Notre histoire en souvenirs : Alex Colville | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Notre histoire en souvenirs : Alex Colville

En 2005, pour commémorer le 60e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des Canadiens célèbres ont exprimé ce que signifiait pour eux cet exercice de mémoire, dans le cadre de la campagne Notre histoire en souvenirs, menée par l’Institut Historica-Dominion (aujourd’hui Historica Canada), CanWest News Service (aujourd’hui Postmedia News) et le ministère des Anciens Combattants. Cet article est tiré de cette campagne.

Lieutenant Alex Colville, artiste de guerre
Lieutenant Alex Colville,attaché \u00e0 la 3i\u00e8me division Canadienne, 1945 (avec permission la Biblioth\u00e8que et Archives Canada, Minist\u00e8re de la défense nationale, PA-142087).

Peintre de guerre

L’Armée canadienne ne savait trop que faire d’Alex Colville au moment de son enrôlement en 1942. L’homme qui devait devenir l’un des plus célèbres artistes au pays n’était alors qu’un jeune diplômé des beaux-arts au visage enfantin, fraîchement sorti de l’Université Mount Allison au Nouveau-Brunswick. Son unique contribution à l’effort de guerre avant de se porter volontaire fut une affiche, créée pour le gouvernement, sur laquelle on pouvait voir des navires de guerre canadiens jetant des grenades sous-marines sur des U-boots (sous-marins allemands) dans l’océan Atlantique.

Colville a d’abord participé à une formation d’officier d’infanterie, mais il ne correspondait pas à l’idéal de leadership de l’armée. Il a voulu être parachutiste, mais il était trop petit et trop léger. Après plusieurs mois de va-et-vient d’une base à une autre en Ontario, il a finalement été nommé lieutenant et envoyé à Yarmouth, en Nouvelle-Écosse, pour aider à la formation des nouvelles recrues. Un soir, en 1944, un colonel est venu le trouver pour lui dire :

« Colville! Winston Churchill a décidé qu’il était impossible de gagner la guerre sans toi. Tu pars pour Londres à trois heures demain matin. »

Déconcerté, Colville s’est présenté à la section historique de l’armée à Londres, où il a intégré les rangs difficiles à trouver des Canadiens peintres de guerre.

Équipé d’une Jeep et d’un chauffeur, on l’a chargé de se rendre avec les Forces canadiennes en Europe et de peindre sur toile les scènes d’intérêt.

Ce jeune artiste a alors cru qu’il était chanceux de profiter d’une telle pause. « Était-il mieux pour moi de servir à titre d’officier de l’infanterie, dont le rôle principal consiste à courir sur les champs de bataille et se faire tirer dessus ou préférais-je peindre et dessiner? Je dois dire que la peinture était particulièrement attirante. »

Fantassins pr\u00e8s de Nim\u00e8gue, en Hollande

C’est ainsi que la carrière de peintre de Colville a débuté; pas dans un studio tranquille au Canada, mais bien dans la boue, la peur et l’horreur de la guerre en Europe. Il a passé la majeure partie de l’année suivante avec la Troisième division d’infanterie canadienne formée des bataillons de soldats épuisés débarqués au jour J, plusieurs mois après les atterrissages en Normandie, qu’il avait rejointe aux Pays-Bas.

Cimetières à ciel ouvert

En 2005, à l’âge de 84 ans, les souvenirs de Colville à propos de la guerre prennent la forme d’une série de clichés, chacun ébauché pour le spectateur à la manière du paysage d’un tableau.

Il se souvient de cette journée d’exploration passée avec son chauffeur, un jeune sergent nommé Carpenter, sillonnant la campagne hollandaise, à la recherche de sujets à peindre. Une erreur d’orientation les fit pénétrer, à leur grande surprise, en territoire ennemi.

À la vue des soldats morts en bordure de la route, ils sont alors descendus de la Jeep pour examiner les corps; ils ont compris leur méprise lorsqu’ils se sont retrouvés sous le tir de mortier d’un groupe de soldats allemands se trouvant tout près. Colville et Carpenter ont sauté dans la Jeep et se sont échappés pour sauver leur vie.

Il se souvient de leur arrivée au camp de la mort nazi de Bergen-Belsen, quelques jours après la libération; des immenses champs transformés en cimetière à ciel ouvert « contenant six ou sept mille personnes ». Les survivants du camp mourraient de faim ou souffraient de typhus, ou les deux. Le jour suivant, Colville mettait sur papier cette image obsédante de cadavres émaciés en tenue de prisonniers, jonchant le sol comme s’il s’agissait de tapis de toile.

Il se souvient avoir quitté le camp et voyagé vers le nord à la recherche de membres des Forces canadiennes en opération de nettoyage près de la mer Baltique. Carpenter et lui ont rencontré sur leur route un flot sans fin de troupes allemandes vaincues, des dizaines de milliers d’hommes endurcis par la bataille, mais terrifiés, marchant vers l’ouest, aussi vite qu’ils le pouvaient dans l’espoir d’échapper à l’armée soviétique. « Ce fut une expérience très particulière », a-t-il dit. « Nous nous promenions à bord de notre petite Jeep et des milliers de soldats ennemis encore armés de leurs fusils étaient là, tout autour. Ils ne faisaient même pas attention à nous. Ils n’avaient qu’une idée en tête : fuir les Russes ».

Hommes ordinaires, accomplissements extraordinaires

Colville croit que la guerre l’a profondément sensibilisé au temps, au temps qui passe dans la vie des gens.

« L’expérience de la guerre, toutes ces personnes qui meurent, ça change bien des choses », a-t-il dit. « Comme plusieurs autres personnes de ma génération, je crois posséder un sens aigu de ce que c’est qu’être en vie. »

« Et pour ceux d’entre nous qui ont pris part à la Deuxième Guerre mondiale, les petites choses bourgeoises de la vie, par exemple avoir un emploi, une maison, une voiture, des enfants, un chien sont dorénavant très précieuses. »

À son retour au Canada après la guerre, Colville a poursuivi sa carrière, mais cette fois en temps de paix, peignant des moments préoccupants et parfois éphémères de la vie ordinaire.

« Ma femme et moi assistons presque toujours aux cérémonies du Souvenir du 11 novembre. Nous nous souvenons de gens ordinaires. Qu’ils aient travaillé à l’épicerie ou n’importe où ailleurs, ils n’étaient que des hommes ordinaires ayant fait leurs études secondaires et s’étant engagé dans l’armée. Ces hommes ordinaires ont accompli des choses extraordinaires et méritent toute mon admiration. »

Alex Colville
Portrait de Alex Colville, par Arnaud Maggs, 1983. (avec permission la Biblioth\u00e8que et Archives Canada, R7959. Droits d'auteur Arnaud Maggs).

En savoir plus

Réserver la visite d’un orateur