Les insolences du Frère Untel | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Les insolences du Frère Untel

Les insolences du Frère Untel est un recueil de textes pamphlétaires de 1960 rédigé par Jean-Paul Desbiens (frère Pierre-Jérôme). Cette publication critique l’état de la culture et du monde scolaire au Québec de l’époque. Elle examine le système d’éducation ainsi que l’omniprésence du clergé dans la sphère publique. Le livre propose un grand remaniement politique et sociétal. Cet ouvrage a suscité de grands débats au sein de la société canadienne-française. (Voir aussi Révolution tranquille.) Il a donné des pistes à suivre pour une réforme en profondeur du système d’éducation québécois. Les insolences du frère Untel est devenu le premier succès de vente littéraire du Québec, il est vendu à plus de 100 000 exemplaires en quelques mois.

La naissance d’un pamphlet audacieux

Tout commence le 21 octobre 1959 lorsque l’éditorialiste et rédacteur en chef du Devoir André Laurendeau publie dans ce journal, sous le pseudonyme de Candide, un billet intitulé « La langue que nous parlons ». Celui-ci dénonce la qualité du français enseigné dans les écoles du Québec et parlé par la jeune génération, qu’il qualifie de « parler joual », popularisant à ce moment l’usage de l’expression.

Quelques jours plus tard, il reçoit une lettre d’un jeune enseignant, le frère mariste Pierre-Jérôme ― Jean-Paul Desbiens de son nom de naissance ― qui partage ses inquiétudes. Persuadé de l’importance de ce message, André Laurendeau est touché par le style singulier de son correspondant et par le fait que son auteur soit un frère enseignant qui vit de l’intérieur ces difficultés. De plus, en 1959, il est interdit pour un frère de critiquer publiquement, de s’indigner. À l’origine, cette première lettre n’est pas destinée à être imprimée, elle est écrite personnellement au rédacteur en chef du quotidien. En quelques jours, André Laurendeau convainc Jean-Paul Desbiens d’accepter que sa lettre soit publiée sous le pseudonyme de frère Untel. Elle paraît le 3 novembre 1959. Par la suite, dix autres lettres du frère Untel sont publiées entre novembre 1959 et août 1960. L’auteur s’en prend à la pauvreté de la langue, à la religion basée sur la peur ainsi qu’à l’archaïsme du système éducatif.

Embûches et lancement

Finalement, la publication d'un recueil de ces lettres est préparée pour la rentrée scolaire de 1960. Toutefois, la communauté religieuse du frère Pierre-Jérôme (voir Jean-Paul Desbiens) l’ordonne de cesser toutes activités publiques et d’empêcher la publication du livre à venir, au risque d’être expulsé de sa congrégation. Cependant, un contrat avait déjà été signé avec Jacques Hébert, éditeur et cofondateur des Éditions de l’Homme, qui est désormais propriétaire du manuscrit. L’assistant du supérieur général de la communauté des frères maristes veut débourser ce qu’il faut pour acheter l’annulation de la publication, alors que l’ouvrage était déjà en cours d’impression. Jacques Hébert veut éviter des ennuis au frère Pierre-Jérôme, mais il trouve le texte trop important pour abandonner la suite. Il consulte le canoniste chanoine Racicot, un spécialiste du droit de l’ Église catholique, qui le réconforte et l’encourage à persister.

C’est ainsi que le 6 septembre 1960, le livre Les insolences du Frère Untel voit le jour. Il reprend les thèmes des lettres : la liberté, la qualité de la langue, la culture et l’excellence.

L’événement est décrit de la sorte par Jacques Hébert, son éditeur:

Le soir du lancement, au vieux cercle universitaire de la rue Sherbrooke, le Tout-Montréal était là. Beaucoup d'électricité dans l'air. Nous sentions qu'il ne s'agissait pas d'un lancement comme les autres. Ce que nous ignorions encore, c'est que la «  Révolution tranquille » – l’expression même restait à inventer! – était commencée. Ce 6 septembre 1960, enfin la liberté avait eu le dernier mot.

Constat sur la qualité du français dans le système scolaire

L’ouvrage se base sur l’expérience de Jean-Paul Desbiens en tant que frère enseignant de philosophie à Chicoutimi et à Alma, au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Il expose les lacunes du système d’enseignement et met au banc des accusés l’incompétence et l’irresponsabilité du département de l’instruction publique contrôlé par le clergé.

Par exemple, inquiet de la qualité de l’écriture à l’école, il relate un exercice qu’il demande à ses élèves de 11e année au cours duquel ils doivent écrire la première strophe de l’hymne national canadien. Les résultats sont consternants. Les élèves finissent par rédiger plusieurs versions d’Ô Canada en joual. Dans une majorité de cas, les paroles sont écrites de manière phonétique.

Il charge le joual de plusieurs maux, cette « langue désossée » qui serait le symptôme d’un malaise plus vaste : « Nos élèves parlent joual parce qu’ils pensent joual, et ils pensent joual parce qu’ils vivent joual, comme tout le monde par ici. »  

L’auteur est précurseur et visionnaire en proposant l’uniformisation de l’affichage dans les commerces. Selon lui, il faut légiférer pour une priorisation du français sur les encarts publicitaires au Québec.

Puisque la langue est un bien commun, il suggère que l’État soutienne le français au même titre que les espèces animales : « L’État protège les parcs nationaux, et il fait bien : ce sont là des biens communs. La langue aussi est un bien commun, et l’État devrait la protéger avec autant de rigueur. Une expression vaut bien un orignal, un mot vaut bien une truite. » (Voir Politiques linguistiques du Québec.)

Critique de la religion

Les lettres du frère Pierre-Jérôme (voir Jean-Paul Desbiens) critiquent également le climat de peur sur lequel est fondé la religion catholique au Québec. Il décrit le catholicisme de la société canadienne-française comme étant « crispé, apeuré, ignorant » face à la Conquête ― « un catholicisme de contre-réforme », essentiellement réactionnaire.

André Laurendeau avait notamment constaté que la première lettre publiée du frère Pierre-Jérôme avait suscité plusieurs lettres de réponse. Pourtant, elles étaient toutes anonymes, soulignant l’effet du climat de peur au Québec.

Influence

Dans Les insolences du Frère Untel, Jean-Paul Desbiens prédit la perte de pouvoir de l’Église dans les différentes sphères qu’elle contrôle. Les débats d’idées proposés dans Les insolences du Frère Untel, sur la place de la religion dans la vie des citoyens et citoyennes, deviennent un legs important. Ils mènent l’État québécois à développer un rôle prépondérant dans les secteurs de l’éducation et de la santé ― espaces qui étaient principalement occupés à cette époque par les congrégations religieuses. (Voir Laïcité au Québec.)  

En 1961, le gouvernement du Québec met en place la Commission royale d'enquête sur l'enseignement dans la province de Québec, connue également sous le nom de Commission Parent. En 1963, le rapport Parent conduit à la création du premier ministère de l’Éducation du Québec qui applique des changements majeurs au système scolaire québécois.