Regina Seiden | l'Encyclopédie Canadienne

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Regina Seiden

À la manière d’autres artistes montréalais comme Prudence Heward, Regina Seiden s’est spécialisée à peindre des portraits de femmes, y compris des représentations d’immigrantes au Canada.

Regina Seiden, peintre (née le 4 juillet 1897 à Rigaud, au Québec; décédée le 11 janvier 1991 à Montréal, au Québec). À la manière d’autres artistes montréalais comme Prudence Heward, Regina Seiden a surtout peint des portraits de femmes, y compris des représentations d’immigrantes au Canada. Elle a cessé de peindre peu de temps après son mariage au peintre juif allemand Eric Goldberg (1890‑1969) pour se consacrer à leur relation et à la carrière de son époux. Après le décès de celui‑ci, elle a recommencé à peindre, mais n’a jamais retrouvé l’élan de ses jeunes années. Malgré sa courte carrière, Regina Seiden est aujourd’hui reconnue comme une artiste montréalaise importante du début du 20e siècle, associée étroitement au Groupe de Beaver Hall.

Enfance

La famille Seiden immigre au Canada depuis la Galicie (petit royaume chevauchant la Pologne et l’Ukraine modernes dans ce qui fait alors partie de l’Empire austro‑hongrois) vers 1890 pour échapper aux pogroms antisémites. La famille s’établit à Rigaud, au Québec, en 1895, et Regina Seiden naît le 4 juillet 1897. Son père, Wolfe Seiden, propriétaire d’un magasin général à Rigaud, meurt en 1899. Son épouse, Jente Seiden, continue à gérer le magasin avec l’aide de l’un de ses trois fils. La famille Seiden, malgré qu’elle soit la seule famille juive à Rigaud à ce moment‑là, conserve ses traditions religieuses : consommation de nourriture kasher et célébration de fêtes juives. Regina Seiden, sa mère, ses trois frères et sa sœur aînée déménagent à Montréal en 1905.

Formation

À Montréal, Regina Seiden et sa sœur fréquentent l’Académie Marie‑Rose, une école privée française tenue par un ordre catholique. Regina Seiden y étudie de 1905 à 1912 ou 1913. Elle démontre très tôt un talent artistique. Les religieuses qui lui enseignent l’encouragent donc à poursuivre une carrière de peintre. De 1912 à 1919 environ, elle étudie à l’Art Association of Montreal (AAM) aux côtés de William Brymner et Maurice Cullen. M. Brymner, directeur des cours de l’AAM de 1886 à 1921, est une influence importante pour elle. Il connaît bien le modernisme français et encourage ses étudiants à trouver leur style individuel, basé sur une observation attentive.

Malgré le fait qu’il y a peu de femmes artistes professionnelles au Canada à l’époque, William Brymner encourage ses étudiantes à poursuivre des carrières artistiques. Regina Seiden est formée en même temps que plusieurs autres femmes artistes qui deviendront membres du Groupe de Beaver Hall, ainsi que des artistes qui sont associés avec ce groupe, comme Prudence Heward. Contrairement à ces autres artistes, Regina Seiden ne tisse pas de liens d’amitié durables, possiblement à cause de son appartenance culturelle. Néanmoins, elle expose ses œuvres lors des deux expositions annuelles du Groupe de Beaver Hall : la première en janvier 1921, la seconde en janvier 1922.

Expositions

Les œuvres de Regina Seiden sont reconnues à la fois par l’Art Association of Montreal (AAM) et la presse artistique canadienne. L’artiste mérite plusieurs mentions honorables et reçoit une bourse en 1915 qui équivaut à deux ans de frais de scolarité. En 1917, elle reçoit un prix pour ses dessins et peintures en plein air, une pratique popularisée par les impressionnistes, comme Claude Monet. En 1916, en 1917 et en 1918, Regina Seiden remporte le prix Robert Reford, décerné par l’AAM pour la meilleure peinture par un étudiant. La presse locale commente positivement ses contributions aux deux expositions du Groupe de Beaver Hall en 1921 et en 1922. Elle participe régulièrement à l’exposition printanière de l’AAM de 1915 à 1930, et contribue souvent aux expositions annuelles de l’Académie royale des arts du Canada de 1916 à 1927. De façon significative, ses œuvres sont exposées dans les British Empire Exhibitions à Wembley de 1924 et de 1925, ainsi qu’à l’Exposition d’art canadien de 1927 au Musée du Jeu de Paume à Paris. Eric Brown, directeur du Musée des beaux‑arts du Canada à l’époque, espère que ces expositions attireront l’attention internationale sur l’art canadien, surtout sur le travail du Groupe des sept. Les critiques français sont en fait indifférents par rapport aux peintures du Groupe des sept : un critique en particulier cherche à savoir s’il y a de belles femmes au Canada, ou bien s’il n’y a que des paysages.

Ayant reçu sa formation en France, William Brymner encourage ses étudiants à faire séjour à Paris. Suivant ses conseils, Regina Seiden déménage à Paris pour y poursuivre sa formation et s’inscrit dans la section féminine de l’Académie Julian en 1921. Pendant son séjour, elle partage un studio avec des étudiantes américaines. Ensemble, elles se rendent à Florence et à Venise, où Régina Seiden peint, entre autres, Vieux palais, Venise, présenté à l’exposition printanière de l’AAM en 1923.

L’artiste retourne à Montréal à la fin de l’été 1922. Les quatre ans qui suivent, avant son retour en Europe, sont les plus productifs de sa carrière. Elle loue une chambre, qu’elle utilise comme studio, sur l’avenue McGill College. Pendant cette période, elle peint ses œuvres les mieux connues, y compris Vieille femme immigrante (1922) et Dora (1923). Ces œuvres indiquent que Regina Seiden préfère peindre les portraits de modèles vivants. L’historienne de l’art Barbara Meadowcroft suggère que Vieille femme immigrante représente un lien avec le passé culturel de l’artiste, car celle‑ci a rendu visite à la famille de sa mère à Vienne pendant le temps qu’elle a vécu à Paris et aurait pu choisir le modèle à cause d’un sentiment de parenté avec cette femme. Lorsque Regina Seiden expose la peinture en 1922, elle appelle le portrait Vieille femme. Dans la Canadian Jewish Review, le sujet féminin est décrit comme une « vieille juive ». Il est donc présumé que le modèle était une immigrante, car les familles juives commencent à arriver en grand nombre à Montréal à la fin du 19e siècle.

Œuvres importantes

Regina Seiden se spécialise en portraits féminins, bien qu’elle peigne également des paysages et des scènes de genre. Contrairement au Groupe des sept torontois, bon nombre d’artistes montréalais du début du 20e siècle se concentrent sur le sujet humain. En 1919, le Musée des beaux‑arts du Canada achète le tableau Portrait de Regina Seiden, une peinture qui représente Rae Kirsch (une jeune juive, amie de la famille Seiden) dans une robe du soir rose et tenant un éventail noir. Le Musée, qui commence à l’époque à constituer sa collection de peintures canadiennes, achète donc Portrait (1919) de Regina Seiden à l’exposition de l’Académie royale des arts du Canada. Il s’agit du seul achat effectué par le Musée lors de cette exposition. En 1924, le Musée achète un autre portrait de Regina Seiden, celui d’une jeune poète, Dora (1923), qu’il achète également d’une exposition de l’Académie royale des arts du Canada. Enfin, le Musée achète Nus (1925), qui représente deux femmes assises l’une à côté de l’autre, en 1926 pour 500 $.

Le modèle pour Dora est Theodora Gidlow, une jeune poète dont les écrits paraissent dans des publications américaines, y compris dans Pearson’s Magazine. Theodora Gidlow publie ses poèmes sous le pseudonyme Audrey Singleton. Regina Seiden rencontre la poète dans l’édifice de l’avenue McGill College où elle a son studio. La sœur aînée de Theodora Gidlow, la poète et journaliste britanno‑américaine Elsa Gidlow, loue une chambre dans le même édifice.

Outre Vieille femme immigrante (1922), Regina Seiden peint Portrait d’une fille sud‑américaine (1927), qui représente une jeune femme réservée, avec les cheveux foncés ramenés en arrière et des vêtements sobres. Ses yeux sont baissés et ses mains sont posées calmement sur les genoux. Cette représentation d’une femme latino‑américaine contraste avec certains stéréotypes culturels des femmes de l’Amérique du Sud, comme celui selon lequel celles‑ci portent des couleurs vives et des vêtements tourbillonnants. En 1925, Regina Seiden expose une œuvre intitulée Une Polonaise à l’Académie royale canadienne et, en 1926, son œuvre Deux sœurs de Kiev fait partie de l’exposition printanière de l’Art Association of Montreal. Cela laisse supposer qu’elle a un intérêt particulier à peindre les immigrantes.

Mariage

En 1926, Regina Seiden retourne à Paris. Ce séjour d’un an est financé par ses frères et par la vente de ses œuvres, y compris d’une série de « portraits ancestraux » commandés par la famille Taschereau, l’une des familles les plus anciennes et les plus distinguées du Québec. L’artiste se base sur des photographies pour réaliser ces portraits et, comme la famille le lui demande, elle ne signe pas ses tableaux.

C’est au cours de ce deuxième séjour en Europe qu’elle rencontre le peintre allemand Eric Goldberg, né à Berlin en 1890. Fils d’un portraitiste allemand, il est reconnu à l’échelle internationale comme un éminent artiste et professeur. Regina Seiden entretient rapidement avec lui une liaison romantique et, bien qu’elle poursuive son travail dans son propre studio, elle le rencontre chaque soir. Enfin, croyant que sa famille s’y attend, Regina Seiden ressent l’obligation de se marier.

Le couple retourne à Montréal en 1927 et se marie en juin 1928. Les deux artistes passent les sept prochains mois en Palestine, où ils peignent tous les deux. Finalement, ils partent en raison d’une montée des violences et retournent à Paris, où ils louent un grand studio avec l’intention d’y peindre : elle à une extrémité de l’espace; lui à l’autre. Cependant, après quelques mois à peine, Regina Seiden cesse de peindre. En 1930, elle participe à sa dernière exposition pour plusieurs années. Barbara Meadowcroft avance l’hypothèse que cette décision d’abandonner la peinture serait due au fait que l’artiste a été élevée dans une famille juive traditionnelle et éduquée dans une école catholique. La plupart des artistes féminines travaillant à Montréal au début du 20e siècle restent célibataires, à l’exception de Lilias Torrance Newton, qui se marie et divorce ensuite.

Regina Seiden et Eric Goldberg mènent une vie culturelle riche à Paris. Ils rencontrent, entre autres, le peintre Marc Chagall et le psychiatre Otto Rank. Ils passent aussi un certain temps dans une colonie d’artistes à Tossa de Mar, en Espagne. En 1935, ils rentrent à Montréal, la guerre étant une fois de plus sur le point d’éclater en Europe. Prévoyant retourner à Paris, ils y laissent tous les tableaux que Regina Seiden a créés avant et juste après son mariage.

Fin de vie

Regina Seiden et Eric Goldberg retournent à Montréal à un moment où les artistes ont de la difficulté à gagner leur vie. Le couple organise donc un cours d’art à la synagogue Shaar Hashomayim à Westmount, un quartier aisé de Montréal. De 1949 à 1969, Regina Seiden enseigne avec Eric Goldberg et se charge de tout le travail administratif. Bien qu’elle ne peigne pas activement à l’époque, elle est membre, tout comme son époux, de la Société d’art contemporain (de 1940 à 1948), fondée par l’artiste John Lyman comme une collectivité pour les peintres modernistes plus progressifs de Montréal.

Eric Goldberg meurt le 17 février 1969. C’est alors que Regina Seiden souffre d’une crise émotionnelle et doit être hospitalisée. Après sa convalescence, elle redémarre le cours d’art à la synagogue Shaar Hashomayim. En avril 1976, on organise une exposition de ses œuvres à la bibliothèque de la synagogue, mais les tableaux sont surtout de petites peintures à l’huile qui datent des années 1920. L’artiste abandonne l’enseignement et déménage en Floride en 1976. Elle s’éteint à Montréal le 11 janvier 1991, à 93 ans.

Héritage

Comme l’a observé Barbara Meadowcroft, Regina Seiden est largement oubliée par les historiens de l’art après 1930 – malgré la rétrospective de 1976 à la synagogue Shaar Hashomayim – à cause de sa décision d’abandonner sa carrière de peintre. Cependant, pendant les années 1970, les historiens de l’art féministe commencent à écrire au sujet des artistes féminines et à exposer leurs œuvres. Cette « redécouverte » des artistes féminines est connue comme le projet de récupération de l’histoire de l’art féministe. Barbara Meadowcroft y contribue en écrivant un article sur le travail de Regina Seiden en 1998. Cet article s’inspire en grande partie des mémoires inédites de l’artiste, écrites au cours des années 1980 et conservées dans la collection Goldberg/Seiden des Archives juives canadiennes Alex Dworkin à Montréal. Le nom de Regina Seiden figure désormais parmi ceux d’autres grands artistes montréalais. Ses œuvres sont présentées dans des expositions d’importance comme Une modernité des années 1920 : Montréal, le Groupe de Beaver Hall (2015) au Musée des beaux‑arts de Montréal.