Philosophie avant 1950, la | l'Encyclopédie Canadienne

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Philosophie avant 1950, la

L'arrivée de la philosophie au Canada suit de près celle des colons. L'histoire de la philosophie canadienne commence au Canada français en 1665 et au Canada anglais lors de la fondation des universités de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontario.

Philosophie avant 1950, la

L'arrivée de la philosophie au Canada suit de près celle des colons. L'histoire de la philosophie canadienne commence au Canada français en 1665 et au Canada anglais lors de la fondation des universités de la Nouvelle-Écosse et de l'Ontario.

Canada français
En Nouvelle-France, comme dans l'ensemble du Nouveau Monde, l'enseignement de la philosophie relève d'abord de l'Église. Dispensés depuis 1665 au Collège des Jésuites de Québec, les cours de philosophie suivent alors, comme dans les collèges de France, les préceptes édictés dans le ratio studiorum. En deux ans, les rares élèves que compte le Collège à l'époque s'initient à la logique d'Aristote telle qu'elle est formulée dans le De interpretatione (De l'interprétation, le deuxième livre de l'Organon) et dans les deux livres qui constituent les Premiers Analytiques. Le programme de physique aristotélicienne repose tout entier sur les huit livres de la Physique, sur le Traité du ciel et sur le premier livre de De la génération et de la corruption. La métaphysique enseignée est aristotélicienne elle aussi, et les cours d'éthique s'inspirent de l'Éthique à Nicomaque, mais les professeurs font le plus souvent possible référence au philosophe saint Thomas d'Aquin (v. 1224-1274). Dans la hiérarchie des arts libéraux du Moyen Âge, la philosophie était la servante de la théologie (ancilla theologiae.). Il en est de même au Québec jusqu'en 1759, puisque les étudiants destinés à la prêtrise doivent étudier la philosophie avant d'entreprendre leurs études de théologie.

Philosophie et remise en question de la foi

Interrompu par la Conquête, l'enseignement de la philosophie reprend en 1770 dans cinq collèges. C'est ainsi qu'en 1835, l'abbé Jérôme DEMERS du SÉMINAIRE DE QUÉBEC publie le premier manuel de philosophie canadien, Institutiones philosophicae ad usum studiosae juventutis. Plus nombreux, pour la plupart nés au pays, les professeurs fondent leur enseignement sur le Traité des études (éd. rev., 1845) de Charles Rollin, pour qui la philosophie fournit à l'esprit une armature morale et protège la jeunesse contre l'incrédulité. Selon lui, l'incrédulité découle de la Réforme protestante, des écrits du philosophe français René Descartes (1596-1650),de l'Encyclopédie (1751-1780) de Denis Diderot et des effets exercés par les révolutions américaine et française (1776 et 1789) sur une province où, dès 1764, il est de plus en plus facile de se procurer des ouvrages imprimés. L'enseignement de la philosophie est donc une activité controversée. De nouvelles idées et de nouvelles objections à ces idées font leur apparition : l'origine des idées et les fondements de la certitude, l'immortalité de l'âme et l'existence de Dieu, l'ATHÉISME, les origines du pouvoir politique et la forme la plus élevée de gouvernement. Après Descartes et les philosophes des Lumières, il faut désormais accepter ou refuser les lois de la raison.

Cette remise en question est à l'origine de la controverse (1833-1834) qui éclate autour du philosophe français Félicité de Lamennais (1782-1854) et de la publication du livre de l'abbé Demers. Les enjeux du débat sont l'établissement de la certitude en dépit du doute cartésien dans l'enseignement de la logique, la réfutation de l'athéisme des Lumières dans la métaphysique et la philosophie morale et la légitimation du pouvoir politique par le droit divin et non par la volonté du peuple.

Philosophie catholique

Cantonné dans une position défensive jusqu'en 1840 environ, l'enseignement de la philosophie se caractérise ensuite par la quête de thèses philosophiques affirmatives et par la recherche frénétique d'une autorité et d'une « philosophie catholique » qui trouve son expression ultime dans l'encyclique Aeterni Patris (1879) du pape Léon XIII, qui traite du rétablissement d'une philosophie chrétienne. C'est dans ce contexte qu'apparaît le thomisme, école qui va devenir pour longtemps synonyme de philosophie canadienne-française. En 1879, la philosophie de saint Thomas d'Aquin apporte des solutions aux problèmes fondamentaux et traditionnels de l'enseignement de la philosophie. La certitude, produit de la raison, trouve appui sur la foi sans plus être troublée par le doute. L'éthique est tributaire de la hiérarchie des finalités qui place Dieu au-dessus de l'homme, le spirituel au-dessus du temporel, l'Église au-dessus de l'État, fournissant ainsi les bases doctrinales de l'ULTRAMONTANISME, qui dominera par la suite la société canadienne-française.

L'enseignement de la philosophie est désormais rigoureusement codifié : un seul examen de baccalauréat à la fin du cours classique dans tous les collèges, un même manuel pour tous les établissements. Toutefois, au début du XXe siècle, la « question sociale » ébranle cette uniformité. L'industrialisation (le capital, la classe ouvrière, les grèves) et l'urbanisation mettent le thomisme aux prises avec de nouveaux problèmes (voir DOCTRINE SOCIALE DE L'ÉGLISE CATHOLIQUE) et justifient souvent l'élaboration et l'adoption de nouveaux manuels.

La philosophie fait son entrée dans les universités

À partir de 1920, la philosophie fait un bond en avant en s'introduisant dans les universités. Une faculté de philosophie est créée à l'U. de Montréal en 1921. Ceslas-Marie Forest, moine dominicain, en est le doyen de 1926 à 1952. À Québec, l'École supérieure de philosophie (fondée en 1926) de l'U. Laval devient faculté en 1935; c'est le Belge Charles DE KONINCK qui en est directeur de 1939 à 1956.

Le développement de l'enseignement de la philosophie profite initialement de la croissance des universités et de l'importance grandissante des études de philosophie à Louvain et à Rome. Mais cet enseignement prend son véritable essor à la suite d'une autre encyclique, Deus Scientiarum (1931), qui fait de la science un bastion de la foi et conduit à une réorganisation des facultés de philosophie. À Laval, on fait une place égale à saint Thomas et à Aristote comme on peut le constater en lisant les études publiées par les professeurs et les articles du Laval théoloqique et philosophique (1945-). À Montréal, le latin n'est plus la langue d'enseignement à partir de 1936. Les cours de jour, instaurés en 1942, voient leur nombre doubler en 1948. Les thèses restent dominées par la pensée thomiste jusqu'à la fin des années 40, mais avec la laïcisation progressive de l'université, l'histoire de la philosophie s'y assure une place prépondérante.

Franciscains et dominicains

Les études canadiennes-françaises en philosophie et en histoire médiévales sont sans doute les plus importantes contributions internationales dans ces sphères du savoir, du moins jusqu'en 1950. L'apport exceptionnel des franciscains à ces travaux est déprécié et devient en 1927 l'objet d'une polémique au sein des cercles thomistes entre le futur cardinal VILLENEUVE et le grand médiéviste franciscain, le père Éphrem LONGPRÉ. À Ottawa, les dominicains créent en 1930 l'Institut d'études médiévales qui déménage en 1943 et se joint à l'U. de Montréal. Les travaux les plus marquants de cette époque sont ceux de Charles de Koninck, d'Hermas Bastien et des pères Louis-Marie RÉGIS, Louis Lachance, Patrice Robert, Julien Péghaire et Arcade Monette. Signalons également l'activité de sociétés philosophiques telles que la Société de philosophie de Montréal (fondée en 1924) et la très formaliste Académie canadienne Saint Thomas d'Aquin (1930-1945).

À partir de 1930, une nouvelle génération, qui compte dans ses rangs Étienne Gilson (à Toronto) et Jacques Maritain, remplace la vieille garde et prend les rênes de nouvelles revues et des Journées thomistes (1935 et 1936) organisées pour la jeune génération. Entre la Crise des années 30 et le REFUS GLOBAL de 1948, Maritain, catalyseur des débats philosophiques (avec De Koninck) et des controverses idéologiques (concernant le pétainisme), est le grand inspirateur. Il est relayé par Emmanuel Mounier, les existentialismes chrétien et athée et la phénoménologie.

YVAN LAMONDE

Canada anglais

Racines théologiques
Au Canada anglais, la philosophie prend racine dès la création des premières universités en Nouvelle-Écosse et dans ce qui est maintenant l'Ontario. (Avec une population de moins de 2 millions d'habitants, le Canada compte 12 universités en 1860.) La majorité des philosophes qui enseignent dans ces universités viennent de Grande-Bretagne, en particulier d'Écosse. Ils ont une formation de pasteurs, mais la philosophie constitue une bonne part de leur instruction.

En Écosse, philosophie et théologie ont rendez-vous lors du sermon dominical. Celui-ci sert de véhicule aux débats et à la quête d'une démarche raisonnée, surtout quant à la dramatique remise en question de la théologie traditionnelle qu'est le darwinisme. Au Canada, les théologiens et les intellectuels venus d'Écosse doivent relever les défis plus lourds encore que représentent une population étudiante de plus en plus diversifiée et un climat dont on soupçonne que le Tout-Puissant lui-même ne l'aurait pas choisi volontiers.

L'omniprésence d'un environnement hostile amène beaucoup d'étudiants d'origine rurale à contester l'existence d'un Dieu sauveur et protecteur. Il faudra alors faire appel à la raison et à des arguments solides pour les convaincre qu'il vaut mieux se comporter de façon morale qu'immorale, que l'individu a sa place dans ce nouveau pays sauvage, que la nature peut s'avérer productive tout en étant protégée, que les théories scientifiques et évolutionnistes avancées peuvent trouver leur place à côté de la théologie et de l'idée de Dieu, que la religion garde sa raison d'être au milieu des désastres naturels et que dans une ville peuplée de gens aux convictions religieuses très variées, un pasteur peut prononcer une homélie qui, sans offenser personne, donne à la vie de ses paroissiens fatigués et malmenés un sens et une finalité. Les philosophes chargés d'une mission si formidable s'adaptent alors aux demandes de leur entourage et entreprennent d'éduquer sans relâche les futurs pasteurs, enseignants, prêcheurs ambulants et fonctionnaires du Canada.

Le Canada a toujours servi de terre nourricière à de nombreuses cultures. Nous reconnaissons souvent une culture au sens qu'elle donne aux événements et aux institutions. Là où une même institution fondamentale (par exemple la famille, la police le rôle de l'État) suscite plus d'un ensemble d'attitudes et de réponses, il y a plus d'une culture. Les premiers philosophes savent bien qu'on ne peut imposer facilement, du moins pacifiquement, un seul ensemble de significations à des groupes de gens éparpillés loin les uns des autres. Beaucoup de Canadiens ont immigré pour échapper à des idées rigides imposées par l'État. Si la liberté d'opinion doit avoir le moindre sens, il faut que le noyau conceptuel de la culture canadienne offre aux nombreuses cultures la possibilité de coexister. C'est pourquoi les philosophes mettent l'accent sur la raison comme base du pluralisme des interprétations.

C'est par la raison que nous donnons un sens aux événements et que nous défendons contre les atteintes portées aux interprétations d'après lesquelles nous organisons nos vies. Les philosophes canadiens ne sont pas les seuls à se poser des questions sur la nature et l'usage de la raison, mais leurs interprétations donnent un fondement distinctif aux notions unificatrices de l'identité culturelle.

Thèmes de base

Trois thèmes fondamentaux dominent la pensée canadienne-anglaise à ses débuts : les fondements philosophiques de la religion, l'idée de nature et l'examen des systèmes politiques à la lumière de la philosophie. Vers la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, des penseurs comme John WATSON de l'U. Queen's publient des travaux sur ces trois sujets. George BLEWETT de l'U. de Toronto analyse l'idée de nature dans ses rapports avec Dieu. La philosophie canadienne ne se confine cependant pas dans ces trois thèmes. Richard Maurice BUCKE, psychiatre de London, parle d'une « spiritualité évolutionniste ». John Macdonald, de l'U. de l'Alberta, publie des études sur la philosophie de l'éducation. À l'U. Dalhousie, Herbert Leslie STEWART s'intéresse aussi bien au CALVINISME qu'à l'oeuvre de Nietzsche.

Rupert LODGE, spécialiste de Platon à l'U. du Manitoba, livre ses réflexions sur l'éthique, le monde des affaires et l'éducation. Selon lui, il n'existe peut-être pas de réponse absolue à une question et tout problème doit être analysé dans son propre contexte. Même si ses oeuvres tendent vers l'idéalisme et la préservation des grandes valeurs admises et non vers l'idée du progrès matériel à tout prix, il présente malgré tout les points de vue des pragmatistes et des réalistes sur tous les problèmes abordés dans ses derniers livres. Les philosophes canadiens (Lodge en est un bon exemple) pratiquent la tolérance et le respect; ils examinent tous les aspects d'un problème avant de proposer des solutions.

À l'U. de Toronto, George BRETT fait valoir l'importance de l'histoire pour qui veut comprendre la nature humaine et devient le maître à penser de la Toronto School of Intellectual Science, qui joue un. rôle majeur jusqu'à la fin des années 50. John IRVING, également de l'U. de Toronto, porte ce même regard d'historien sur les 100 premières années de la philosophie au Canada et publie en 1952 le premier bilan de la philosophie dite canadienne dans son livre Philosophy of Canada: A Symposium. Son ouvrage Science and Values prédit la même année la concrétisation d'une union plus étroite de la philosophie et des problèmes pratiques du Canada, en ce sens que les philosophes se pencheront sur l'éducation, l'économie, la politique et le bien-être social quand la culture devra s'adapter à l'évolution rapide du monde. Ses prédictions se réalisent si l'on en juge au nombre croissant de publications et de centres de recherche dans des domaines variés de l'éthique appliquée et des droits de la personne. Les principaux centres se trouvent aujourd'hui dans les U. de la Colombie-Britannique, de Western Ontario, de Toronto, York, McGill et à la Ryerson Polytechnic University.

Religion et science

Les philosophes estiment qu'il faut s'attaquer de toute urgence aux revendications religieuses et au progrès de la science. Le machinisme, l'emprise de plus en plus grande sur la nature et les progrès incessants dans la production et la répartition de la richesse semblent donner aux hommes des pouvoirs autrefois attribués à Dieu seul. Le contexte géographique et la diversité de la population canadienne rendent peu probable la présence d'une religion officielle (voir ANGLICANISME) dont la plate-forme doctrinale permettrait de trouver une réponse aux questions que soulèvent ces changements. Les philosophes catholiques, quant à eux, cherchent les réponses dans l'oeuvre de Thomas d'Aquin. La création à Toronto d'un Institut des études médiévales (1929; obtention de la bulle d'érection canonique en 1939 lors de sa transformation en Institut pontifical des études médiévales) témoigne de l'engagement et du professionnalisme de ces pionniers de la pensée catholique. (Un autre Institut d'études médiévales est fondé à Ottawa en 1930 par les Dominicains).

Chez les protestants, la stratégie n'est pas aussi claire. James BEAVEN publie en 1850 Elements of Natural Theology, le premier ouvrage de philosophie écrit par un Canadien anglais. Soucieux de rattacher la religion au progrès de la science, Beaven présente les lois, l'ordre et les structures de l'univers comme une preuve de l'existence d'un être rationnel supérieur, Dieu. L'univers est intelligible dans son ensemble parce que les lois qui le régissent agissent de concert. Si « Dieu » est ce que nous entendons par source de toute intelligibilité, avance Beaven, c'est que la relation étroite qui unit l'homme à Dieu demeure intacte.

John WATSON, un spécialiste reconnu du philosophe allemand Emmanuel Kant, est l'auteur de plusieurs ouvrages importants sur la philosophie et la religion. Dans Outline of Philosophy (1908) et The lnterpretation of Religious Experience (1910-1912), il passe en revue les arguments historiques pour ou contre l'existence de Dieu et propose pour prouver cette existence un système métaphysique qui établit des corrélations entre la raison, Dieu, et un concept idéaliste emprunté au philosophe allemand Hegel, « l'Absolu ». Dans un chapitre de The lnterpretation of Religious Experience intitulé « The Invisible Church », Watson prévoit en outre le rôle que jouera l'ÉGLISE UNIE dans la vie canadienne comme intermédiaire d'une moralité rationnelle. Il publie 8 ouvrages et plus de 200 articles. Son oeuvre connaît un grand rayonnement en Grande-Bretagne et aux États-Unis.

À l'U. McGill, John Clark MURRAY entreprend dans A Handbook of Psychology (1885) et An Introduction to Ethics (1891) une démarche métaphysique où les pouvoirs accrus de l'homme et la volonté de Dieu se conjuguent pour expliquer rationnellement ce qui existe. Murray consacre une grande partie de son temps à donner des conférences et à rédiger des articles pour la presse sur les difficultés de la classe ouvrière. Un des premiers défenseurs de la pensée féministe, il se montre énergique et intrépide à cet égard. Présents eux aussi sur la place publique, Herbert Leslie STEWART et John Allan IRVING présentent quelques années plus tard des exposés à la radio de la Société Radio-Canada.

George Paxton YOUNG de l'U. de Toronto, qui publie à l'occasion des études sur l'éthique et les mathématiques, s'oppose ouvertement aux doctrines de son église. En 1864, jugeant ne pas pouvoir souscrire aux articles de foi de l'Église anglicane, il quitte le Knox College de l'U. de Toronto pour occuper un bureau de l'autre côté du campus, au collège universitaire. C'est un professeur populaire qui avait été très actif au sein de son Église. En abandonnant tous ses devoirs envers cette Église et en passant ostensiblement d'un collège religieux à un collège laïc, il attire l'attention des médias écrits de l'époque et gagne à sa cause des étudiants dont le nombre va en augmentant.

William LYALL, de l'U. Dalhousie, met en évidence le rapport entre Dieu et l'homme dans son Intellect, the Emotions, and the Moral Nature (1855). L'homme fait partie de la nature, de sorte que le viol de la nature porte indirectement atteinte à l'homme, écrit-il.

George John BLEWETT, un jeune agriculteur du Sud de l'Ontario, publie The Study of Nature and the Vision of God (1907) et The Christian View of the World (1912). Il constate que, par sa négligence et son gaspillage, l'homme met en danger le milieu naturel dans lequel il vit. Selon lui, la raison est le fondement de toute expérience et de toute liberté. De plus, la notion d'une communauté des « esprits rationnels » est plus importante que celle des individus. L'idée de la communauté comme clé de la survie s'enracine profondément dans une société canadienne en évolution, mais encore largement rurale.

Philosophie politique

En tant qu'entité politique, le Canada présente deux attributs caractéristiques. L'un est son pluralisme multidimensionnel en matière de langues, de culture, de religion, de géographie, de conception de l'éducation et de valeurs. L'autre est un indéfectible attachement de ses diverses communautés à leurs traditions. Français et Écossais transposent dans leur pays d'adoption les modes d'organisation sociale hérités de leurs ancêtres. À leur arrivée, les LOYALISTES manifestent eux aussi un grand attachement aux traditions puisqu'ils rejettent les idées radicales de la jeune république américaine. Les philosophes qui s'intéressent à la théorie politique doivent trouver s'arranger pour asseoir la politique sur une base conceptuelle alors qu'ils sont entourés de factions distinctes parfois opposées. Une fois encore, la raison reste leur guide comme médiatrice et outil de découverte.

Dans son The State in Peace and War (1919), Watson avance qu'il faut voir le progrès dans une perspective historique. Les systèmes sociaux ne s'inventent pas du jour au lendemain. Les hommes avancent d'expérience en expérience, et la raison doit interpréter le présent à la lumière du passé. Il est inévitable que des erreurs se commettent pendant le passage de l'égalité théorique à l'égalité réelle. À n'en pas douter, Watson est un conservateur. George Sidney BRETT est tout aussi modéré. Dans The Government of Man (1913), il déclare que nous avons plus besoin de comprendre les problèmes que de leur trouver des solutions. Ces philosophes n'estiment toutefois que l'État est une entité douée de raison et incontestable.

John Clark MURRAY adopte une approche plus directe dans son analyse de la Révolution industrielle et des maux qu'elle engendre. Dans The Industrial Kingdom of God, publié en 1981 après sa mort, il parle ouvertement de Karl Marx, de la planification collective, de la grève et des avantages et inconvénients du capitalisme. Sa prose victorienne ne cache pas ses idées radicales, ce qui explique sans doute pourquoi son livre reste à l'état de manuscrit pendant près d'un siècle. Murray pense que l'évaluation rationnelle des institutions en place entraînerait des changements positifs. Sa proposition de créer des tribunaux d'arbitrage pour désamorcer l'antagonisme des syndicats est une innovation qui reste d'actualité.

La philosophie politique canadienne tend en général vers la gauche, mais une gauche modérée. Ses représentants pensent qu'on changera les hommes non pas par la violence raisonnée, mais par un dialogue fondé sur la raison. L'établissement d'une société juste sera une tâche longue et ardue, mais en cours de route, la société deviendra plus stable, moins violente, moins encline à tomber dans le piège d'innovations radicales et de solutions hâtives. À défaut d'être aimé, l'État a besoin d'être compris. Les dissensions sont inévitables, mais chercher à les régler en jetant bas des institutions valables entraînerait un surcroît de tensions et de dégâts. Aux yeux des philosophes canadiens, la raison joue un rôle crucial comme interprète et passage obligé vers des compromis. Ce qu'ils envisagent alors ressemble fort au Canada tel que nous le connaissons aujourd'hui : ordonné et prudent, mais un exemple pour le reste du monde des valeurs que représentent la discussion, la tolérance et la démocratie. Les philosophes du Canada anglais et français étaient et sont d'abord des intellectuels, mais l'examen de leurs écrits en révèle autant sur le caractère national des Canadiens et sur la culture canadienne que sur les questions éternelles de la philosophie.

ELIZABETH A. TROTT

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