Rockhead's Paradise | l'Encyclopédie Canadienne

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Rockhead's Paradise

Le Rockhead’s Paradise est un ancien club de jazz situé dans le quartier de la Petite-Bourgogne, à Montréal. Fondé en 1928 pour l’entrepreneur Rufus Rockhead, il s’agit de la plus connue des boîtes de nuit dévouées à la clientèle noire à Montréal. Le Rockhead’s Paradise a accueilli en ses murs des légendes du jazz américain comme Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Lead Belly, Nina Simone, Fats Waller, Dizzy Gillespie et Sammy Davis Jr. Il a également aidé à lancer la carrière de talents de la région, notamment Oscar Peterson, Oliver Jones et Billy Georgette.

Contexte : Rufus Rockhead

Rufus Nathaniel Rockhead naît à Maroon Town, en Jamaïque, vers 1896. Il est le descendant d’une longue lignée de Marrons qui se sont battus contre le pouvoir britannique pour obtenir leur indépendance et leur liberté au cours des siècles d’esclavage. À 22 ans, Rufus Rockhead se rend par bateau à Halifax, pour ensuite faire son chemin jusqu’à Montréal. Le 29 janvier 1918, il s’enrôle dans l’Armée canadienne, où il sert à titre de soldat d’infanterie de première classe au sein du 1er Bataillon de dépôt du 1er Régiment de Québec.

Rufus Rockhead se bat en France pendant la Première Guerre mondiale. Il reçoit la Médaille de guerre britannique et la Médaille de la victoire pour son service (voir aussi Médaille). Le 19 mars 1919, il retourne à Montréal et obtient son congé. Il gère d’abord un kiosque de cirage de chaussures avant de devenir préposé de voitures-lits pour le Chemin de fer du Canadien Pacifique, un des rares emplois offerts aux hommes noirs au Canada à l’époque. Pendant ses 8 ans comme préposé, il effectue le parcours entre Montréal et Chicago et fait des affaires en or en vendant de l’alcool de contrebande aux États-Unis pendant la prohibition.


Rockhead’s Paradise

En 1927, Rufus Rockhead met fin à son emploi de préposé. La même année, il se marie avec Elizabeth (Bertie). De leur union naissent trois enfants : Kenneth, Jacqueline et Arvella. Grâce à l’argent qu’il a accumulé en faisant de la contrebande aux É.-U., Rufus Rockhead réalise son rêve de toujours d’ouvrir un bar et une boîte de nuit accueillant un orchestre live et divers artistes et organisant des soirées dansantes. C’est tout naturellement qu’il ouvre une entreprise dévouée à la populaire musique jazz, puisque la majorité du jazz au pays est jouée et enregistrée à Montréal à l’époque.

Rufus Rockhead fait l’acquisition d’un bâtiment de 3 étages en briques rouges à l’intersection des rues Saint-Antoine et de la Montagne, dans la Petite-Bourgogne. Il transforme le rez-de-chaussée en taverne et comptoir casse-croûte, convertit le premier étage en salle à manger et gère un hôtel de 15 chambres au deuxième. Cela étant dit, les propriétaires de bars noirs sont vus d’un mauvais œil par les autorités municipales et provinciales, et Rufus Rockhead doit attendre 11 mois pour obtenir un permis de vente de bière. Il ouvre le Rockhead’s Paradise en tant que bar à bière et vin en 1930. En 1935, après avoir tenté pendant 5 ans d’obtenir un permis, il transforme son entreprise en bar à cocktails. Comme la prohibition fait encore rage aux États-Unis, beaucoup de touristes et de musiciens de jazz américains affluent vers Montréal, qui devient la capitale des boîtes de nuit au Canada.

Années 1930 à 1950 : l’âge d’or

Même s’il demeure populaire sur la scène culturelle montréalaise pendant plusieurs décennies, le Rockhead’s Paradise connaît un succès considérable au cours des années 1930 à 1950 en particulier, accueillant des légendes du jazz américain comme Louis Armstrong, Billie Holiday, Ella Fitzgerald, Lead Belly, Nina Simone, Fats Waller, Dizzy Gillespie et Sammy Davis Jr. Le Rockhead’s Paradise reçoit également d’autres invités de marque, notamment le boxeur américain Joe Louis et l’équipe de basketball des Globetrotters de Harlem.

Malgré un climat hostile envers les Noirs au Canada et aux États-Unis, le Rockhead’s Paradise représente un lieu sûr pour la population noire de Montréal. Le club offre aussi l’occasion à de nombreux musiciens de la relève, notamment les célèbres pianistes de jazz canadiens Oscar Peterson et Oliver Jones, de parfaire leur talent.


Années 1960 à 1980 : le déclin

Le bar à cocktails de Rufus Rockhead ferme ses portes pendant neuf ans avant de faire un retour dans les années 1960. Malheureusement, les temps ont changé sur la scène musicale montréalaise et Rufus Rockhead peine à garder le club ouvert. En effet, le quartier Saint-Antoine souffre de dégradation urbaine et l’intersection de Saint-Antoine et de la Montagne n’est plus l’épicentre de la vie nocturne de jadis. Le club reprend brièvement du lustre lorsque le fils de Rufus, Kenneth, en prend les rênes et commence à y présenter de la musique soul, motown et R&B. Malgré ces efforts, Kenneth décide de vendre le club en 1980 à un jeune entrepreneur guyanais nommé Rouè Doudou Boicel.

Rising Sun

Rouè Doudou Boicel, un fervent défenseur du jazz, fonde le Rising Sun Celebrity Jazz Club en 1975. L’acquisition du Rockhead’s Paradise en 1980 lui permet de déménager son institution dans le nouveau bâtiment. Le club de jazz de Rouè devient rapidement un lieu de rencontre pour les amateurs de jazz et de blues. Tout comme le Rockhead’s Paradise dans ses jours de gloire, le Rising Sun Celebrity Jazz Club met en vedette de célèbres musiciens de jazz et de blues provenant du Canada et des États-Unis. En raison d’une importante dette contractée par le Rockhead’s Paradise au cours des dernières années, toutefois, Rouè est forcé de déménager le club à son emplacement original, sur la rue Sainte-Catherine Ouest.

Le chant du cygne de Rockhead

Le 28 juin 2012, le pianiste Billy Georgette organise le « Rockhead’s Last Jam » à la Maison du Jazz de Montréal pour célébrer et commémorer Rufus Rockhead et le Rockhead’s Paradise. L’événement rend également hommage aux musiciens de jazz montréalais qui ont fait leurs débuts au club. Des icônes du jazz comme Norman Marshall Villeneuve, Oliver Jones, Leroy Mason et Richard Parris participent à la célébration. Beaucoup d’entre eux ont joué de nombreuses fois au Rockhead’s Paradise durant son apogée. Comme Billy Georgette l’a dit : « Cette prestation est aussi notre façon de remercier les gens du Rockhead’s qui nous ont montré le chemin et qui, même si beaucoup sont oubliés, font intrinsèquement partie de la riche histoire culturelle de cette ville. »

Patrimoine et importance

Rufus Rockhead immigre au Canada à une époque où le pays restreint l’immigration noire et s’installe dans une ville où les autorités désapprouvent l’entrepreneuriat chez les Noirs. Non seulement Rufus Rockhead crée-t-il une entreprise florissante, mais il soutient aussi la carrière de nombreux jeunes musiciens noirs qui n’ont pas l’occasion de faire valoir leurs talents ailleurs. Rufus Rockhead décède le 23 septembre 1981 à l’hôpital des anciens combattants de Sainte-Anne-de-Bellevue, à Québec. En 1989, Montréal lui rend hommage en donnant son nom à une rue, la rue Rufus-Rockhead, dans le quartier de la Petite-Bourgogne.