Séparatisme au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Séparatisme au Canada

Le séparatisme désigne la promotion de la séparation ou de la sécession d’un groupe ou d’un peuple de l’unité politique plus large à laquelle il appartient. Dans les temps modernes, le séparatisme a souvent été associé à un désir de liberté découlant de la perception d’une oppression coloniale.
Jules-Paul Tardivel
Jules-Paul Tardivel, journaliste et romancier (1851-1905). Dans les dernières décennies du XIXe siècle, il est l'un des interprètes les plus reconnus de l'ultramontanisme et l'une des figures dominantes du nationalisme canadien-français.
Lionel Groulx
René Lévesque
Jacques Parizeau, homme politique
Ancien chef du Parti Québécois, Jacques Parizeau, en septembre 1989. En 1994, il est le deuxième chef du Parti québécois à devenir premier ministre (photo de Jim Merrithew).
Lucien Bouchard, politicien
Fondateur du Bloc québécois et premier ministre du Québec (avec la permission du Cabinet du Premier ministre, gouvernement du Québec).
Dion, Stéphane
L'honorable Stéphane Dion, chef du Parti libéral du Canada de 2006 à 2008 (avec la permission du Parti libéral du Canada).

Le séparatisme désigne la promotion de la séparation ou de la sécession d’un groupe ou d’un peuple de l’unité politique plus large à laquelle il appartient. Dans les temps modernes, le séparatisme a souvent été associé à un désir de liberté découlant de la perception d’une oppression coloniale. Au Canada, le terme est, depuis les années 1960, couramment associé à divers mouvements ou partis du Québec, les plus connus étant le Parti québécois (PQ) et le Bloc québécois (Bloc). Ces partis ont aussi employé les termes « souveraineté », « souveraineté-association » et « indépendance » pour décrire leur objectif premier, même si chacun recouvre un concept un peu différent.

Confédération, sécessionnisme et déroute

Le premier véritable mouvement sécessionniste au Canada émerge en Nouvelle-Écosse peu après la Confédération, en réaction à la situation économique, mais il est rapidement défait. Il faut attendre plus d’un siècle avant d’observer une autre force séparatiste sérieuse dans une province d’expression anglaise. Au Québec, le manifeste des Patriotes lors des rébellions de 1837 comporte une déclaration de sécession de la province du reste du Canada.

Après la défaite de la rébellion du Bas-Canada, le séparatisme n’existe plus comme composante véritable du nationalisme canadien-français conservateur qui domine le Québec pendant plus d’un siècle. Toutefois, des défenseurs isolés de la doctrine séparatiste surgissent. Notamment, le journaliste Jules-Paul Tardivel à la fin du 19e siècle et des nationalistes convaincus, comme l’abbé Lionel Groulx et ses partisans, « flirtent » occasionnellement avec l’idée au début des années 1920 et au milieu des années 1930.

Réémergence

Le mouvement séparatiste émerge de nouveau comme force politique au Québec contemporain à la fin des années 1950 et dans les années 1960, une époque de grands bouleversements socioéconomiques et d’intense ferveur nationaliste dans la province. La première manifestation importante de cette émergence est le mouvement gauchiste du Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN). D’abord mouvement citoyen créé le 10 septembre 1960, le RIN devient un parti politique en mars 1963. Il participe aux élections une première fois en 1966 et récolte, avec d’autres groupes séparatistes, plus de 9 % du vote québécois. De violents mouvements radicaux marginaux voués à l’indépendance sont aussi actifs durant la décennie, dont le plus connu est le Front de libération du Québec (FLQ), qui acquiert la notoriété durant la crise d’octobre de 1970.

Au Québec, le soutien populaire à l’endroit du séparatisme et des organisations qui le représentent s’accroît rapidement à la fin des années 1960 et dans les années 1970, surtout après la création du PQ en 1968 (issu de la fusion du Mouvement souveraineté-association [MSA, fondé en 1967] et du RIN). Son fondateur et chef est l’ancien journaliste de radiotélévision et ministre libéral René Lévesque, un homme à la fois dynamique et populaire. Le parti réussit à rallier la majorité des groupes politiques nationalistes de la province à son programme d’indépendance politique assortie d’une association économique (la « souveraineté-association ») avec le Canada anglais.

Victoire du parti souverainiste, défaite référendaire

Le 15 novembre 1976, le PQ est porté au pouvoir en raflant 41 % du vote populaire et 71 sièges. Il promet de reporter toute action vers l’indépendance jusqu’à la consultation de la population du Québec par voie de référendum. Au cours de la campagne du référendum du Québec de 1980, le gouvernement du Québec demande à la population de lui accorder le mandat de négocier la souveraineté-association avec le reste du Canada. Bien qu’il ne s’agisse que d’une expression modérée de l’option indépendantiste, elle est carrément rejetée le 20 mai 1980 par environ 60 % de l’électorat québécois, y compris par une majorité de Québécois d’expression française. Certains auront attribué une partie de la défaite à une remarque de la ministre péquiste de la Condition féminine, Lise Payette, comparant les femmes au foyer, que favoriserait le côté du « non », à une caricature de femme soumise.

Le PQ est néanmoins réélu en 1981 sur la base d’un programme qui promet, entre autres, le report de la question de l’indépendance pour au moins toute la durée d’un autre mandat.

Canadianisation de la Constitution

Faisant alors la campagne du « non » pour le référendum de 1980, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau promet aux Québécois qu’il renouvèlerait la Constitution canadienne, qui énonce les pouvoirs respectifs du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux. Il s’engage donc à rapatrier l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de la Grande-Bretagne – ou à assurer un transfert d’autorité vers le Parlement du Canada – et d’y inclure un nouvel acte constitutif, soit la Charte des droits et libertés.

À l’adoption de la nouvelle Loi constitutionnelle de 1982, dont les dispositions ont nécessité des mois d’intenses négociations entre Ottawa et les provinces, le gouvernement péquiste de René Lévesque est la seule province qui n’a pas signé l’entente, affirmant que ses dispositions ne sont pas acceptables aux yeux du Québec. Bien que la nouvelle constitution s’applique tout de même dans la province, l’exclusion du gouvernement du Québec de l’accord devient alors une épine politique qui animera la tendance séparatiste dans la province pour de nombreuses années. (Voir Canadianisation de la Constitution.)

L’affaire s’envenime en 1990 lorsque le nouveau gouvernement du Québec accepte d’appuyer la Constitution selon de nouvelles dispositions conjointes (fédérales‑provinciales) énoncées dans l’Accord du lac Meech. Cependant, l’accord échoue et ne devient donc pas une loi. À ce jour, le gouvernement québécois refuse son assentiment formel à la Constitution.

Sort du PQ et création du Bloc

En 1985, le soutien populaire à l’endroit du gouvernement péquiste commence à vaciller au Québec, surtout après la démission de René Lévesque cette année‑là. Le PQ est défait aux élections provinciales de 1985 par les libéraux, alors sous la direction rajeunie de l’ancien premier ministre Robert Bourassa, et il languit dans l’opposition durant le reste de la décennie. Le soutien envers la pleine indépendance politique stagne à quelque 40 % tout au long de cette période.

À la fin des années 1980, le PQ se regroupe sous la direction de Jacques Parizeau, un ancien ministre des Finances péquiste, et de souverainistes plus radicaux. Dans son programme, le PQ s’engage à déclarer l’indépendance du Québec après un vote majoritaire à un référendum sur la souveraineté.

Immédiatement après l’échec de l’Accord du lac Meech en 1990, le soutien envers l’option souverainiste s’accroît sensiblement pour atteindre environ 65 %, mais il redescend à son niveau plus habituel de quelque 40 % après une victoire serrée du PQ aux élections provinciales de 1994.

Entre-temps, en 1991, après l’échec de l’Accord du lac Meech, des membres du mouvement indépendantiste au Québec établissent un parti politique distinct au palier national, le Bloc québécois, sous la direction d’un ancien ministre conservateur fédéral, le charismatique Lucien Bouchard. Le Bloc recueille près de 50 % du vote québécois et 52 sièges aux élections fédérales de 1993 et devient le parti de l’opposition officielle à Ottawa. Son objectif premier est la promotion de la cause séparatiste sur la scène politique nationale.

Deuxième référendum

En octobre 1995, le gouvernement péquiste tient un autre référendum sur la souveraineté (voir Référendum du Québec (1995)). Il envisage de négocier un éventuel partenariat économique avec le Canada anglais après un vote majoritaire en faveur de la souveraineté. À peu près à mi-chemin de la campagne, le premier ministre Jacques Parizeau cède la direction de fait du camp du « Oui » à Lucien Bouchard, qui est plus populaire. Les souverainistes perdent par un fil le référendum du 30 octobre, obtenant 49,4 % des voix contre 50,6 % pour les fédéralistes, mais ils recueillent une majorité considérable parmi l’électorat francophone. Jacques Parizeau démissionne après avoir scandalisé la population en attribuant la défaite référendaire aux groupes ethniques et à « l’argent ». Il est remplacé par Lucien Bouchard comme premier ministre.

Durant la première partie de son mandat de premier ministre, Lucien Bouchard se consacre essentiellement à l’élimination du déficit et au redressement de l’économie du Québec. Le projet de souveraineté est mis en veilleuse. En même temps, le gouvernement fédéral commence à élaborer un plan cohérent afin de combattre les menaces futures du Québec séparatiste.

Réponse fédérale et déclaration de la Cour suprême

Le premier ministre Jean Chrétien nomme Stéphane Dion, universitaire fortement opposé à la souveraineté du Québec, ministre des Affaires intergouvernementales, et lui donne la responsabilité de formuler la nouvelle stratégie. Stéphane Dion organise son approche sur deux fronts, qu’il nomme « plan A » et « plan B ». Le « plan A » consiste en des incitations positives et des mesures apaisantes afin de rallier l’opinion publique du Québec francophone à la cause fédéraliste, telle que le vote d’une résolution à la Chambre des Communes déclarant le Québec « société distincte ». Selon le « plan B », qui consiste en des mesures plus coercitives, il ordonne à son ministère de demander à la Cour suprême du Canada un avis consultatif sur la légalité d’une sécession unilatérale du Québec en vertu de la Constitution canadienne sur les plans national et international. Le gouvernement du Québec refuse de reconnaître l’autorité de la Cour suprême sur ce sujet.

Le 20 août 1998, la Cour rend sa décision. Elle déclare unanimement que, selon le droit national et constitutionnel, le gouvernement du Québec ne pourrait entreprendre un processus légal de sécession. Cependant, face au consentement d’une majorité claire de la population du Québec, en réponse à une question claire dans le cadre d’un référendum (et la Cour laisse aux politiciens le soin de définir ce que signifient une question et une majorité claires), le gouvernement fédéral et les autres provinces du Canada seraient obligés de négocier de bonne foi avec les représentants élus du Québec. Les deux camps considèrent cette décision comme une victoire.

Projet de loi sur la clarté

Par la suite, Stéphane Dion élabore un projet qui sera connu sous le nom de Projet de loi sur la clarté (Projet de loi C-20). Il définit les termes selon lesquels un « Oui » comme résultat de vote à un référendum sera considéré comme la réponse d’une « majorité claire » à une « question claire ». Il faudra plus qu’une majorité simple (50 % plus une), bien que le Projet de loi sur la clarté ne précise pas les paramètres exacts de ce que constituerait une majorité claire. La Loi sur la clarté est adoptée en juin 2000.

Le premier ministre Lucien Bouchard ne parvient pas à mobiliser de nouveaux soutiens pour la cause séparatiste; cet échec, ainsi que des critiques internes émanant des éléments séparatistes « purs et durs », semblent provoquer sa démission du poste de premier ministre et de président du Parti québécois (PQ) en janvier 2001. En mars 2001, Bernard Landry, membre important du PQ depuis longtemps, lui succède. Depuis lors, malgré une réaffirmation claire et solide de son engagement envers la souveraineté du Québec, il ne peut remplir sa promesse. Le soutien pour l’indépendance du Québec baisse à environ 40 %, son niveau le plus bas depuis le référendum de 1980.

Diversification sociale du soutien pour l’indépendance

Dans sa période initiale, au cours des années 1970, la forme moderne du séparatisme au Québec attire beaucoup les nouvelles classes moyennes, en particulier celles liées aux structures de l’État et dont les aspirations sont tournées vers d’autres secteurs bureaucratiques en expansion de la société. Quarante ans plus tard, ses principaux partisans, tant parmi la base que parmi ses dirigeants, continuent à être des membres des professions libérales (enseignants, administrateurs et spécialistes en médias), des cols blancs et des étudiants. Les syndiqués, qui forment le noyau de ses partisans les plus nationalistes et les plus préoccupés par les questions sociales, l’appuient aussi en masse.

Depuis les années 1980, le séparatisme a également gagné du terrain dans le secteur des affaires et des professions libérales traditionnelles comme la médecine et le droit. Toutefois, ces groupes continuent à répondre aux appels politiques en faveur du Canada, qu’ils perçoivent comme étant plus propices à leurs intérêts économiques. Et surtout, une nouvelle génération de jeunes francophones dans la vingtaine et le début de la trentaine paraît plus ouverte aux questions économiques. Ils sont plus individualistes, plus conservateurs en matière d’économie et ne paraissent pas aussi favorables au séparatisme que l’était la génération précédente.

Jusqu’à présent, vu son appui du français comme langue officielle ayant primauté au Québec, la cause séparatiste a très peu gagné d’adeptes parmi les anglophones et les allophones, qui comptent pour près de 20 % de la population du Québec.

Diversification politique de l’après-référendum

Le mouvement d’indépendance au Québec verra la naissance de plusieurs partis depuis l’émergence et la victoire électorale initiale du PQ en 1976.

Le premier nouveau parti à obtenir une représentation au sein de l’Assemblée nationale est l’Action démocratique du Québec (ADQ) : l’unique siège du parti revient à son chef, Mario Dumont. L’ADQ est plus à droite que le PQ, traditionnellement social-démocrate. Fondée en 1994 par de jeunes dissidents du Parti libéral du Québec (PLQ), l’ADQ se met dans le camp du « Oui » lors de la campagne référendaire de 1995. Il se présente cependant à long terme comme étant une troisième voie entre le PLQ et le PQ. En 2007, l’ADQ connaîtra un bref moment de victoire relative en un contexte de gouvernement minoritaire en remportant 41 sièges contre 48 pour le PLQ, étant ainsi à la charnière des partis avant de voir s’effondrer ses gains – ne gagnant qu’un total de 7 sièges – aux élections de l’année suivante.

Parti indépendantiste résolument de gauche, Québec solidaire (QS) s’oppose tant à l’ADQ qu’aux autres partis principaux. Il voit le jour en 2006 et prône la justice sociale et les questions écologiques autant que la souveraineté. Cependant, il ne gagne qu’un siège en 2008 et deux en 2012.

De son côté, le parti de droite Coalition Avenir Québec (CAQ), sous la direction de l’ancien ministre péquiste François Legault, absorbe l’ADQ en 2011 et son parti récolte 19 sièges aux élections de 2012. Cependant, malgré les antécédents souverainistes de son leader, la CAQ déclare d’abord vouloir mettre en veilleuse pendant dix ans tout projet référendaire afin de se concentrer sur l’économie. Puis, Legault avoue en 2012 qu’il voterait non à la question de l’indépendance si elle se posait immédiatement.

Séparatisme dans l’Ouest canadien

Le Canada anglais connaît aussi au début des années 1980 une certaine activité séparatiste, tout particulièrement en Alberta, qui prend forme sous la bannière du parti Western Canada Concept. Les objectifs du parti sont de tenter de réparer les injustices perçues dans l’Ouest concernant des questions comme les tarifs marchandises, les barrières douanières, le prix du pétrole, le bilinguisme et la représentation de l’Ouest au sein du parti fédéral au pouvoir, et, sinon, de promouvoir la séparation d’avec le reste du Canada. Le parti ne réussit cependant pas à convaincre l’électorat, n’obtenant qu’un siège lors d’une élection partielle provinciale en Alberta.

L’appui au séparatisme de l’Ouest a aujourd’hui presque disparu, malgré l’émergence de partis variés tels que le Western Block (fondé en 2005), ou le Separation Party of Alberta (fondé en 2003), qui n’ont pas su récolter de sièges au parlement provincial. En fait, lors des élections de 2012, le Separation Party n’aura attiré que 68 votes dans toute la province. De même, immédiatement à l’est, le Western Independence Party et le Western Independence Party of Saskatchewan n’ont pas enregistré de gains significatifs auprès de l’électorat.

Voir aussi : Adversaires de la Confédération.