Joe Boyle : le roi du Klondike | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Joe Boyle : le roi du Klondike

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Joseph (Joe) Boyle voit le jour à Toronto en 1867 et grandit à Woodstock, en Ontario. C'est un jeune homme qui ne tient littéralement pas en place. À 17 ans, il part à New York avec son père, saute dans un navire en partance et passe trois années en mer. À son retour, il fonde une entreprise de transport, se marie, puis laisse tout derrière lui pour se lancer en tournée de promotion pour le compte d'un boxeur australien, Frank Slavin.

Les deux hommes se rendent jusqu'à Juneau, en Alaska, puis s'en vont au Klondike en passant par le col White. Ils sont parmi les premiers chercheurs d'or à emprunter cette route. Boyle revendique la concession d'un vaste territoire le long de la rivière Klondike et fait fortune, non seulement en y découvrant de l'or, mais aussi grâce à l'exploitation d'entreprises de sciage du bois et de production d'électricité. Il trouve encore le temps de consacrer une partie de son inépuisable énergie à une équipe de hockey amateur, qu'il accompagne à Ottawa pour participer à la coupe Stanley.

Chose prévisible, quand la guerre éclate en 1914, Boyle se jette dans l'action. Avec ses propres fonds, il forme et équipe sa propre unité de mitrailleuses. Trop vieux pour le service actif, il parvient à se faire attribuer une mission privée pour le gouvernement provisoire russe de Kerensky. Au milieu de l'année 1917, les transports russes sont jetés dans le chaos et tout le pays est entraîné dans la spirale révolutionnaire. Boyle s'empare des commandes du système de transport sur le front du sud-ouest et, à Tarnapol, il prend avec audace le contrôle des troupes en situation désespérée, ce qui lui vaudra d'être décoré sur le champ de bataille par le commandant russe.

Boyle accomplit un de ses exploits les plus remarquables peu de temps après la prise du pouvoir par les bolcheviks en novembre 1917. Quelque 10 000 wagons, dans lesquels a été stocké le ravitaillement destiné au front, sont bloqués dans les gares de triage de Moscou. Fidèle à son tempérament d'homme d'action, Boyle fait culbuter des trains entiers par-dessus les remblais; au bout de trois jours, les convois sont dégagés, permettant aux Russes de conserver 300 000 soldats au front.

Les bolcheviks confient à Boyle la responsabilité d'acheminer nourriture et vêtements à leur allié roumain en difficulté, mais les relations entre les deux pays se détériorent rapidement. Les Roumains sont impatients de faire sortir de Moscou, où on les avait placés en lieu sûr, leurs archives, leur papier-monnaie, leur or et - à ce que l'on prétend - les joyaux de la couronne. Boyle use de son influence auprès des bolcheviks pour réquisitionner deux wagons, y charger le trésor et le faire transporter sur 2500 kilomètres jusqu'en Roumanie, à travers les champs de bataille de la guerre civile.

À Vapnyarka, le chef de gare lui refuse le droit de passage. Boyle organise un concert pour les bolcheviks pour montrer qu'il n'a rien à cacher. Il leur sert du thé arrosé de rhum et de brandy, coupe les lignes télégraphiques et, sous la menace d'une arme, oblige le conducteur à partir.

Le 2 mars 1918, Boyle rencontre la reine Marie de Roumanie. Leur rencontre est brève mais changera leur vie. Marie est la petite-fille de la reine Victoria d'Angleterre. Elle est belle et d'un naturel sentimental. Dans son journal, elle décrit Boyle comme "un être curieux, fascinant, qui n'a peur de rien". De la confiance naissent l'amitié, l'admiration et l'amour. Le journal de la reine déborde de descriptions de Boyle : sa force, sa rude beauté, ses yeux d'un bleu profond et son sourire rassurant. De son côté, Boyle est conquis. Il voudrait pouvoir lui tenir la main et lui promettre que, pour rien au monde, il ne l'abandonnera. Peu importe que soient fondées ou non les accusations de leurs ennemis selon lesquelles qu'ils entretiennent une liaison, il s'agit dans tous les cas d'une puissante histoire d'amour.

Joe Boyle avec la reine Marie (à gauche) de Roumanie à Bicaz, Roumanie en 1918.

Depuis la Roumanie, Boyle entretient dans le sud de la Russie un vaste réseau de 450 agents des services secrets britanniques. Au risque de sa sécurité personnelle, il sauve la vie de 50 représentants du gouvernement et membres de l'aristocratie roumains retenus en otage par les bolcheviks à Odessa. Cet exploit prodigieux fait de lui un héros national et la reine lui décerne l'Étoile de la Roumanie. En mai 1918, quand Boyle est victime d'une attaque d'apoplexie, Marie écrit : "J'ai senti mon coeur mourir en moi". Boyle dit de ses sentiments pour Marie qu'ils le "possèdent jusqu'à l'exclusion absolue de tout ce qui n'est pas elle".

Une fois guéri, Boyle persuade la reine de mettre sur pied un programme d'aide national. Il réussit à convaincre le premier ministre canadien, Robert Borden, d'accorder à la Roumanie un soutien de 25 millions de dollars. En 1922, au nom de la société Royal Dutch Shell, il tente d'obtenir le retour à la Grande-Bretagne de terrains pétroliers caucasiens passés aux mains des bolcheviks. Il sera récompensé par le DSO (l'Ordre du service distingué) ainsi que par la Croix de Guerre française.

Alors que sa santé se dégrade, Boyle se sent de plus en plus seul et rêve de retrouver les rapides et l'air pur du Klondike. Il meurt en Angleterre le 14 avril 1923 et est enterré à Hampton Hill. "Vous êtes encore là, tout près, écrit la reine en proie à une grande peine, et vous le savez - vous savez que vous serez toujours vivant dans mon coeur."

En 1983, à la demande de sa fille, Flora, un comité de citoyens de Woodstock organise le rapatriement de ses restes. En guise d'unique hommage du Canada à cet homme remarquable, le ministère de la Défense nationale lui offrira des funérailles militaires officielles.