La Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Commission Parent) | l'Encyclopédie Canadienne

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La Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (Commission Parent)

La Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec (1961-1964) aura un impact majeur sur la structuration du système éducatif québécois. Elle recommandera en effet l’adoption de nouvelles méthodes pédagogiques, ainsi que la création de nouvelles structures, notamment le ministère de l’Éducation, les écoles polyvalentes, les cégeps et le réseau de l’Université du Québec.

Les membres de la Commission d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec.

De gauche à droite: Mgr Alphonse-Marie Parent, président; M. Gérard Filion, vice-président; Mme Jeanne Lapointe, M. Paul Laroque; M. John McIlhone; M. David Munroe; M. Guy Rocher; Soeur Marie-Laurent de Rome de la congrégagion de Sainte-Croix; M. Arthur Tremblay et M. Paul Laroque, commissaire-adjoint.

Photo: La bibliothèque numérique Les Classiques des sciences sociales, Université du Québec à Chicoutimi

Histoire

Après la Deuxième Guerre mondiale, certains intellectuels et politiciens du Québec déplorent l’infériorité socioéconomique des Canadiens français et cherchent des mécanismes permettant de les «libérer» intellectuellement, économiquement et politiquement (voir Révolution tranquille; Les insolences du frère Untel). À l’époque, l’enseignement est assuré en majorité par les religieux, dont plusieurs n’ont ni baccalauréat ni autre formation reconnue en pédagogie; les méthodes pédagogiques sont peu développées et les punitions corporelles sont toujours appliquées. Les comités catholique et protestant du Conseil de l’instruction publique détiennent «une autorité exclusive sur les programmes et le personnel enseignant des écoles primaires», selon l’historienne Louise Bienvenue, tandis que les écoles de métiers et les instituts professionnels côtoient les collèges classiques, «des établissements privés réservés à l’élite et contrôlés par le clergé, [qui] constituaient alors la seule porte d’entrée à l’université». En 1960, 13% des Québécois francophones terminent leur 11e année et 4% fréquentent l’université, contre 11% chez les jeunes anglophones.

Jean Lesage
Son parti arrive au pouvoir en 1960 et introduit les nombreuses réformes collectivement appelées Révolution tranquille.
(avec la permission de La Presse)

Une intervention gouvernementale

Pour favoriser le développement économique et la demande de main-d’œuvre plus scolarisée, le gouvernement libéral crée, le 24 mars 1961, la Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la province de Québec, appelée Commission Parent. Elle a pour mandat, entre autres, de proposer dans ses recommandations des moyens de remédier au retard de scolarisation des Canadiens français, de corriger les disparités interrégionales et de réformer les institutions d’enseignement. À l’annonce de sa création, le premier ministre Jean Lesage explique:

Nous voulons faire le point. Nous voulons connaître la situation exacte. Nous voulons découvrir les faits pertinents et découvrir les lacunes. Et, à partir des recommandations des enquêteurs, là le gouvernement sera en mesure d’effectuer ou d’instaurer les réformes nécessaires.

La Commission sera présidée par le vice-recteur de l’Université Laval, monseigneur Alphonse-Marie Parent, auquel se joignent le journaliste Gérard Filion, le sociologue Guy Rocher, ainsi que d’autres personnalités associées au monde de l’éducation.

Les commissaires adoptent la perspective selon laquelle l’éducation est un bien commun essentiel à l’épanouissement social, culturel et humain de la personne et à l’enrichissement collectif, et non seulement une nécessité sur le plan économique. Selon le politologue Claude Corbo, la commission voit l’éducation comme «un processus par lequel la société forme sa relève».

Les recommandations de la Commission Parent

Les travaux de la Commission s’étalent sur trois ans et déboucheront sur un rapport de trois tomes en cinq volumes et présenteront plus de 500 recommandations.

Elle propose, entre autres, l’école obligatoire gratuite jusqu’à l’âge de 16 ans et jusqu’à la 11e année, l’abolition des collèges classiques, la création d’écoles polyvalentes et de collèges d’enseignement général et pratique (cégep), la gratuité des études préuniversitaires, la création d’une Université du Québec (dotée de campus régionaux), l’établissement d’un régime de prêts et bourses pour les étudiants, le transfert de la formation des éducateurs des écoles normales aux facultés universitaires d’éducation, ainsi que la création d’un ministère de l’Éducation.

Lors de la publication du premier tome, le 8 mai 1963, monseigneur Parent ne croit pas que la création d’un ministère dédié à l’éducation favorisera l’ingérence politique dans le milieu de l’enseignement, mais qu’un tel ministère plutôt de l’éducation un sujet de débat entre citoyens; ce serait dans la nature même de la démocratie. Le Rapport Parent propose donc l’organisation d’un régime éducatif intégré, de la maternelle à l’université, dirigé par un ministère de l’Éducation; ce dernier verra le jour en 1964. L’établissement d’une école secondaire polyvalente, ouverte à tous, qui offre des cours généraux obligatoires et des cours techniques et professionnels à option permet aux élèves de suivre «des cheminements diversifiés selon les talents et les centres d’intérêts de chacun», selon Claude Corbo. Les sciences, les technologies et certains pans des sciences sociales et humaines prendront une importance comparable aux programmes des études classiques orientées, elles, vers le droit, le notariat, la médecine et la prêtrise.

La mise en œuvre des recommandations

En février 1966, on annonce le regroupement des écoles catholiques au sein de 55 commissions scolaires catholiques et l’instauration de neuf commissions scolaires protestantes. L’obligation de fréquenter l’école jusqu’à l’âge de 15 ans et la croissance démographique provoquée par le baby-boom ont fait doubler en quatre ans le nombre d’élèves dans les écoles secondaires de la province; la population scolaire croît de 10% par année et atteint 1,6 million d’élèves. Nombreux sont les chantiers de construction de nouvelles écoles et des cégeps, dont l’ouverture est prévue en septembre 1967.

Le cégep, nouvel ordre d’enseignement entre le secondaire et l’université, sera unique en Amérique du Nord. Établis sur l’ensemble du territoire québécois, les cégeps offrent une formation préparatoire à l’université et une formation technique conduisant au marché du travail. Des cours communs de français et de philosophie sont mis en place pour éviter, selon Georges Leroux, un trop grand «clivage entre les formations générale et technique», assurer «l’homogénéité des cohortes» et «garantir à la jeunesse une formation citoyenne unifiée».

La Commission Parent souhaite garantir «l’autonomie institutionnelle et la liberté académique» des universités, considérées comme des institutions de service public, en recommandant que les conseils d’administration soient composés de représentants du milieu universitaire et de la société civile. À la fin des années 1960, une conjoncture est favorable à la création de nouvelles universités: les enfants du baby-boom arrivent à l’âge adulte et on constate que la participation grandissante aux études secondaires fait aussi accroître l’intérêt pour les études, y compris les études supérieures. Le Rapport Parent propose de créer en région des «centres universitaires» de premier cycle, essentiellement voués à la formation. Or, l’Université du Québec comprendra aussi des programmes de recherche et de formation aux cycles supérieurs dans des secteurs clés des régions, notamment l’océanographie à Rimouski, l’aluminium à Chicoutimi, les mines en Abitibi, la foresterie à Trois-Rivières. Quant au campus montréalais, on visera l’amélioration de l’accessibilité et le développement de domaines de recherche originaux.

Les legs du Rapport Parent

Dans les décennies qui suivent le Rapport Parent, le nombre de personnes ayant terminé des études secondaires et postsecondaires, les femmes et les minorités en particulier, augmente de manière considérable. Toutefois, l’idéal de la Commission Parent n’est pas encore atteint dans la deuxième décennie du 21e siècle, car 26% des jeunes abandonnent leurs études secondaires avant l’obtention du diplôme; ce chiffre s’élève à 59% dans les quartiers les plus défavorisés de Montréal, voire même à 70% dans certaines communautés autochtones, et touche en particulier les élèves ayant des «difficultés d’adaptation, d’apprentissage ou d’autres handicaps». Le soutien à la motivation des élèves est primordial selon la professeure Monique Brodeur.

Selon Georges Leroux, le Printemps érable de 2012 s’inscrit dans «les valeurs d’accessibilité et d’égalité prônées par le Rapport Parent», notamment en rappelant sa recommandation selon laquelle la gratuité scolaire doit s’étendre éventuellement à l’université, et il renouvelle «la réflexion sur les finalités de l’éducation».

Carré rouge (Grève étudiante québécoise de 2012)
(Par Riba, via Wikimedia Commons)

À l’occasion du 50e anniversaire du dépôt du Rapport Parent, on organise des conférences, des journées d’étude et un symposium sur l’éducation à Montréal au cours de l’année 2013-2014.

En 2016, le Conseil supérieur de l’éducation juge que l’école québécoise est devenue la plus inégalitaire du Canada. La multiplication des programmes particuliers payants (sports-études, arts-études, etc.) «met des barrières à l’accès», alors que l’éducation est le «principal outil d’égalité des chances», de dire la députée solidaire Christine Labrie.

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