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Mifflin Gibbs

Mifflin Wistar Gibbs, politicien, juge, diplomate, banquier, entrepreneur (né le 17 avril 1823 à Philadelphie, en Pennsylvania; décédé le 11 juillet 1915, à Little Rock, en Arkansas). Mifflin Gibbs est une figure connue de l’histoire américaine et canadienne. Sur une période d’un peu plus de dix ans en Colombie-Britannique coloniale, il prospère en affaires, donne une voix à la communauté noire, agit en tant qu’élu et contribue à l’entrée de la province dans la Confédération. Mifflin Gibbs est le premier Noir élu à une charge publique dans ce qui est maintenant la Colombie-Britannique.
Mifflin Gibbs

Formation et début de carrière

Né à Philadelphie, en Pennsylvanie, le 17 avril 1823, Mifflin Gibbs, homme libre, grandit dans une famille pauvre. À huit ans, il travaille cependant déjà pour aider à subvenir aux besoins de sa mère, veuve, et de ses frères cadets. Il reçoit peu d’éducation. En revanche, il dévore les livres et apprend le métier de charpentier. Jeune homme, il s’éduque auprès des sociétés littéraires noires dont il est membre.

Mifflin Gibbs s’implique dans le mouvement antiesclavagiste des années 1840, travaille pour le Chemin de fer clandestin et accompagne Frederick Douglass dans le cadre d’une tournée de conférences sur l’abolition de l’esclavage.

Trouvant peu de débouchés à Philadelphie, Mifflin Gibbs se rend à San Francisco en 1850. Là-bas, il travaille comme menuisier avant de devenir marchand de bottes. La Californie, État pourtant libre, se montre hostile envers les Noirs et tolérante à l’égard des Américains du sud qui s’y installent avec leurs esclaves. En 1858, la collectivité noire de San Francisco décide de se relocaliser.

Carrière au Canada

Mifflin Gibbs, sur l’invitation du gouverneur James Douglas, se joint à plusieurs centaines de Noirs ayant quitté la Californie pour venir s’installer dans la colonie de l’île de Vancouver. La ruée vers l’or du fleuve Fraser bat son plein, et le gouverneur Douglas est à la recherche de colons non américains pour compenser la migration américaine attendue. (Selon la décision Dred Scott rendue en 1857 par la Cour suprême des États-Unis, les Afro-Américains ne sont pas reconnus comme citoyens américains.)

« Les affaires dans l’État de Californie ne nous inquiétaient pas; par contre, il planait toujours le spectre du déni et de la privation des droits. De plus, nous étions bien conscients que même si notre présence était tolérée, nous avions peu de recours juridiques si notre vie ou nos biens étaient menacés. La Colombie-Britannique nous offrait une protection à cet égard, ainsi que des privilèges politiques égaux... C’est ainsi que trois ou quatre cents hommes de couleur de Californie et d’autres États, accompagnés de leur famille, sont venus à Victoria, attirés par un incitatif double : la découverte d’or dans la région et la promesse de jouir des bienfaits de la liberté constitutionnelle. »
— Mifflin Gibbs dans Shadow and Light: An Autobiography with Reminiscences of the Last and Present Century

À Victoria, Mifflin Gibbs prospère dans un marché immobilier en pleine effervescence. À titre d’exemple, le lendemain de son arrivée à Victoria, il achète une propriété pour un montant de 3 000 $. De même, lui et son partenaire d’affaires Peter Lester sont les premiers concurrents de la Compagnie de la Baie d’Hudson, vendant aliments et équipement aux mineurs qui passent par Victoria pour parvenir aux champs aurifères du fleuve Fraser.

Marchand prospère, Mifflin Gibbs rentre aux États-Unis pour courtiser, puis épouser Maria Ann Alexander, avec qui il a étudié au collège Oberlin. On croit qu’il aurait fait sa connaissance durant sa tournée de conférences avec Frederick Douglass. Le couple s’installe à Victoria, où il a cinq enfants. Mifflin Gibbs poursuit diverses carrières.

Activité politique

Mifflin Gibbs s’implique activement en politique coloniale, mobilisant les électeurs noirs et se portant candidat à plusieurs reprises. C’est surtout la promesse du droit de vote qui incite les Afro-Américains à venir s’installer dans la colonie (voir Droit de vote des Noirs au Canada). En 1860, 18 d’entre eux, y compris Mifflin Gibbs, votent pour les délégués à la Chambre d’assemblée, appuyant le gouverneur James Douglas plutôt que la faction dirigée par l’éditeur de journaux (et futur premier ministre) Amor de Cosmos. Il s’agit d’un scrutin public. On constate donc rapidement que les Noirs ont fait basculer l’élection en faveur de James Douglas, et les représailles amères d’Amor de Cosmos ne se font pas attendre. Mifflin Gibbs défend alors énergiquement les électeurs noirs. Plus tard, toutefois, il travaillera de manière constructive avec Amor de Cosmos lors de la convention de Yale.

En 1866, Mifflin Gibbs devient le premier Noir élu à une charge publique dans ce qui est maintenant la Colombie-Britannique lorsqu’il remporte un siège au conseil municipal de Victoria. (Il est alors le deuxième représentant élu noir du Canada actuel, et le troisième en Amérique du Nord.) Mifflin Gibbs préside le comité des voies et moyens, rembourse la dette de la Ville et assume pendant un certain temps les fonctions de maire par intérim (voir Gouvernement municipal).

Mifflin Gibbs s’exprime en faveur de la Confédération à l’époque où la colonie de la Colombie-Britannique actuelle envisage de se joindre au Dominion du Canada. En 1868, Mifflin Gibbs agit en tant qu’élu délégué de la Confederation League pour l’île Saltspring lors de la convention de Yale, un événement réunissant 26 délégués ayant élaboré les modalités selon lesquelles la Colombie-Britannique devrait rejoindre la Confédération (voir Colombie-Britannique et la Confédération).

En 1869, Mifflin Gibbs prend la charge d’un projet d’extraction de charbon sur Haida Gwaii (à l’époque, les îles de la Reine-Charlotte), où il construit le premier tramway de la Colombie-Britannique, mis en place pour acheminer le charbon aux voies maritimes. Le défi est de taille, tant sur le plan de l’administration que de l’ingénierie. Il quitte son siège au conseil municipal, espérant mener à terme ce projet.

Carrière aux États-Unis

En 1867, Maria Gibbs ramène les enfants à Oberlin. Concluant ses projets à Victoria, Mifflin Gibbs les y rejoint trois ans plus tard. Bien que le couple ait mis fin à sa relation, il semble entretenir des liens amicaux. Après des études de droit à Oberlin, Mifflin Gibbs sillonne le sud des États-Unis; c’est l’époque de la « reconstruction », et les Noirs jouissent pour l’instant d’une certaine influence politique. Le frère de Mifflin Gibbs, Jonathan, est justement secrétaire d’État de la Floride. Il dort pourtant régulièrement dans le grenier de sa maison, préoccupé par les menaces que profère le Ku Klux Klan, organisation qui en est alors à ses débuts.

Mifflin Gibbs s’installe plutôt à Little Rock, en Arkansas, où il ouvre un cabinet d’avocats en 1872. Il est élu juge municipal l’année suivante. Mifflin Gibbs travaille pendant plusieurs années comme fonctionnaire d’État pour le Parti républicain. En 1898, à l’âge de 75 ans, ses longues années de service sont récompensées : on le nomme consul américain à Tamatave, au Madagascar. Là-bas, le climat et les conditions de travail sont difficiles, si bien qu’en 1901, le politicien démissionne pour des raisons de santé.

À son retour à Little Rock, Mifflin Gibbs écrit Shadow and Light, une autobiographie qu’il publie lui-même. Il fonde également en 1903 une nouvelle institution bancaire au service de la communauté noire. Celle-ci connaît initialement des résultats prometteurs. Cependant, le sens des affaires de Mifflin Gibbs, alors octogénaire, semble lui faire défaut, et la banque doit fermer ses portes en 1908, étant devenue insolvable en raison d’une mauvaise gestion. Mifflin Gibbs est forcé de verser un important règlement, mais parvient à garder intacte sa fortune personnelle. Il s’éteint le 11 juillet 1915 à l’âge de 92 ans.

Importance et héritage

Même si Mifflin Gibbs, au moment de sa mort, est un homme riche et influent — malgré les lois Jim Crow, si défavorables aux Noirs —, il en fait peu pour préserver ou faire connaître ses réalisations. Même son autobiographie, bien que fiable, omet certaines parties importantes de sa vie. Bien qu’il n’y vive que pendant un peu plus d’une décennie, Mifflin Gibbs laisse en Colombie-Britannique une trace indélébile. Son activisme politique fait en sorte que les administrateurs de la colonie tiennent leur promesse d’accorder le droit de vote aux colons noirs de Colombie-Britannique. En organisant une coalition d’électeurs noirs et, plus tard, en remportant un siège au conseil municipal de Victoria , il contribue à donner à sa communauté une voix auprès des gouvernements locaux, en plus de lui donner accès à des structures de pouvoir essentielles.

En 2016, la Ville de Victoria déclare le 19 novembre « Journée Mifflin Wistar Gibbs » en l’honneur de la première personne de race noire à être élue à une charge publique dans la province. L’année suivante, Mifflin Gibbs est reconnu comme personne d’importance historique nationale par Parcs Canada; une plaque en bronze lui est dédiée.