Pré-Dorset | l'Encyclopédie Canadienne

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Pré-Dorset

D’après les preuves archéologiques, le premier établissement humain permanent dans l’est de l’Arctique nord-américain remonterait à il y a environ 5 000 ans. Les premiers humains à peupler cette région sont appelés les « Paléo-Inuits ». On croit qu’ils auraient traversé le détroit de Béring depuis le Chukotka (nord-est de la Sibérie). Les histoires orales inuites désignent les premiers habitants de l’Arctique sous le nom de « Tuniit ». Les Paléo-Inuits ont vécu pendant plusieurs milliers d’années, pour s’éteindre il y a environ 700 ans. Des points de vue culturel et génétique, ils sont distincts des premiers Inuits. Ces derniers, parfois appelés « Thulés », sont les ancêtres directs des Inuits modernes. Cependant, les recherches sur les Paléo-Inuits et les Inuits se poursuivent et de nouvelles découvertes pourraient survenir.

Figure 1 : Histoire de la culture de l’est de l’Arctique nord-américain. Un terme inuit pour « Dorset » est Tuniit.

Groupes paléo-inuits

Les archéologues divisent les Paléo-Inuits en différentes traditions ou phases. Dans l’est de l’Arctique nord-américain, les premiers Paléo-Inuits sont divisés en trois groupes différents : « pré-Dorset », « Indépendance » et « Saqqaq ». Le groupe Saqqaq représente le plus ancien des Paléo-Inuits qu’on retrouve principalement dans le sud du Groenland (avec quelques sites Saqqaq plus tardifs au Nunavut du Haut-Arctique (voir Archipel Arctique)). Le groupe Indépendance, lui, réunit en grande partie les plus anciens Paléo-Inuits du nord du Groenland (avec quelques sites au Nunavut du Haut-Arctique). Enfin, le groupe pré-Dorset représente les plus anciens Paléo-Inuits de l’ensemble des Territoires du Nord-Ouest, du Nunavut, du Québec et du Labrador. Ces trois traditions donnent naissance à la culture Dorset il y a environ 2 500 ans. Le terme « Dorset » est utilisé par les archéologues de l’est de l’Arctique nord-américain pour désigner les Paléo-Inuits tardifs. Toutefois, en raison des similitudes qui existent entre les différents groupes, certains affirment que ces trois traditions seraient en fait des expressions ou des adaptations différentes d’un même peuple.

Figure 2 : Région générale d’habitation du Paléo-Inuit précoce.

Chronologie et répartition géographique

Les sites prédorsétiens s’étendent sur plusieurs milliers de kilomètres dans l’Arctique nord-américain, du Labrador aux Territoires du Nord-Ouest en passant par l’île d’Ellesmere. On retrouve quelques sites prédorsétiens le long des côtes de la baie d’Hudson, ainsi que dans la toundra subarctique des Territoires du Nord-Ouest continentaux et du Nunavut. La plus grande concentration connue de sites se trouve dans l’Arctique central du Nunavut, autour du bassin Foxe. On ne peut dire avec certitude si cette répartition connue correspond en effet à la démographie humaine passée. Cette répartition pourrait être le résultat d’un « biais d’échantillonnage », par lequel les archéologues auraient tout simplement commencé à mener leurs recherches à certains endroits.

La plupart des sites prédorsétiens connus longent les côtes, un nombre beaucoup plus restreint se trouvant à l’intérieur des terres. Ces sites très anciens auraient vraisemblablement eu à l’époque un aspect différent de celui qu’on leur connaît aujourd’hui. À la fonte des glaciers de la plus récente période glaciaire, la terre a commencé à se soulever. C’est pourquoi de nombreux sites prédorsétiens se trouvent aujourd’hui sur d’anciennes crêtes de plage, qui se trouvent potentiellement à plusieurs dizaines de mètres au-dessus du niveau de la mer d’aujourd’hui. Cela peut aider les archéologues à déterminer l’âge relatif (voir Datation en archéologie) d’un site particulier. La plupart des lieux d’établissement prédorsétiens se trouvaient près du littoral actif. Cela signifie que les sites trouvés à des altitudes plus élevées sont souvent plus anciens que ceux trouvés plus près du littoral actuel. En d’autres termes, les sites prédorsétiens plus anciens ne peuvent se trouver sur des crêtes de plage plus basses, étant donné que celles-ci auraient été immergées. Malheureusement, cela ne permet pas de déterminer l’âge absolu d’un site prédorsétien donné. Le calcul de l’âge exact d’un site nécessite des techniques scientifiques comme la datation par radiocarbone.

Figure 3 : Illustration généralisée de la façon dont les crêtes de plage soulevées peuvent être utilisées pour dater les sites archéologiques de façon relative.

L’absence de préservation des matières organiques (os, ivoire, bois, bois de cerf, par exemple) sur la plupart des sites prédorsétiens rend très difficile la datation de la période d’occupation de ces peuples. La principale technique, pour dater les sites d’une période aussi ancienne, est la datation par radiocarbone. Or, celle-ci nécessite des matières organiques et n’est pas compatible avec la pierre. De manière générale, on retrouve les sites les plus anciens (qui datent d’environ 5 000 ans) à l’ouest et les plus récents (qui datent d’environ 2 500 ans) à l’est. À ce stade-ci, les données archéologiques changent drastiquement, et c’est le début de la période dorsétienne.

Technologie

Les peuples prédorsétiens emploient principalement des outils en pierre, en os, en ivoire et en bois. La pierre, le plus dur de ces matériaux, est utilisée pour créer le tranchant des outils de cette période. S’appuyant sur une technique du nom de taille par pression, les fabricants d’outils en pierre prédorsétiens façonnent une grande variété d’objets, dont des pointes de harpons, des pointes de projectiles et des lances pour la chasse. Les Prédorsétiens fabriquent également des racloirs et des burins destinés à la transformation des aliments. On recourt aussi à la pierre pour d’autres tâches et artisanats divers. Les outils en pierre, petits et tranchants, sont fixés à un manche en os, en ivoire ou en bois. En raison de la piètre conservation des matières organiques, les archéologues ont retrouvé peu d’outils ou de manches organiques par contraste avec la quantité d’outils en pierre. Cela signifie également que les autres objets fabriqués à partir de matières organiques, tels que les bateaux, les vêtements, les objets d’art sculptés et de nombreux matériaux de construction, sont extrêmement rares dans les sites prédorsétiens. Néanmoins, les quelques exemples d’objets sculptés prédorsétiens, comme le masque miniature trouvé lors de fouilles sur l’île Devon, laissent entrevoir un système de croyances complexe et le travail de sculpteurs et d’artisans compétents.

Architecture

Les structures domestiques prédorsétiennes, généralement de petite taille, peuvent prendre différentes formes. L’un des types les plus communs est appelé « cercle de tente ». Il s’agit d’un ensemble de roches de la taille d’un melon d’eau, formant un cercle (ou anneau) sur le sol. On croit que ces roches auraient servi de fixation pour les tentes en peaux d’animaux prédorsétiennes (comme les tupiit inuits). Au moment de leur départ du site, ceux qui y étaient installés emportaient avec eux la structure de la tente et les matériaux de couverture, plus légers, laissant derrière eux les roches. Ces roches montrent aux archéologues le contour approximatif de l’ancienne habitation. Parfois, les cercles de tente prédorsétiens peuvent être de forme plus carrée ou rectangulaire. Ces arrangements de forme différente suggèrent des styles de tentes différents de ceux utilisés avec les anneaux circulaires. Ce type d’architecture domestique est plus facile à construire et à transporter que d’autres types d’habitations nécessitant des matériaux de construction de plus grande taille, ou les maisons construites dans le sol (voir La maison d’hiver des Thulés).

Certaines maisons du pré-Dorset peuvent ne comporter aucun périmètre visible de blocs rocheux. Certaines présentent quelques pierres plates regroupées pour former un foyer ou une cheminée. Contrairement aux cercles de tente, qui montrent la limite extérieure d’une maison, ces foyers représentent probablement l’intérieur. Certains cercles de tente montrent également à l’occasion des foyers visibles à l’intérieur. De l’avis de certains archéologues, les habitations à foyer unique pourraient représenter des types de bâtiments différents des cercles de tente. En raison de l’absence de préservation organique, il est difficile de comprendre en quoi ces maisons prédorsétiennes étaient différentes, et même si elles l’étaient réellement.

Établissement et subsistance

Les Prédorsétiens étaient des « chasseurs-cueilleurs », ce qui signifie que la plupart des aliments qu’ils consommaient provenaient d’animaux et de plantes sauvages. Les chasseurs-cueilleurs n’élèvent pas d’animaux et ne cultivent pas les champs. D’après les restes d’animaux et les types d’outils de chasse trouvés sur les sites de cette période, les archéologues pensent que les Prédorsétiens dépendaient en grande partie des ressources alimentaires marines. Une source de nourriture particulièrement importante était le phoque annelé. Contrairement aux ancêtres des Inuits, il existe très peu de preuves que les Prédorsétiens aient chassé la baleine en eau libre. Cependant, il est possible qu’ils aient prélevé certaines parties de baleines échouées sur la terre ferme. Les poissons et les oiseaux pourraient avoir joué un rôle important dans le régime alimentaire prédorsétien, mais leurs restes survivent rarement dans les sites archéologiques. Selon les saisons, les Prédorsétiens se rendaient à l’intérieur des terres pour chasser le caribou et le bœuf musqué. Il ne fait aucun doute que les Prédorsétiens cueillaient et utilisaient des plantes à des fins diverses. Cependant, encore une fois en raison de la piètre conservation organique, les archéologues n’ont pu trouver que des indices limités à cet égard.

Contrairement aux Dorsétiens et aux Inuits, les Prédorsétiens stockaient rarement leur nourriture dans des caches. On en déduit donc que c’était un peuple nomade. Les Prédorsétiens devaient déplacer leur habitation plusieurs fois par année, suivant les fluctuations saisonnières des ressources. Ils étaient ainsi en mesure de gérer leurs sources de nourriture et d’éviter la surexploitation d’une seule ressource. L’absence d’une architecture domestique sur une plus grande superficie, l’abondance des cercles de tente et les petits outils portatifs trouvés suggèrent tous un mode de vie hautement mobile.

Une telle mobilité n’a pas seulement un impact sur la subsistance. Elle se serait inscrite dans un système complexe d’acquisition de matières premières pour la fabrication d’outils et d’objets de la culture matérielle, de visites d’autres groupes prédorsétiens et d’exploration de lieux socioculturels d’importance. Étant donné l’absence de vestiges physiques pour bon nombre de ces activités, les archéologues savent très peu de choses sur ces aspects de la vie passée. L’archéologie seule ne peut brosser qu’un tableau sommaire de ces activités. Pour mieux comprendre le mode de vie des gens du pré-Dorset, il faudra collaborer davantage avec d’autres experts, comme les gardiens du savoir et les Aînés autochtones.

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