chapdelaine (1983) de Gilles Carle. Denis Arcand monte en flèche sur l’échelle internationale avec les très acclamés Le déclin de l’empire américain (1986) et Jésus de Montréal (1989), tous deux étant en nomination pour l’Oscar du meilleur film de langue étrangère. Il gagne cet Oscar en 2004 avec Les invasions barbares (2003). (voir aussi : Les dix meilleurs films canadiens de tous les temps)

Parmi les autres réalisateurs de l’ancienne garde qui ont créé des œuvres notoires, on retrouve Jacques Leduc Trois pommes à côté du sommeil (1988) ; La vie fantôme (1992), André Forcier Kalamazoo (1988) ; Une histoire inventée (1990) ; Le vent du Wyoming (1994), et Anne Claire Poirier Tu as crié Let Me Go (1997). Le metteur en scène de théâtre chevronné Robert Lepage fait aussi une transition bien accueillie vers le cinéma avec Le confessionnal (1995) et Le polygraphe (1996). Il donne suite à ces succès avec  (1998), La face cachée de la lune (2003) et Triptyque (2013).

Également dans les années 1980, le Québec voit l’avènement d’un bon nombre de nouveaux réalisateurs prometteurs : Micheline Lanctôt, L’homme à tout faire (1980) ; Sonatine (1984) ; Deux actrices (1993) ; Le piège d’Issoudun (2003) ; Pour l’amour de Dieu (2011). Paule Baillargeon La cuisine rouge (1980) ; Sonia (1986) ; Le Sexe des étoiles (1993). Yves Simoneau, Pouvoir intime (1981) ; Dans le ventre du dragon (1989) ; Perfectly Normal (1991). Léa Pool, Anne Trister (1986) ; À corps perdu (1988) ; Mouvements du désir (1994) ; Emporte-moi (1999) ; Maman est chez le coiffeur (2008) ; La passion d’Augustine (2015). Pierre Falardeau, Elvis Gratton (1985) ; Octobre (1994) ; 15 février 1839 (2001). Et Jean-Claude Lauzon, qui a réalisé deux films d’une qualité audacieuse, Un zoo, la nuit (1987) et Léolo (1992) avant de mourir dans l’écrasement de son avion en 1997.

Jean-Claude Lauzon (à droite) sur le plateau de Léolo
Souvent considéré comme l’enfant terrible du cinéma québécois, Jean-Claude Lauzon, issu d’un milieu très défavorisé, fait une carrière éclair et apparaît comme l’un des cinéastes les plus doués du Canada.

La fin des années 1990 voit la montée du cinéma commercial au Québec. La comédie sur le hockey Les boys (1997) est un des plus gros succès nationaux de l’histoire du film canadien, rapportant plus de 6 millions $, presque exclusivement au Québec. Les suites, Les boys II (1998) et Les boys III (2001) sont tous aussi populaires, tout comme le succès aux guichets La grande séduction (2003) de Jean-François Pouliot.

Au cours des années 1990, une nouvelle génération de réalisateurs apparaît, avec ses innovations personnelles et audacieuses. On y trouve : François Girard, 32 Short Films About Glenn Gould (1993) ; The Red Violin (Le violon rouge) (1998); Silk (2007) ; Hochelaga, Terre des Âmes (2017). André Turpin, Zigrail (1995) ; Cosmos (1996) ; Un crabe dans la tête (2001) ; Endorphine (2015). Robert Morin, Requiem pour un beau sans-cœur (1993) ; Windigo (1994) ; Quiconque meurt, meurt à douleur (1998) ; Le nèg’ (2002_ ; Journal d’un coopérant (2010) ; et Les 4 soldats (2013). Manon Briand, 2 secondes (1998) ; La turbulence des fluides (2002) ; Liverpool (2012). Et plus particulièrement le créatif et original Denis Villeneuve, Cosmos (1996) ; Un 32 août sur terre (1998) ; Maelström (2000) gagnant de nombreux Prix Génie, et  Polytechnique (2009) ; Incendies (2010) sélectionné pour un Oscar ; et le psychologiquement surréaliste Enemy (2013) qui gagne de nombreux Prix Écrans canadiens.

Bernard Émond est également à noter, anthropologue de formation, il commence à faire des documentaires au début des années 1990, Ceux qui ont le pas léger meurent sans laisser de traces (1992) ; L’instant et la patience (1994) ; Le Temps et le lieu (2000). Il écrit et réalise ensuite plusieurs films de fiction acclamés, qui examine la crise existentielle des valeurs occidentales contemporaines, La Femme qui boit (2001) ; 20 h 17 rue Darling (2003) ; La Neuvaine (2005) ; Contre toute espérance (2007) ; La Donation (2005) ; Tout ce que tu possèdes (2012).

Denis Villeneuve (à droite) dirige l‘acteur Jake Gyllenhaal sur le plateau d‘Enemy (2013)
Le film remporte cinq prix Écrans canadiens, dont celui du meilleur réalisateur. Denis Villeneuve décrochera au total sept prix Génie/Écrans canadiens.fr.

On trouve aussi d’autres cinéastes québécois s’étant démarqués au début du 21e siècle, ils sont : Philippe Falardeau, La moitié gauche du frigo (2000) ; Congorama (2006) ; C’est pas moi, je le jure ! (2008) ; Monsieur Lazhar (2011) sélectionné pour un Oscar ; Guibord s’en va-t-en guerre (2015). Catherine Martin avec Mariages (2001) ; Océan (2002) ; Dans les villes (2006) ; Trois temps après la mort d’Anna (2010) et Une jeune fille (2013). François Delisle, Le bonheur est une chanson triste (2004) ; Toi (2007) ; Le météore (2013) ; Chorus (2015). Rafaël Ouellet, Le cèdre penché (2007) ; New Denmark (2009) ; Camion (2012). Stéphane Lafleur, Continental — un film sans fusil (2007) ; En terrains connus (2011) ; Tu dors Nicole (2014). Anne Émond, Nuit #1 (2011) gagnant d’un Prix Écran canadien pour le prix du meilleur premier long métrage ; Les êtres chers, (2015) ; Nelly (2016) ; Jeune Juliette (2019). Simon Lavoie, Laurentie (2011) ; Le torrent (2012) ; Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau (2016) ; La petite fille qui aimait trop les allumettes (2017). Mathieu Denis, Laurentie (2011) ; Corbo (2014) ; Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau (2016). Et Chloé Robichaud, Sarah préfère la course (2013) ; Pays (2016).

Xavier Dolan émerge comme le plus talentueux cinéaste canadien de récente mémoire avec son premier film autobiographique lauréat d’un prix, (2009). Il poursuit avec le sensuellement cinématique film Les amours imaginaires (2010), Laurence Anyways (2012), Tom à la ferme (2013) et le gagnant de nombreux prix Mommy (2014), ainsi que Juste la fin du monde (2016). À la hauteur de la crédibilité et des honneurs de festivals de films qu’obtient Xavier Dolan, se trouve Denis Côté. Celui-ci met l’accent sur l’expérimentation narrative et tente de déstabiliser les attentes du spectateur. Ses œuvres incluent : États nordiques (2005), Elle veut le chaos (2008), Curling (2010), Vic + Flo ont vu un ours (2013), Boris sans Béatrice (2016) et Répertoire des villes disparues (2019). (voir aussi : Cinéma québécois : de 1970 à 1989 ; Cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui).

Xavier Dolan, 2009.
Image: Étienne Ljóni Poisson/flickr cc.fr.

Grand Nord

Dans le Nord, le célèbre sculpteur de stéatite Zacharias Kunuk de Igloolik au Nunavut (à l’époque les Territoires du Nord-Ouest) se tourne vers la réalisation cinématographique à la fin des années 1980. Il fonde la coopérative de production de vidéos Igloolik Isuma Productions en 1988 avec Norman Cohn, Paul Apak Angilirq et Pauloosie Qulitalik. Zacharias Kunuk mélange le documentaire et la fiction dans de nombreux vidéos primés ainsi que dans la série de treize épisodes Nunavut (1993 à 1995). Il réalise ensuite le film Atanarjuat (La légende de l’homme rapide) (2001), le premier long métrage de fiction fait par un Inuit dans la langue inuktitute. Le film est acclamé dans le monde entier et gagne la très convoitée Caméra d’Or au Festival de Cannes, ainsi que six Prix Génie, dont le prix du meilleur film (en 2015, il a été classé comme étant le meilleur film canadien de tous les temps). Zacharias Kunuk suit ce succès avec The Journals of Knud Rasmussen (2006), la créative reprise Searchers (2016) et One Day in the Life of Noah Piugattuk (2019). Pendant ce temps, l’actrice devenue scénariste-réalisatrice Madeline Ivalu, qui a joué dans Atanarjuat et The Journals of Knud Rasmussen, fait ses débuts en tant que réalisatrice avec Le jour avant le lendemain (2008). Le film est nommé meilleur premier long métrage au TIFF et meilleur film au American Indian Film Festival. Elle poursuit ensuite avec Uvanga (2013).

Atanarjuat (La légende de l’homme rapide)
Premier long métrage écrit, produit, réalisé et joué par des Inuits, Atanarjuat (La légende de l’homme rapide) est tourné sous format panoramique Betacam numérique (sur une période de six mois, avec un budget de 1,9 million de dollars).

La nouvelle vague de Toronto

En ce qui concerne le cinéma canadien-anglais, Toronto assure un poids crucial. Un large groupe de cinéastes basés à Toronto, connu de façon informelle comme la « Toronto New Wave », émerge avec, parmi eux, Atom Egoyan, au milieu des années 1980. Plutôt qu’une expression décrivant l’esthétique d’un groupe, le terme « Toronto New Wave » est un slogan pour une génération fougueuse de cinéastes anglo-canadiens. La plupart d’entre eux sont diplômés des départements de cinéma de l’Université de Toronto, du Sheridan College ou de la Ryerson Polytechnic University (maintenant connue sous le nom de Ryerson University). En général, ils gravitent autour de LIFT (Liaison of Independent Filmmakers of Toronto), une coopérative de films branchée, fondée par un groupe incluant Bruce McDonald et Peter Mettler. La coopérative a succédé à la Toronto Filmmakers Co-op.

Patricia Rozema connaît tout de suite un énorme succès avec son premier long métrage I’ve Heard the Mermaids Singing (Le chant des sirènes) (1987). Elle poursuit avec le film White Room (1990), When Night is Falling (1995), Mansfield Park (1999) et Into the Forest (2015). Bruce McDonald met à profit son intérêt pour le rock’n’roll et créé le turbulent Roadkill (1989) et Hard Core Logo 2 (2012), ainsi que le plus calme Dance Me Outside (1994), The Tracey Fragments (2007), Pontypool (2008), The Husband (2013) et Weirdos (2016). Peter Mettler, un directeur de la photographie très doué, se promène avec la même aisance entre la fiction, le documentaire et le film expérimental. Alors qu’il étudie à Ryerson, il réalise le surprenant Scissere (1982). Il poursuit avec The Top of His Head (1989), Tectonic Plates (1992), Picture of Light (1994), Gambling, Gods and LSD (2002) et The End of Time (2012). Jeremy Podeswa fait ses débuts de manière impressionnante avec son film Eclipse (1994), alors que Darryl Wasyk offre au public un portrait déchirant du monde de la drogue avec son film H (1990). Don McKellar, qui a écrit Roadkill et Highway 61 avec Bruce McDonald, fait ses propres débuts prometteurs en tant que réalisateur avec Last Night (1998). Il poursuit avec Childstar (2004), sa reprise The Great Seduction (2013) et son adaptation de 2018 du roman de Joseph Boyden, Through Black Spruce.

Highway 61
Don McKellar (à gauche) et Valerie Buhagiar (à droite) se donnent la réplique dans la comédie Highway 61, racontant l’histoire d’un couple excentrique qui parcourt le Sud profond pour y livrer des drogues avec Satan à leurs trousses.

Dans les années 1980, trois événements majeurs s’avèrent instrumentaux dans la croissance de cette jeune lignée de cinéastes anglo-canadiens. En 1984, le Toronto Festival of Festivals (devenu le Festival international du film de Toronto (TIFF)) lance le programme Perspective Canada, la plus importante plateforme internationale pour le cinéma canadien. En 1986, le gouvernement de l’Ontario crée la Ontario Film Development Corporation (OFDC). Et en 1988, Norman Jewison fonde le Centre du film canadien. Vers le milieu des années 1990, ses diplômés commencent à produire un ensemble d’œuvres impressionnant. Don McKellar élabore le scénario de l’innovateur et très acclamé Thirty Two Short Films About Glenn Gould (1993), pour François Girard. David Wellington réalise deux longs métrages raffinés : I Love a Man in Uniform (1993), et l’adaptation magnifiquement réalisée d’une production de Stratford Long Day’s Journey Into Night (1996), de Eugene O’Neill. John Fawcett a un succès culte avec son très inventif film d’horreur pour adolescents Ginger Snaps (2000). Le premier film de Vincenzo Natali Cube (1997), produit avec l’aide du Feature Film Project du Centre du film canadien, bat des records aux guichets au Japon pour un film canadien, et rapporte 15 millions $ en France.

Un cinéma voit le jour dans les années 1990 et commence à refléter la diversité ethnique du pays de manière significative. Atom Egoyan se concentre sur son héritage arménien avec Calendar (1993) et Ararat (2002). Sturla Gunarsson retourne dans son Islande natale pour tourner le film Beowulf & Grendel (2005). Srinivas Krishna s’inspire de ses racines indiennes dans le cocasse Masala (1991). Son deuxième film, Lulu (1996), est centré sur un réfugié vietnamien. Deepa Mehta explore également son passé indien avec Sam and Me (1990), Fire (1996), Earth (1998), Bollywood/Hollywood (2002), Water (2005) en nomination aux Oscars, ainsi que l’adaptation du livre de Salman Rushdie, Midnight’s Children (2012). Ces deux derniers se passent entièrement en Inde. Les cinéastes noirs commencent aussi à faire des films au sujet de leurs expériences. Clément Virgo réalise le très réussi Rude (1995). Il poursuit avec Love Come Down (2001), Poor Boy’s Game (2007) et la minisérie adaptée du livre de Lawrence Hill, The Book of Negroes (2016). Après avoir réalisé un certain nombre de courts métrages acclamés, Charles Officer réalise un premier long métrage impressionnant, Nurse.Fighter.Boy (2008). Il poursuit avec les documentaires Mighty Jerome (2010), sur le coureur de vitesse Harry Jerome, ainsi que Unarmed Verses (2017) et Invisible Essence : The Little Prince (2018).

Alors que diverses formes de cinéma ethnique prospèrent, les cinéastes gais passent également au premier plan dans les années 1990. John Greyson, un diplômé du CFC qui a commencé sa carrière en vidéo, s’impose rapidement comme l’un des talents les plus originaux du Canada. Il donne suite à son impressionnant court métrage, The Making of Monsters (1991) avec des œuvres très innovatrices, notamment la comédie musicale sur le SIDA Zero Patience (1993), Lilies (1996) et The Law of Enclosures (2001). Thom Fitzgerald de Halifax fait sa percée avec son film à thématique gaie The Hanging Garden (Le jardin suspendu) (1998). Le cinéaste marginal Bruce LaBruce apporte également une contribution distincte. Il plonge dans la scène « underground » de la pornographie gaie avec No Skin off My Ass (1990), Super 8½ (1994), Hustler White (1996), The Raspberry Reich (2004) et L.A. Zombie (2010). (voir aussi : Histoire du film canadien : de 1974 à aujourd’hui)

Sarala dans le rôle de Chuyia, dans « Water » réalisé par Deepa Mehta.
Sarala dans le rôle de Chuyia, dans « Water » réalisé par Deepa Mehta.

David Cronenberg et Atom Egoyan

Les deux plus importants cinéastes anglo-canadiens, de différentes générations, sont David Cronenberg et Atom Egoyan. David Cronenberg est à la fois un mentor et un exemple. Il a prouvé que les cinéastes canadiens peuvent rester au Canada, faire les films qu’ils veulent faire et devenir d’importants noms sur la scène internationale. De plus, il l’a fait sans compromettre sa propre vision. En fait, ses œuvres sont devenues de plus en plus personnelles alors que sa réputation grandissante lui a permis d’examiner ses propres peurs.

Dans les années 1960, David Cronenberg passe des longs métrages expérimentaux (Stereo, (1968) et Crimes of the Future (1969)) aux films commerciaux en utilisant les genres de la science-fiction et de l’horreur : Shivers (Frissons) (1975); Rabid (Rage) (1976) ; The Brood (La clinique de la terreur) (1979); Scanners (1980) ; et Videodrome (1981)). Il passe ensuite aux adaptations d’œuvres d’autres artistes : The Dead Zone (1983); The Fly (1987); Dead Ringers (Faux-semblants) (1988); Naked Lunch (Le festin nu) (1991) ; M. Butterfly (1993) ; Crash, 1996 ; et Spider (2003)). Sa carrière constitue une perspective remarquablement uniforme sur plusieurs thèmes clés : la peur du pouvoir destructeur de l’esprit et la fragilité du corps, une paranoïa omniprésente sur les notions scientifiques du progrès, et une fascination pour la sexualité et le genre. David Cronenberg dévie vers un sujet plus conventionnel avec A History of Violence (Une histoire de violence) (2005), basé sur un roman illustré, Eastern Promises (Les promesses de l’ombre) (2007), un film sur des gangsters russes qui se passe à Londres, A Dangerous Method (Une méthode dangereuse) (2011), sur les rouages internes de Sigmund Freux et Carl Jung, et Cosmopolis (2012), son adaptation du roman de Don DeLillo.

Tout juste derrière David Cronenberg, et profondément influencé par celui-ci, se trouve Atom Egoyan, né en Égypte et élevé en Colombie-Britannique. Son parcours est également singulier. Sa carrière s’est construite lentement mais délibérément, de son premier long métrage, le précoce Next of Kin (1984), en passant par Family Viewing (1987), Speaking Parts (1989), The Adjuster (1991) et Exotica (1994) jusqu’au très acclamé The Sweet Hereafter (1997), en nomination aux Oscars.

Ian Holm (à gauche) et Sarah Polley dans The Sweet Hereafter
On avait à l’origine choisi Donald Sutherland pour camper le personnage principal; toutefois, celui-ci s’étant retiré du film dix jours avant le début du tournage, c’est Ian Holm qui le remplace.

Pourtant, la vision du monde de Atom Egoyan partage plusieurs caractéristiques avec celle de David Cronenberg. Ils sont tous deux préoccupés par le pouvoir transformateur de la technologie, peut-être est-ce là une obsession exclusivement canadienne largement influencée par Marshall McLuhan. L’univers d’Atom Egoyan en est un d’incertitude, dans lequel les familles dysfonctionnelles et les personnes psychologiquement abîmées se débattent avec leur passé trouble. Felicia « s Journey (1999), basé sur le roman du même nom de l’auteur irlandais William Trevor, est le premier film d’Atom Egoyan à se passer à l’extérieur du Canada, et son premier à ne pas être produit de manière indépendante. Il suit ce film avec l’ambitieux Ararat (2002), une méditation complexe sur le génocide arménien de 1915, et Where the Truth Lies (2005), un meurtre et mystère de style hollywoodien au succès mitigé. Ses films Adoration (2009) et Remember (2015) marquent un retour au genre du drame à petite échelle avec des personnages entremêlés, genre auquel il excelle. Son célèbre film Chloé (2010), un polar érotique mettant en vedette Julianne Moore, Liam Neeson et Amanda Seyfried, Devil’s Knot (2013), un drame policier mettant en vedette Reese Witherspoon et Colin Firth, et The Captive (2016), un polar mystérieux avec Ryan Reynolds et Scott Speedman, ont tous été des tentatives moins réussies de réalisation de films du genre hollywoodien.  

Cet article est l’un des quatre articles qui retracent l’histoire de l’industrie cinématographique au Canada. La série complète comprend : Histoire du cinéma canadien : de 1896 à 1938 ;  Histoire du cinéma canadien : de 1939 à 1973 ; Histoire du cinéma canadien : de 1974 à aujourd’hui ;  Histoire du cinéma canadien : cinéma régional et auteurs, de 1980 à aujourd’hui

Voir aussi : Cinéma québécois : de 1896 à 1969 ; Cinéma québécois : de 1970 à 1989 ; Cinéma québécois : de 1990 à aujourd’hui ; 30 Key Events in Canadian Film History; L’histoire du cinéma canadien en 10 étapes faciles ; Cinéma documentaire ;  Cinéma d’animation ; Cinéma expérimental ; La distribution de films au Canada ;  Les 10 meilleurs films canadiens de tous les temps ; English Canadian Films: Why No One Sees ThemOffice national du film du Canada ;  Téléfilm Canada ; Longs métrages canadiens  ; Enseignement du cinéma ; Festivals du film ;  Censure cinématographique ; Coopératives du film ; Cinémathèque Québécoise ;  L’art de la production cinématographique.