Écrivains francophones nés ailleurs et le Canada, Les | l'Encyclopédie Canadienne

Article

Écrivains francophones nés ailleurs et le Canada, Les

Après 1760, les rapports entre la France et son ancienne colonie étant restreints, pendant un demi-siècle, les allusions au Canada sont rares dans les ouvrages des Français.
Brooke, Frances
Dramaturge et romanci\u00e8re, Francis Brooke était bien connue des cercles littéraires et dramatiques de Londres avant de venir au Québec en 1763. C'est au cours de son séjour dans cette province qu'elle rédigea son roman, Voyage dans le Canada ou Histoire de Miss Montague, en 1769 (Archives nationales du Canada/C-117373).

Écrivains francophones nés ailleurs et le Canada, Les

Jusqu'à l'arrivée des Haïtiens fuyant le régime des Duvalier, la plupart des francophones qui écrivirent sur le Canada étaient des Français. Déjà au XVIIe s., on trouve des allusions à la Nouvelle France chez des auteurs qui connaissaient des voyageurs ou leurs oeuvres. La Fontaine loue les talents d'architectes des castors dans « un monde »« non loin du Nord » (« Discours à Madame de la Sablière », 1678). La remarque de Voltaire, pour qui le grand pays se limite à « quelques arpents de neige » (Candide, 1759), n'est que trop célèbre.

Après 1760, les rapports entre la France et son ancienne colonie étant restreints, pendant un demi-siècle, les allusions au Canada sont rares dans les ouvrages des Français. Toutefois, le héros du conte de Voltaire, L'Ingénu (1767), est un Breton élevé par des Hurons qui contemple, ébahi, la corruption et la bêtise des gens dits « civilisés ».

Ce n'est qu'à la fin du XVIIIe siècle que Louis-Joseph-Marie QUESNEL, premier écrivain français à s'installer au Canada, y arriva par hasard. Il s'y maria et s'établit à Montréal. On lui doit la première opérette, Colas et Colinette, jamais jouée en Amérique du Nord (1790; publiée 1808). Il écrivit aussi des poèmes et des pièces de théâtre.

Souvenirs de voyage

Il y eut, bien sûr, au XIXe s., des voyageurs qui consacrèrent des ouvrages à leurs souvenirs, la plupart de ces auteurs combinant une visite au Canada avec un séjour aux États-Unis. Déjà Chateaubriand avait parlé du Canada dans son Voyage en Amérique (1827) et dans Atala (1801), il avait brossé un tableau magistral des chutes du Niagara; il est pourtant douteux qu'il ait vu tout ce qu'il peint avec tant d'éloquence. Théodore Pavie, qui passa un an au Nouveau Monde (1829-1830), est un des premiers qui ait véritablement été témoin de ce qu'il décrit dans ses Souvenirs atlantiques. Voyage aux États-Unis et au Canada (1851). Xavier Marmier, globe-trotter érudit, vint en Amérique en 1849 et nous légua ses impressions dans Lettres sur l'Amérique, le Canada, les États-Unis, Rio de la Plata (1851). Il écrivit aussi un roman, Gazida (1860), intéressant surtout en tant que répertoire de légendes et de coutumes aborigènes.

A mesure que les contacts entre la France et le Canada devinrent plus faciles, les voyageurs se firent aussi plus nombreux, mais ils séjournaient souvent plus longtemps aux États-Unis qu'au Canada. Maurice Sand, fils de la célèbre romancière, est sans doute un des plus connus de ceux qui ont raconté leurs aventures. Il accompagnait le Prince Napoléon, plus tard Napoléon III, et à son retour à Paris, publia Six mille lieues à toute vapeur (1863), préfacé par son illustre mère. Parmi les autres voyageurs de marque, signalons Henri de Lamothe, qui écrivit Cinq mois chez les Français d'Amérique. Voyage au Canada (1879) et Gustave de Molinari, dont les nombreuses lettres sur le Canada et les États-Unis parurent d'abord dans le Journal des débats et ensuite en trois volumes (1876, 1881, 1886).

A la fois l'Est et l'Ouest du pays devaient inspirer les romanciers. En 1841, quatre ans seulement après la parution du premier roman canadien-français, Le Courrier des États-Unis publiait Le Rebelle, du baron Philippe-Régis de Trobriand, mince ouvrage auquel les événements de 1837 servent de cadre. L'auteur avait passé quelques semaines au Canada, alors que les tristes souvenirs de la Rébellion étaient encore vivants. Le plus prolifique des écrivains qu'ait inspirés le Canada est, sans conteste, Henri-Émile Chevalier. Forcé à s'exiler par Napoléon III, il arriva à Montréal en 1852 et au cours des huit années qu'il y passa, il fonda la revue La Ruche littéraire, rédigea de multiples articles pour plusieurs journaux et écrivit d'interminables romans d'aventures parus surtout dans La Ruche et dans Le Moniteur canadien. De retour en France en 1860, il continua à produire des romans, dont une trentaine ont comme cadre le Canada. Ces oeuvres aux personnages insipides et aux intrigues farfelues ont peu de mérite littéraire, mais grâce à l'impressionnante érudition de l'auteur, elles offrent d'intéressants commentaires sociaux et politiques et fourmillent d'allusions aux coutumes aborigènes.

Jules Verne, le plus célèbre des écrivains français de science-fiction, passa « 192 heures » sur le continent nord-américain en 1867, mais à part les chutes du Niagara, il ne vit rien du Canada. Pour Le Pays des fourrures (1873), il trouva sa documentation dans des livres. L'action de Famille-sans-nom (1892) se situe en 1837. Dans son seul roman politique, Verne ne cache pas sa sympathie pour les Patriotes.

Les romanciers

Au tournant du siècle, beaucoup de romanciers, qui vinrent au Canada en tant que voyageurs, conférenciers ou immigrants, y trouvèrent la matière d'un ou plusieurs ouvrages. Louis HÉMON écrivit le plus célèbre de tous les romans de la terre au Québec, MARIA CHAPDELAINE (1916). Marie Le Franc arriva à Montréal en 1906 et y passa une vingtaine d'années avant de rentrer en France. Pendant le restant de sa vie, elle partagea son temps entre sa Bretagne natale et son pays adoptif, également attachée aux deux. Plusieurs de ses ouvrages furent inspirés par ses chères Laurentides et par Montréal, qu'elle appelle « ma ville ». Son roman Grand-Louis l'innocent (1925) obtint le prix Fémina. Parmi la douzaine de volumes qui ont pour cadre le Canada, citons deux romans qui illustrent la sympathie de l'auteur pour les humbles: La Rivière Solitaire (1934) et Pêcheurs de Gaspésie (1938). Le premier décrit les souffrances endurées par un groupe de citadins sans emploi qu'on envoie défricher des terres au Témiscamingue à l'époque de la Crise; le second peint les misères des pêcheurs gaspésiens.

Aucun des écrivains français que l'espoir de faire rapidement fortune avait attirés dans l'Ouest ne devint riche, mais ils nous ont laissé une peinture saisissante de la vie dans les Prairies. L'un des premiers de ces immigrants, Georges Forestier (pseudonyme de Georges Schaeffer) passa sept ans au Manitoba. Son roman, La Pointe-aux-Rats (1907) vise à décourager l'immigration, du moins pour la bourgeoisie, et Dans l'Ouest canadien (1915), volume posthume de nouvelles, est à la fois touchant et amusant. Maurice Constantin-Weyer passa dix ans dans l'Ouest, qu'il quitta définitivement en 1914 pour rejoindre l'armée française. Après la guerre, il produisit une oeuvre impressionnante (articles, nouvelles, romans, essais, biographies), mais inégale. Les meilleurs de ses ouvrages, dont quinze se situent dans l'Ouest, ont été inspirée par ses aventures au Canada. Un homme se penche sur son passé (1928) obtint le prestigieux prix Goncourt. Les critiques louèrent les dons de paysagiste de Constantin-Weyer et sa magistrale description du Grand Nord dans ce roman en partie autobiographique. Dans Manitoba (1924), Cinq éclats de silex (1927) et Clairière (1929), il peint de main de maître la faune de l'Ouest et ce qu'il appelle « le rythme de la Vie et de la Mort ».

Georges BUGNET est arrivé dans l'Ouest en 1905 et a vécu le reste de sa longue vie (il est mort à 101 ans) en Alberta. Le peu de temps que lui laissait le travail de la terre, il le consacrait à l'écriture. Nipsya (1924), histoire d'une jeune Métisse qui doit choisir entre les cultures crée et occidentale, et La Forêt (1935), au sujet d'un jeune couple français qui tente en vain de fonder un foyer en Alberta, sont ses deux meilleurs ouvrages.

Le roman le plus émouvant inspiré par la ruée vers l'or au Klondike est La Bête errante, roman vécu du Grand Nord canadien (1923), de Louis-Frédéric Rouquette, globe-trotter qui exerça tous les métiers. Ses aventures dans le Nord-Ouest lui ont inspiré Le Grand Silence blanc, roman vécu d'Alaska (1921), qui se passe en partie au Canada, et L'Épopée blanche (1926), description poignante de l'oeuvre des missionnaires oblats. Rouquette excelle lorsqu'il peint l'homme aux prises avec la nature ou avec ses semblables. Maurice Genevoix, membre de l'Académie française, a traversé le Canada d'un océan à l'autre en 1939 et a raconté ses souvenirs dans Canada (1944). Laframboise et Bellehumeur (1944) décrit les rapports, à la fois tendres et hostiles, entre deux trappeurs, portraits de Québécois que l'auteur a rencontrés, tandis que Eva Charlebois (1944) peint les difficultes d'une jeune Québécoise qui cherche à s'adapter à la vie dans l'Ouest.

Parmi d'autres romanciers moins connus qui ont été inspirés par le Canada, il faut citer Joseph-Emile Poirier, dont Les Arpents de neige (1909) a comme cadre la Révolte métisse en Saskatchewan, bien que l'auteur n'ait jamais mis les pieds sur le continent nord-américain; Victor Forbin qui, à la suite des nombreux voyages qu'il fit au Canada - il le traversa même une fois de l'est à l'ouest - y consacra plusieurs ouvrages, romans et essais; Pierre Hamp, dont le sujet est la classe ouvrière, et dont Hormisdas le Canadien (1958) est le résultat d'un séjour à Saint-Pierre-l'Ermite.

Deux économistes se sont aussi intéressés au Canada. Alexis de Tocqueville y fait, de temps à autre, allusion dans ses oeuvres. André Siegfried y passa un an en 1904 pour se familiariser avec la situation politique. En 1906, il publia Le Canada, les deux races: problèmes politiques contemporains. A la suite d'un second voyage en 1935, il écrivit Le Canada, puissance internationale (1937).

Plus récemment, sans doute à cause des nombreux échanges culturels entre le Québec et la France, le Canada est devenu une source d'inspiration pour beaucoup d'écrivains français. Le plus important de ceux-ci est Bernard Clavel, gagnant du prix Goncourt de 1968. Le romancier a fait de nombreux voyages au Québec; il y a même séjourné deux ans, de 1977 à 1979, se documentant sur les lieux. L'action de Les compagnons du Nouveau Monde (1981) se situe en Nouvelle France, au XVIIe s. Sous le titre « Le Royaume du Nord », Clavel a groupé six romans, créant une véritable épopée canadienne. Dans les cinq premiers volumes, de Harricana (1983) à L'Angélus du soir (1938), il peint les épreuves et les rares joies des pionniers qui tentent de fonder un nouveau village, Saint-Georges d'Harricana, en Abitibi. Dans le dernier ouvrage de la série, Maudits sauvages (1989), les Aborigènes de la Baie James assistent, impuissants, à la destruction de leur culture par la technologie. Le succès des livres de Clavel est dû surtout à la puissance de son style, qui convient parfaitement à un sujet épique.

Le roman mythique d'Alain Gerber, Le Lapin de lune (1982) se situe sans aucun doute au Québec, bien que l'endroit ne soit pas nommé. Parmi les autres contemporains qui ont écrit sur le Canada, citons Michel Desgranges, qui n'a jamais visité le pays, mais dont le roman Manitoba (1981) suit de près la vie de Riel; Anne et Serge Golon, dont la populaire héroïne Angélique, personnage du XIIe s., se trouve souvent en Nouvelle France, en particulier dans Angélique à Québec (1982); Roger Buliard, un prêtre, dont les ouvrages sur les Inuit et l'oeuvre des missionnaires sont parfois captivants.

Dans les trois ou quatre dernières décennies, un grand nombre d'immigrants cultivés, fuyant des régimes tyranniques, ont trouvé refuge au Canada. Dans Romanciers immigrés: biographies et oeuvres publiées au Québec entre 1970 et 1990 (1993), Denise Helley et Anne Vassal citent plus de cent noms, et notons qu'elles ne tiennent compte ni des ouvrages publiés en Ontario par Prise de Parole, ni dans l'Ouest par les Editions des Plaines et les Editions du Blé. Beaucoup d'auteurs d'origine étrangère, tels le romancier Jacques Folch-Ribas, la romancière Monique Bosco, le dramaturge Robert GURIK, écrivent à Montréal depuis si longtemps qu'ils sont considérés comme des écrivains québécois.

Les Haïtiens

Parmi les immigrants arrivés récemment, le groupe le plus important est sans doute celui des Haïtiens. Les romans satiriques de Gérard Étienne, poète et romancier, ont pour cadre Montréal (Un ambassadeur macoute a Montréal, 1979; Une femme muette, 1983), tandis que les ouvrages d'Émile Ollivier évoquent généralement le pays natal torturé (Mère Solitude, 1933; La Disdorde aux cent voix, 1986). Le plus jeune et le plus populaire de ces écrivains est Dany Laferrière, devenu célèbre dès son premier roman, Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer (1985), dont Jacques W. Benoît a fait un film (1988). Montréal joue un rôle secondaire dans Éroshima (1987), tandis que L'Odeur du café (1991) et son deuxième volet, Le Goût des jeunes filles (1992), sont inspirés par des souvenirs haïtiens. Dans Chronique de la dérive douce (1994), mélange de poésie et de prose, Laferrière évoque ses souvenirs de jeune immigrant à Montréal. L'humour et l'érotisme qui imprègnent ces ouvrages, au fond sérieux, expliquent leur popularité.

Un dramaturge italien - Le Problème de l'identité

Parmi les auteurs d'origine italienne, le plus important est sans doute le dramaturge Marco Micone. Les Gens du silence (1982), Addolorata (1984), Déjà l'agonie (1988) examinent les difficultés et les problèmes d'identité auxquels doivent faire face les immigrants italiens tentant de s'intégrer à la société québécoise.

L'identité est aussi le thème de La Québécoite (1983), de Régine Robin, fille de Juifs russes et née à Paris. Le roman est un long monologue intérieur où la mémoire collective et la mémoire individuelle empêchent l'héroïne de s'adapter à sa nouvelle patrie. Les personnages de Monique Genuist, Française qui a longtemps vécu en Saskatchewan, sont, eux aussi, tiraillés entre leur Lorraine natale et leur pays adoptif (Le Cri du loon, 1993; L'Île au cotonnier, 1997).

La création de deux périodiques illustre l'importance de l'écriture des immigrants au Québec. Vice Versa, fondé en 1989, se veut un « Magazine transculturel ». La Parole métèque, fondé en 1987, publie des textes de femmes « vivant dans un pays où elles ne sont pas nées ».

Lecture supplémentaire