Histoire de la littérature de langue anglaise 1960-1980 | l'Encyclopédie Canadienne

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Histoire de la littérature de langue anglaise 1960-1980

La période s’échelonnant entre 1960 et 1980 représente un moment crucial de l’histoire littéraire canadienne. Les écrivains et les écrivaines de cette période sont particulièrement mis en train par les célébrations du centenaire national et par l’omniprésence du nationalisme culturel.

La période s’échelonnant entre 1960 et 1980 représente un moment crucial de l’histoire littéraire canadienne. Les écrivains et les écrivaines de cette période sont particulièrement mis en train par les célébrations du centenaire national et par l’omniprésence du nationalisme culturel. Ils sont enthousiastes devant la perspective d’une littérature canadienne comme moyen d’aider au développement d’une identité nationale. Plutôt que de miser sur la littérature et les traditions américaines ou britanniques, les auteurs canadiens anglophones prennent désormais en considération la signification du fait de produire une littérature canadienne et les lecteurs, eux, consomment du contenu canadien, en priorité. Naturellement, l’écriture à la canadienne n’est pas de qualité uniforme et le débat bat son plein, au sujet des mérites d’une littérature nationale en particulier, et de l’écriture à la canadienne en général. On discute amplement la question, dans les communautés littéraires en émergence, les ateliers, les théâtres, la presse, les revues, les cours universitaires et les publications académiques. Les écrivains qui alimentent ces institutions en effervescence vivent collectivement des moments importants de l’histoire canadienne. Les soins de santé universels, le ministère du Multiculturalisme et les règles du CRTC sur le contenu culturel canadien sont mis en place. La crise d’octobre et Expo 67 marquent les Canadiens en profondeur, tout autant qu’un certain nombre d’événements internationaux comme la guerre du Vietnam, la contre-culture, le mouvement des droits civiques et le mouvement de libération des femmes. Les écrivains canadiens ont une conscience sociale. Ils s’impliquent dans le monde, notamment à travers les procédures et les techniques qui inscrivent l’individu au sein de contextes sociaux plus larges. Tout cela se fait d’une façon qui met ouvertement au défi les conceptions passéistes dominantes. Une emphase particulière est mise sur les enjeux de vie des femmes et des communautés marginalisées.

Des écrivains dont la carrière est en place avant 1960 vont tout de même publier certaines de leurs œuvres majeures durant la période 1960-1980. C’est le cas notamment des auteurs suivants : Mordecai Richler avec St. Urbain’s Horseman (1970), Dorothy Livesay avec The Unquiet Bed (1967), Patricia Kathleen Page avec Cry Ararat! (1967), et Phyllis Webb avec trois recueils de paroles de chansons : The Sea is Also a Garden (1962), Naked Poems (1965) et Wilson’s Bowl (1980). L’ouvrage de Dorothy Livesay marque un net tournant dans son œuvre. Elle passe de la question de la politique publique à une emphase mise plutôt sur la dimension politico-sexuelle du fait d’être vivant. L’ouvrage de Patricia Kathleen Page révèle sont attrait dédoublé pour la poésie et pour la peinture. Celui de Phyllis Webb, avec son imagerie précise et ses cadences contrôlées, manifeste l’intensité lyrique des émotions, tout en touchant la question de l’identité sexuelle et en explorant les caractéristiques des amitiés et des pertes douloureuses. On peut aussi ajouter les nouvelles de Malcolm Lowry, colligées par Earle Birney et Marjorie Lowry, et réunies en un volume intitulé Hear Us O Lord from Heaven Thy Dwelling Place (1961). On y sonde des idées telles que celles du paradis, de la traduction et de la dimension évanescente de l’identité. Les ouvrages à succès de cette époque incluent l’astucieuse analyse des structures sociales que l’on doit à Laurence Peter et Raymond Hull, The Peter Principle (Le Principe de Peter, 1965) ainsi que quatre livres pour enfants aussi très lus : The Secret World of Og (1960) de Pierre Berton, Raven’s Cry (1966) de Christie Harris, Jacob Two-Two and the Hooded Fang (1975) de Mordecai Richler, et Alligator Pie (1974) de Dennis Lee. De nombreux ouvrages de cette époque sont toujours hautement significatifs aujourd’hui, y compris les œuvres de Margaret Laurence, de Margaret Atwood, de Michael Ondaatje, d’Alice Munro et de Timothy Findley.

Communautés, organismes et institutionnalisation de la littérature canadienne

Le centenaire canadien déclenche une vague renouvelée de fierté nationale. Celle-ci se manifeste par une attention soutenue portée aux arts, avant et après 1967. L’enthousiasme prend corps envers l’écriture, tant comme pratique que comme marchandise non exempte de conséquences pécuniaires. Cela se manifeste notamment par la mise en place d’organismes et de regroupements d’écrivains (la Writer’s Union of Canada), de festivals (le Festival international des auteurs à Harbourfront), de subventions gouvernementales (Conseil des arts du Canada) et par l’insertion de la littérature canadienne au sein des cursus scolaires. Au nombre de ces importants développements figure l’apparition d’un certain nombre de revues littéraires. On peut nommer : Malahat Review, This Magazine, Ganglia, Descant, TISH, ellipse et White Pelican (voir Périodiques littéraires de langue anglaise, Revues littéraires de langue anglaise). Faisant équipe avec Sheila Fischman, l’influent poète et critique Douglas Gordon (D.G.) Jones fonde ellipse en 1969, pour ouvrir un espace où les écrivains canadiens anglophones peuvent paraître en traduction française et les écrivains francophones en traduction anglaise. La même année, Sheila Fischman traduit vers l’anglais le roman La Guerre, Yes Sir! de Roch Carrier. En 1972, elle fonde l’Association des traducteurs et traductrices littéraires du Canada. Vers 2012, Sheila Fischman a déjà la traduction de plus de 100 titres littéraires à son actif.

À Edmonton, les écrivains de la revue White Pelican comptent dans leurs rangs Stephen Scobie, Douglas Barbour et le poète et dramaturge surréaliste Wilfred Watson. Les poètes de TISH, à Vancouver, sont principalement George Bowering, Frank Davey, Fred Wah et Lionel Kearns. Daphne (Buckle) Marlatt est aussi affiliée à ce collectif. Ces poètes délaissent les techniques des poètes canadiens des années 1950 et se font plutôt désormais les champions de la poésie de type Black Mountain (selon la vision théorique et poétique des Américains Charles Olson, Robert Duncan et Robert Creeley). La pratique de ce type d’approche laisse, pendant quelques années, une trace significative sur l’esthétique de la poésie canadienne. Ce vent novateur souffle aussi sur la scène artistique multimédia des poètes de Véhicule, qui se regroupent à Montréal, au milieu des années 1970. Ce sont, entre autres, Endre Farkas, Artie Gold, Ken Norris et Stephen Morrissey. En Ontario, Margaret Avison adapte aussi des modèles poétiques américains, dans sa quête poétique de la révélation chrétienne. Le poète bpNichol fonde Ganglia Press en 1965. Il expérimente dans le champ de la poésie concrète. Puis, en 1970, il s’associe à Paul Dutton, Steve McCaffery et Rafael Barreto-Rivera pour mettre en place un groupe de poésie sonore qui s’appelle The Four Horsemen. Nichol publie en 1972 The Martyrology, premier tome d’un long poème qui paraîtra en plusieurs volumes. Au Nouveau-Brunswick, la revue littéraire The Fiddlehead, qui avait pris naissance en 1945 sous la forme d’un feuillet agrafé de huit pages, continue de faire connaître le travail des poètes de la façade atlantique, sous la direction éditoriale de Fred Cogswell (la revue poursuivra ses activités jusqu’en 1981). Fiddlehead Books (fondé en 1954) devient, après 1981, Goose Lane Editions.

Les coteries littéraires de cette époque impriment encore leurs travaux en format miméographique. Mais à mesure que la technologie d’impression offset se développe, les petits éditeurs (Véhicule, Coach House, Talon, Porcépic, House of Anansi, Brick Books, Coteau, Turnstone, NeWest, Oolichan, Douglas & McIntyre) deviennent viables économiquement, et ce, souvent hors des dispositifs institutionnels centraux. Le nombre des publications augmente et l’intérêt du public pour les ouvrages canadiens augmente aussi, notamment grâce à la publicité (l’ouvrage Survival: A Thematic Guide to Canadian Literature de Margaret Atwood n’était au départ, en 1972, rien d’autre qu’un catalogue des titres de l’éditeur House of Anansi). La technologie devient alors un véritable paradoxe artistique. En tant que thème littéraire, elle est souvent présentée comme cette routine lassante mécanisant la vie, tout en étant vécue comme un dangereux vecteur d’américanisation de l’existence. Et pourtant, en tant qu’auxiliaire à la publication, la technologie ouvre pleinement les nouveaux horizons de la liberté des techniques. Les atouts de sophistication graphique des nouvelles méthodes de publication améliorent les dispositifs d’impression de la poésie concrète. On pense aux compositions visuelles/verbales de Joseph Rosenblatt (Bumblebee Dithyramb, 1970) ou à la poésie en sonorités syllabiques de bill bissett (voir Édition de langue anglaise).

Les programmes d’écriture créative se développent. Ils visent à améliorer les aptitudes des apprentis écrivains autant que celles des écrivains établis. Le Iowa Writers’ Workshop a formé des écrivains canadiens comme Clark Blaise, Dave Godfrey, W.P. Kinsella et William Dempsey Valgardson. La formation pratique dans de tels domaines ne va pas plus de soi que dans celui de l’écriture théâtrale et de la performance dramatique (voir Théâtre d’expression anglaise, Théâtre de langue anglaise). Au pays, vingt nouveaux théâtres ouvrent leurs portes, parmi lesquels figurent en bonne place le Tarragon, le Arts Club, le Citadel, le Théâtre de Neptune, le Factory Theatre et le Theatre Passe Muraille de Paul Thompson. Les écoles de théâtre, les théâtres pour enfants, le Shaw Festival, et les festivals de théâtre de Charlottetown et de Lennoxville ont tous donné un essor à la production de spectacles scéniques. On compte au nombre des nouveaux auteurs de théâtre : Carol Bolt, David Fennario, Dennis Foon, David Freeman, David French, John Gray, Robert Gurik, Herschel Hardin, Ann Henry, John Herbert, George Ryga et Beverley Simons. La troupe humoristique CODCO, formée à Terre-Neuve, ainsi qu’une industrie cinématographique renouvelée, ont permis de faire connaître un certain nombre de metteurs en scène canadiens, au nombre desquels figurent Norman Jewison et Claude Jutra.

Les institutions scolaires canadiennes se mettent à enseigner plus en détail la littérature canadienne. Cette évolution ne rencontre d’ailleurs pas un appui inconditionnel. Des doutes sont exprimés sur le manque de documentation, sur les ressources pédagogiques et sur la qualification des enseignants, en matière de lettres canadiennes. Pourtant, des publications savantes apparaissent et créent un espace permettant de mettre en place un débat érudit sur l’écriture à la canadienne (ECW, Journal of Canadian Studies, Studies in Canadian Literature, Canadian Children’s Literature, Room of One’s Own). Des précis et des traités comme le Survival (1972) de Margaret Atwood et le To Know Ourselves (1975) de Tomas Henry Bull Symons encouragent l’étude de la littérature canadienne, dans les institutions scolaires. Des sociétés savantes, comme l’Association d’études canadiennes, font leur apparition. Certains critiques craignent même que l’étude de la littérature canadienne ne suscite un engouement trop grand et que cela pousse le public et les érudits à négliger leur devoir d’implication dans la tradition de la littérature britannique. Cette inquiétude est mise en fiction et critiquée dans The Diviners (Les oracles, 1974) de Margaret Laurence. Dans ce roman, la protagoniste, une certaine Morag, se manifeste en tant qu’écrivaine canadienne par opposition à Brooke, son mari, qui, lui, enseigne la littérature britannique. Le triomphe final de Morag sur Brooke peut se lire comme une allégorie dans laquelle la culture canadienne en arrive à prendre ses distances face aux traditions britanniques. De façon similaire, le Survival de Margaret Atwood établit une distinction nette entre écriture canadienne et écriture américaine et britannique. Une telle analyse, dans un ouvrage très lu, révèle la profondeur et la valeur de la littérature canadienne aux yeux d’un pays qui s’intéresse désormais beaucoup à sa propre identité. Survival a suscité des débats passionnés sur la façon dont la littérature canadienne doit être analysée. Atwood, ainsi qu’un certain nombre d’autres critiques préconisant les analyses thématiques (John Moss, D.G. Jones et Northrop Frye), s’intéressent à la littérature en corrélation avec l’identité nationale. D’autres critiques, comme Frank Davey, jugent que ce cadre d’analyse est trop restrictif et ils concentrent plutôt leur attention studieuse sur la forme littéraire. Le débat autour du traité d’Atwood exemplifie clairement l’intensité de l’effort que les érudits investissent dans l’étude de la littérature canadienne. Celle-ci profite désormais d’appuis institutionnels solides et elle existe comme une véritable industrie disposant de ses publications, de ses mouvances, de ses communautés et de ses lecteurs.

Politique et multiculturalisme

Après le centenaire du Canada, et après que la première vague des baby boomers ait passé la vingtaine, un certain nombre de symptômes d’insatisfaction civile se font jour, et eux aussi en viennent à influencer les arts. Les attitudes et les comportements sociaux changent. Cela se constate dans le cas des mariages et des divorces, du contrôle des naissances, de la consommation de cannabis (voir Utilisation non médicale des drogues), du rôle des sexes (voir Mouvement des femmes), de la critique des religions institutionnelles et de l’éducation classique, ainsi qu’à l’égard de l’ethnicité. Les changements sociaux au Canada sont analogues à ceux ayant cours aux États-Unis. Une différence importante se manifeste cependant. Elle tient au Québec. Après la mort du premier ministre du Québec Maurice Duplessis en 1959, et après le train de réformes mis en place sous la Révolution tranquille de Jean Lesage dans les années 1960, une nouvelle et virulente montée du séparatisme se fait jour. La violence éclate (la crise d’octobre de 1970). La répression s’ensuit (laLoi sur les mesures de guerre). Une définition alternative du nationalisme se met alors en place. Toutes ces questions sont hautement susceptibles de devenir des thèmes littéraires. Cela se manifestera notamment dans les œuvres d’Al Purdy et de Brian Moore. À mesure que la langue québécoise gagne en usage, le joual tend à devenir un vernaculaire littéraire, et le mot allophone devient un terme d’usage. Les traductions, depuis le français et quelques autres langues, se multiplient. Cela amène les anglophones à porter leur attention sur les œuvres d’Hubert Aquin, Louky Bersianik, Roch Carrier, Jacques Ferron, Anne Hébert, Antonine Maillet, Josef Škvorescký et Michel Tremblay. Le Canada n’a jamais été une monoculture. L’héritage ethnique, déjà hétérogène à l’époque coloniale, devient une priorité littéraire plus aiguë pendant cette période. Un grand nombre d’œuvres de fiction abordent la question des héritages italien, hongrois, tchèque, ukrainien, antillais, juif et chilien (voir Canadiens d’origine latino-américaine). Et pourtant, le recensement canadien ne reconnaît toujours pas la possibilité, pour un citoyen, de s’identifier à plus d’un héritage ethnoculturel avant 1981, et il ne reconnaît pas « canadien » comme ethnicité spécifique avant 1991. Aux environs des années 1980, les changements sociaux ont permis de produire une société canadienne multiculturelle qui tient à peu près la route. Elle n’est en rien homogène ou unanimement acceptée, mais elle fonctionne. De fait, les critiques du multiculturalisme canadien ont surtout fait valoir que son attention excessive portée sur la dimension culturelle minimise les inégalités concrètes et matérielles que subissent, sur une base quotidienne, les différentes communautés non dominantes de cette société.

De telles questions sociales ont amené les essayistes à embrasser une kyrielle de causes. Ils ont formulé des prises de position explicites contre l’ordre social établi (Milton Acorn et Tom Wayman, dans leur « poésie prolétarienne » gauchisante, et Rick Salutin, tant dans sa prose personnelle que dans la pièce de théâtre collective 1837) ou encore en faveur de la protection de la nature (Andy Russell, R.M. Patterson). John Porter expose les errances et les incohérences de l’égalitarisme canadien, quand il signe The Vertical Mosaic (1965). George Bowering remet en question l’imagerie conventionnelle de l’histoire et de la littérature canadienne, dans des œuvres de fiction comme A Short Sad Book (1977) et Burning Water (1980). George Woodcock produit une histoire de l’anarchisme intellectuel. George Grant exprime son conservatisme dans les traités Lament for a Nation (1965) et Technology and Empire (1969), où il s’oppose vertement à l’américanisation technologique du Canada. La perspective de George Grant influence les poètes Margaret Atwood et Dennis Lee (notamment dans Civil Elegies, 1972), ainsi que l’éditeur et auteur d’œuvres de fiction Dave Godfrey (notamment dans Death Goes Better with Coca-Cola, 1967). Dans son roman The Last of the Crazy People (1967), Timothy Findley sélectionne l’Ontario comme le haut lieu de la brutale émergence du gothique. Et dans The Wars (Les guerres, 1977), il fait revivre le fiasco de la Première Guerre mondiale pour s’en prendre à une autocratie inepte et incompétente et ainsi exprimer haut et fort sa profonde passion pour la décence élémentaire (voir La Première Guerre mondiale dans la littérature canadienne).

Histoire, peuples autochtones et environnement

Un nombre important d’autobiographies littéraires paraissent durant cette période (par exemple celles d’Irving Layton, Eli Mandel, David McFarlane, Kildare Dobbs, David McFadden et Fredelle Bruser Maynard). Chacune d’entre elles interprète à sa manière les contextes d’existence qui cernent et imprègnent la vie contemporaine. Henry Kreisel décrit son expérience de prisonnier dans un camp de détention canadien, au cours de la Deuxième Guerre mondiale (ouvrage paru chez White Pelican, 1974). Clark Blaise et Bharati Mukherjee (dans un récit rédigé en duo) évoquent une année complète passée à Calcutta. Bon nombre d’œuvres de fiction et de recueils de poésie sont autobiographiques (ou « autobiologiques » pour reprendre le mot de George Bowering). C’est le cas des œuvres de David Watmough. Les récits de Clark Blaise traitent inlassablement de son éducation compliquée et de ses interminables errances internationales. La poésie d’Eli Mandel et son activité critique s’enchevêtrent. La poésie et la prose de Daphne Marlatt font de « l’écriture au sujet de la vie » un engagement phénoménologique envers la totalité du monde. Plusieurs autres auteurs concentrent leur attention sur une figure historique individuelle et en font alors l’icône d’un moment psychologiquement et historiquement significatif. Ainsi, les dramaturges Carol Bolt et John Gray mettent respectivement en scène les implications politiques de la vie d’Emma Goldman et de celle de Billy Bishop. L’explorateur Samuel Hearne fait son apparition dans un poème de John Newlove. Louis Riel et Gabriel Dumont sont présents dans les œuvres de George Woodcock et de Rudy Wiebe, entre autres. Le musicien de jazz Buddy Bolden joue un rôle dans Coming Through Slaughter (1976) de Michael Ondaatje. Les Trudeau sont les personnages d’une pièce de théâtre de Linda Griffiths. Ce genre d’« écriture au sujet de la vie, » retenue comme véridique ou comme plus ou moins fictionnelle, reflète de profondes altérations dans la notion de subjectivité. À mesure que la fiabilité de l’idée de « vérité » immuable s’estompe, s’installe une remise en question au sein de laquelle les écrivains aspirent à faire émerger l’indétermination aléatoire de l’identité. Clark Blaise, par exemple, envisage les vérités sur lesquelles le tout-venant assoit sa vie quotidienne comme autant de « fictions utilisables. »

Écrire au sujet du passé canadien, sous forme d’autobiographies ou de textes de fiction, cela amène inévitablement certains auteurs à explorer les conséquences de la colonisation. Herschel Hardin, George Ryga et Michael Cook ont écrit des pièces de théâtre portant sur l’isolement des femmes des Premières Nations et sur des problèmes touchant la question de la colonisation euro-canadienne du Nord. Au nombre des romanciers et des romancières traitant ce type de questions, on compte James Houston, Alan Fry, Wayland Drew, Rudy Wiebe, Anne Cameron, W.P. Kinsella et Margaret Laurence. Au même moment paraît un florilège d’écrits autochtones touchant le problème du colonialisme et de ses effets durables sur les communautés contemporaines. Au nombre des écrivains métis, on compte Beatrice Culleton, Duke Redbird et Maria Campbell dont l’autobiographie intitulée Halfbreed (1973) a eu une grande influence en démontrant l’impact horrible et dévastateur des politiques gouvernementales, ainsi que de leur racisme, sur la vie des familles du peuple métis. Comme Maria Campbell, Lee Maracle, une écrivaine de la nation Stó:lō, a aussi produit une autobiographie intitulée Bobbie Lee: Indian Rebel (1973). Elle y met en relief les luttes que doivent mener les femmes autochtones au quotidien. On compte aussi au nombre des écrivains autochtones le grand-père de Lee Maracle, Dan George, poète, orateur public, et acteur au théâtre et à Hollywood. Basil H. Johnston a écrit de la littérature enfantine, des exposés non fictifs et des récits humoristiques sur la vie dans les réserves. Ils sont colligés dans l’ouvrage Moose Meat & Wild Rice (1978). Le recueil de poésie de la poétesse Rita Joe, intitulé The Poems of Rita Joe, a été publié en 1978. George Clutesi a procédé à une compilation de récits Tseshaht (voir Nootka). Tous ces auteurs écrivent pendant la période historique qui voit la mise en place du Conseil national des Indiens (1961), du American Indian Movement (1968), des politiques fédérales assimilationnistes comme celles contenues dans le Livre blanc de 1969 du gouvernement Trudeau, et du système des pensionnats autochtones. Cette époque voit aussi des développements permettant aux autochtones de voter dans une élection fédérale sans perdre leur statut juridique d’autochtones. Un rapport de Thomas Berger, intitulé Northern Frontier, Northern Homeland (Le Nord : terre lointaine, terre ancestrale, 1977), recommande un moratoire sur la construction d’oléoducs et de gazoducs en territoires autochtones jusqu’à ce que la question des contentieux territoriaux soit résolue. Des rapports comme celui-là permettent de réformer les attitudes et les mentalités sur les questions concernant la conservation du territoire.

Un grand nombre des écrits portant sur le territoire touche la question autochtone. Mais d’autres auteurs abordent la problématique du territoire selon une approche plus globalement environnementaliste. Les Canadiens jouent un rôle significatif au sein du mouvement environnementaliste mondial. Le groupe Greenpeace, intervenant environnementaliste majeur, est fondé à Vancouver en 1971. Il s’agit alors de faire face aux tests de déflagration nucléaire. L’environnementaliste de renommée internationale David Suzuki amorce sa démarche de communicateur scientifique au cours des années 1970. Le livre pour enfants Owls in the Family (1961) de Farley Mowat aborde la question des soins à apporter aux animaux sauvages. Cette question est reprise dans un certain nombre d’autres ouvrages de Farley Mowat dont Whale for the Killing (1972), qui relate un incident au cours duquel des Terre-Neuviens se sont comportés violemment envers une baleine échouée. Cet ouvrage est basé sur des faits véridiques survenus à Burgeo, Terre-Neuve, où Farley Mowat vivait alors. Sans surprise, l’ouvrage est, au moment de sa parution, fort mal reçu par les citoyens de la commune de Burgeo. Voilà qui n’est pas le seul moment controversé de la carrière de l’auteur Farley Mowat. Ceci dit, il reste qu’il a publié, au cours de cette période, 15 ouvrages, tous fort lus, et qui ont attiré l’attention du grand public sur les questions environnementales. Cela fait de lui un auteur environnementaliste canadien de première importance. D’autres œuvres examinent l’influence, souvent négative, de l’être humain sur l’environnement. On peut citer, dans ce registre, The Disinherited (1974) de Matt Cohen, The Ledger (1975) de Robert Kroetsch, The Lost Salt Gift of Blood (1976) d’Alistair MacLeod, et Long Sault (1975) de Don McKay. L’ouvrage Steveston (1974) de Daphne Marlatt, illustré de photographies de Robert Minden, est le recueil archétypique de poésie environnementale. L’attention que l’auteure porte au fleuve Fraser, en Colombie-Britannique, un lieu solidement déterminé, quoique toujours fluent, lui permet de ruminer pensivement au sujet de la corrélation entre mobilité des flux et fixité des places. Elle aborde et contemple les migrations de saumons tout autant que le grand nombre de Canadiens de souche japonaise revenus dans leur coin de pays après avoir été internés, pendant la Seconde Guerre mondiale. La question du racisme, du sexisme et de la dégradation environnementale de cette zone industrielle fait aussi partie du tableau dépeint.

Questions de genre

La carrière de Margaret Laurence s’étend sur les années 1960 et 1970. Elle devient l’une des figures littéraires les plus admirées de la période et elle influence bon nombre d’autres œuvres abordant la question du genre. Ses premiers ouvrages, notamment The Tomorrow-Tamer and Other Stories (1963), sont inspirés autant des contes oraux traditionnels que de l’impact de l’histoire moderne. Ils ont pris forme pendant les années qu’elle a passées en Afrique de l’Est et de l’Ouest. Ses ouvrages d’après traitent de la vie des femmes à Manawaka, une transposition fictive de Neepawa, au Manitoba. Le « Cycle de Manawaka » retrace l’histoire de ces femmes depuis l’époque édouardienne, se voulant si stable, jusqu’à une suite complexe de rébellions et de réconciliations. On a là la formulation d’un rapport complexe au passé, à la famille et à peu près tout ce qui peut être étiqueté « autre », au sein de la communauté ou même au sein de l’être personnel même. Ces romans et ces récits incluent notamment The Stone Angel (L’ange de pierre, 1964), A Jest of God (1966, tourné au cinéma sous le titre Rachel, Rachel, 1968), A Bird in the House (1970) et The Diviners (Les oracles, 1974). Margaret Laurence montre comment on raconte sa propre histoire, c’est-à-dire tout simplement l’histoire issue de la parole ordinaire et montrant l’action de figures locales. Ce faisant, Margaret Laurence encourage activement la prise de parole des écrivaines et écrivains de la génération suivante. On pense notamment à Jack Hodgins, Joan Barfoot et cette flopée de conteurs et de conteuses qui ont enrichi la vie des femmes pendant ces décennies et plus tard encore, en écrivant des histoires de vie familiale entre sœurs, de mères et de filles, de femmes solitaires, d’accouchements et de vieillissement, d’épouses, de santé et de folie, dans les Prairies et partout ailleurs. Au nombre de ces écrivaines prolifiques, on compte Ann Copeland, Marian Engel (dont le roman Bear[1976], L’ours, est une parodie de The Heart of the Ancient Wood, 1902 de Sir Charles G.D. Roberts), Edna Alford, Sandra Birdsell, Sharon Butala, Janice Kulyk Keefer et Carol Shields.

D’autres écrivaines font entendre la voix des femmes d’autres façons. Il y a Betty Lambert et Margaret Hollingsworth au théâtre, Rachel Wyatt dans la comédie satirique, Patricia Blondal dans des narrations conventionnelles, Sharon Riis et Ann Rosenberg dans une prose plus allusive et expérimentale, Jane Rule exprimant le caractère ordinaire et normal du lesbianisme, les poétesses Dionne Brand, Judith Fitzgerald, Sharon Thesen, Anne Szumigalski, Suniti Namjoshi, Eva Tihanyi, Judith Copithorne, Colleen Thibaudeau, M.T. Lane, Erin Mouré et Pat Lowther questionnant le genre au sein du langage même. Les poèmes de Claire Harris et de Lola Lemire Tostevin mobilisent respectivement les idiomes caraïbe et québécois pour fracturer et affermir la langue anglaise qu’elles écrivent. Les premières œuvres de fiction d’Audrey Thomas, comme celles de Margaret Laurence, sont inspirées de ses années vécues en Afrique de l’Ouest. Le roman Mrs. Blood (1970) est le récit circonstancié de la conscientisation minutieuse et exacerbée d’une fausse couche. D’ailleurs le thème de l’enfant perdu est récurrent dans les fictions tardives de cette auteure, notamment dans Intertidal Life (1984) et dans Coming Down from Wa (1995). Les premières œuvres de fiction et de poésie de Margaret Atwood, au ton souvent sardonique, placent le féminisme, tout autant que les postulats mâles, sous la lentille du microscope. Parmi les 17 ouvrages qu’elle publie avant 1980 figurent The Edible Woman (1969), The Journals of Susanna Moodie (1970) et Life Before Man (1979). Exploitant tout l’éventail des modes littéraires, ces ouvrages font monter en crescendo la solide réputation internationale de Margaret Atwood, comme parolière consommée, voix narrative des temps présents, et championne ferme et articulée de la justice sociale. Le rapport de la Commission royale d'enquête sur la situation de la femme au Canada (1970) complète l’ensemble des réalisations littéraires de Florence Bird, en introduisant des changements graduels dans les pratiques sociales.

Genres, structures et formes

Certaines œuvres de la période jouent avec l’idée d’une altération des représentations et elles explorent des tentatives allant dans la direction du surréel et du discontinu (on pense par exemple aux ouvrages de Keath Fraser, Juan Butler, Leon Rooke, Michael Bullock). Ceci dit, il reste que la majorité des ouvrages de la période cultive une approche globalement réaliste des dispositifs narratifs (on peut ici citer les écrits de David Helwig, Terrence Heath, Austin Clarke, David Adams Richards, Ken Mitchell, John Metcalf, Hugh Hood). Les très courts textes et les récits originaux de Hugh Hood, notamment dans Around the Mountain (1967), jouent de façon novatrice avec les rythmes narratifs. Mais d’autre part, les douze volumes de son cycle de romans du « Nouvel Âge », amorcé avec The Swing in the Garden (1975), suit un personnage principal au fil du déroulement de sa trajectoire de vie, dans une longue confrontation entre la réalité du monde séculier et l’ensemble des ses croyances catholiques. Dans un des développements les plus significatifs de la période, Hugh Hood et John Metcalf se joignent à Clark Blaise, Ray Fraser et Raymond Smith pour former « The Montreal Story Tellers » (Les conteurs montréalais). Il s’agit au départ d’un petit groupe de personnalités scéniques qui portent une attention particulière à la pose de voix dans le récitatif et qui ont comme objectif d’attirer l’attention du public sur les qualités artistiques du texte court de fiction, comme genre. Cela a pour résultat de remettre le genre de la nouvelle en selle, dans l’histoire littéraire canadienne. Clark Blaise (notamment avec A North American Education, 1973) apparaît comme le plus éminent artisan des cinq. John Metcalf deviendra, pour sa part, un solide mentor d’auteurs et un important éditeur (avec Porcépic et Biblioasis Press). On compte au nombre de leurs contemporains des auteurs et auteures comme Norman Levine, Kent Thompson, Mavis Gallant, Alice Munro, George Elliott et Alistair MacLeod. La nouvelle « The Boat » de ce dernier connaîtra de multiples réimpressions. Toutes les nouvelles d’Alistair MacLeod sont d’ailleurs reconnues pour leur finesse psychologique et leur appréhension inimitable du rythme de la vie au Cap Breton. Le très elliptique The Kissing Man (1962) de George Elliott fascine bon nombre de lecteurs. Les récits de Mavis Gallant, surtout ceux colligés dans The Pegnitz Junction (1973) et From the Fifteenth District (1979), adaptent les procédures d’écritures modernistes (notamment le style indirect libre) à une présentation compréhensive du comportement ordinaire des gens dans la vie courante ou sous pression indues, comme en temps de guerre et d’après-guerre. Alice Munro installe, avec une vigoureuse limpidité, le Sud-Ouest ontarien dans chaque repli des pages de recueils de nouvelles comme Lives of Girls and Women (1971), Something I’ve Been Meaning to Tell You (1974) et Who Do You Think You Are? (1978). Cette auteure fait son apparition dans les années 1950, un peu dans l’ombre du « réaliste urbain » Hugh Garner, mais elle le surpasse rapidement et gagne l’estime du public et de la critique. Les personnages d’Alice Munro refusent habituellement d’oublier le passé, ils ne s’excusent pas pour leurs actions ou pour qui ils sont, et ils assument sereinement les ressources limitées et restreintes du présent. Les lecteurs réagissent positivement à ces personnages. Ils apprennent aussi à bien apprécier les spécificités du style d’Alice Munro, son ironie, son imagerie très particulière, et l’exploitation talentueuse qu’elle fait de la formule du récit dans le récit.

D’autres formes de fiction ont recherché une façon indirecte d’exprimer l’implication sociale, en misant notamment sur l’influence montante de la pensée mythopoétique et des dispositifs narratifs de la contre-culture. Dans le sillage de la théorie du mythe de Northrop Frye (mise en application, en littérature canadienne, notamment dans son recueil d’essais The Bush Garden, 1970), plusieurs auteurs ont construit des fables, en se donnant un cadre narratif incorporant les archétypes de Jung. En poésie, le recueil Welcoming Disaster (1974) de Jay Macpherson exprime une quête spirituelle dans le monde souterrain de la psyché féminine. D.G. Jones imagine les implications découlant des cooccurrences d’événements et il les configure comme des papillons sur un rocher, dans « Butterfly on Rock. » Les dernières œuvres de fiction de Robertson Davies, tout comme les romans posthumes de Malcolm Lowry et les poèmes et pièces de théâtre de James Reaney, adaptent et ajustent les mythes à l’analyse de la culture et de la pensée. La trilogie Deptford de Robertson Davies tout particulièrement, qui s’amorce avec Fifth Business (Cinquième emploi, 1970), retrace le rôle que jouent, dans l’équilibre psychologique et social, un certain nombre de figures jungiennes (ami, ennemi, anima, animus, persona). Dans l’analyse que fait Robertson Davies du Canada, tout comme dans la poésie de Robin Skelton (lui-même un « sorcier » autoproclamé), les mythes et la magie constituent une force d’opposition faisant ouvertement face à la retenue protestante. Dans un autre registre, l’œuvre de W.P. Kinsella et les romans de jeunesse de Monica Hughes jouent avec la fantaisie. Paul St. Pierre joue, lui, de l’anecdote. Margaret Atwood et David Arnason écrivent des parodies de contes de fées. La notion de parodie est d’ailleurs définie ici, de façon toute novatrice, comme une stratégie ne visant pas à minimiser le récit auquel on fait allusion mais visant plutôt à lui surajouter le second étage bien imbriqué de la nouvelle histoire qu’on raconte, de façon à les rendre audibles ensemble et à prendre la mesure de la tension qui s’installe entre elles deux. Moins ouvertement jungiens et plus dans l’inspiration du chaos comique et de la quête de l’Odyssée, les écrits de Robert Kroetsch et de Jack Hodgins font affleurer l’attrait ressenti, dans les années 1970, pour l’œuvre de ces « réalistes magiciens » sud-américains que sont Jorge Luis Borges et Gabriel García Márquez. Chez ceux qui s’inspirent de ces derniers, les amplifications de la vie ordinaire brouillent la frontière entre narration historique et narration inventive. On peut citer, par exemple, les récits The Studhorse Man (L’Étalon, 1970) et Badlands (1975), ainsi que le long poème Seed Catalogue (1977) de Robert Kroetsch, et aussi le roman The Invention of the World (1976) de Jack Hodgins. Ces œuvres explorent le désir sexuel, la dimension passionnelle du souvenir, et la frontière intime entre le monde de l’engagement conjugal et le monde de l’idylle romanesque. Elles représentent ici, émises en même temps, un croassement strident et un commentaire sérieux et pondéré sur les attraits de l’illusion extravagante.

La littérature canadienne est nationaliste à l’égard de certains thèmes qu’elle traite ainsi que dans la dynamique de son institutionnalisation. Elle est, par contre, fort hétérogène, pour ce qui en est de sa prise de parti sur la question des genres littéraires, des techniques d’écriture et des sujets traités. C’est cette tension entre l’influence prépondérante du nationalisme culturel et un fourmillement de priorités sociales et artistiques locales, régionales et internationales qui fonde la définition de la littérature canadienne d’expression anglaise, entre 1960 et 1980.

Voir aussi Littérature de langue anglaise.

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