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Création collective

D'une certaine façon, le théâtre a toujours été une création collective, car il s'appuie sur les énergies d'un groupe d'artistes qui partagent une même vision de l'oeuvre qu'ils créent.

Création collective

 Le terme « création collective » est une expression désignant à la fois une pratique ancienne qui a marqué un tournant dans l'évolution du théâtre canadien pendant les années 60 et 70 et une méthode encore très actuelle d'écriture théâtrale qui fait appel à la collaboration. Dans son usage le plus courant, l'expression désigne une technique permettant de concevoir une pièce en groupe, avec ou sans l'aide d'un dramaturge. Les défenseurs de ce processus de création soutiennent qu'il transforme l'acteur en artiste créateur et l'amène à exprimer sa propre expérience à travers son jeu.

D'une certaine façon, le théâtre a toujours été une création collective, car il s'appuie sur les énergies d'un groupe d'artistes qui partagent une même vision de l'oeuvre qu'ils créent. Le mouvement de création collective qui se développe en Europe et en Amérique du Nord dans les années 60 a eu plusieurs précédents dans le domaine du théâtre, mais son élan lui vient d'une volonté de démocratiser le processus de création qui, au XXe siècle, insiste de plus en plus sur le génie du metteur en scène comme seul interprète du texte. Des troupes comme le Living Theatre et l'Open Theatre de New York, ainsi que des techniques de collaboration de metteurs en scène tels que Peter Brook et Peter Cheeseman, en Grande-Bretagne, et Roger Planchon, en France, influencent le mouvement canadien de création collective.

Sur le plan social, la création collective est favorisée par l'apparition d'une génération de jeunes artistes dont la passion pour le nationalisme culturel canadien, dans les années 60, entraîne une demande de pièces portant sur la vie au Canada et l'histoire canadienne. La plupart des théâtres canadiens fondés depuis la mise en place de subventions gouvernementales destinées aux arts, dans les années 50, ont démontré peu d'intérêt pour la dramaturgie canadienne. À l'extraordinaire prolifération de nouvelles pièces au cours des années 70 (marquant ce que l'on a appelé le théâtre alternatif), correspond l'arrivée de plusieurs troupes qui utilisent la création collective afin de créer des pièces sur des thèmes locaux ou régionaux. Pour ces troupes, la création collective est synonyme de populisme de gauche, de remise en question de la hiérarchie artistique et d'un engagement envers la culture locale. Elles rejettent les modèles établis du théâtre régional, qui représentent selon elles une mentalité asservie de colon, et cherchent à définir la culture locale en retournant à des thèmes historiques et locaux.

Ces troupes se multiplient de 1968 à 1975. L'événement marquant qui témoigne des possibilités artistiques de la création collective au Canada anglais est la célèbre pièce documentaire du THEATRE PASSE MURAILLEThe Farm Show (1972), qui devient une référence pour des centaines de projets similaires partout au Canada anglais.

The Farm Show devient célèbre parce qu'elle est le prototype d'un style qui marquera le théâtre canadien du début des années 70 et parce qu'elle fait l'objet d'un film connu de Michael ONDAATJE, The Clinton Special. Pendant l'été 1972, le metteur en scène Paul THOMPSON et un groupe de comédiens s'installent dans une ferme près de Clinton, en Ontario. À partir de conversations avec des agriculteurs de la région, les comédiens improvisent une pièce documentaire qui allie le ton propre au documentaire parlé et l'exubérance du conte. La pièce apparaît à première vue comme une série de monologues, de chansons et de sketches (comme le dit un acteur s'adressant au public, « ça rebondit et puis ça s'arrête »), mais son apparente absence de forme cache une structure dramatique complexe.

Au Québec, la création collective joue aussi un rôle important dans le développement d'une technique dramatique et d'un style de jeu particuliers. Suivant l'exemple de metteurs en scène d'avant-garde comme Jean-Claude Germain et de troupes novatrices comme Le Grand Cirque Ordinaire, des centaines de petites compagnies de « jeune théâtre » font un bout de chemin dans les années 60 et 70, avant de disparaître. La plupart pratiquent la création collective mais, tandis qu'au Canada anglais on favorise plutôt le conte et le ton propre au documentaire, les compagnies québécoises manifestent souvent une théâtralité plus extravagante qui relève de la tradition du cirque et des clowns.

Une fois la dramaturgie canadienne parvenue à un stade où les dramaturges peuvent vivre de leur art, la création collective apparaît moins nécessaire. Malgré tout, certaines pièces parmi les plus importantes et les plus populaires des années 70 sont le fruit d'un travail collectif. C'est le cas de Paper Wheat du 25TH STREET THEATRE, de Ten Lost Years de la Toronto Workshop Production, et des collectifs politiques et radicaux de la Mummers Troupe de Terre-Neuve.

Au cours des années 80, la création collective commence à ne plus coïncider avec des genres précis et avec les principes idéologiques populistes des organismes culturels et des compagnies de théâtre. En tant que technique, la création collective demeure néanmoins populaire, puisqu'elle constitue un ensemble d'outils dramatiques qui permettent aux troupes de théâtre d'écrire une pièce efficacement et rapidement sur un thème choisi. Certaines compagnies, parmi lesquelles Headlines Theatre (Vancouver) et Resource Centre for the Arts (St. John's), demeurent fidèles à la création collective qu'elles considèrent appropriée à la culture locale.

Dans les années 90, la création collective est largement supplantée par la « collaboration », de façon à dépasser les connotations politiques anti-hiérarchiques qui étaient si importantes pendant les années 70. En dépit de ce changement d'appellation, les techniques de la création collective sont couramment utilisées, surtout par les troupes de théâtre physique et les groupes qui pratiquent l'imagerie, les compagnies féministes et les théâtres politiques populaires (comme les Ground Zero Productions d'Edmonton, qui sont centrées sur les syndicats). La création collective, qui n'est plus l'expression d'une pratique culturelle nouvelle, fait désormais partie du répertoire des méthodes utilisées par les petits théâtres qui, soit parce qu'ils comptent sur la faible rétribution versée aux acteurs, soit parce qu'ils reposent sur le bénévolat de leurs comédiens, peuvent garder ensemble une équipe d'acteurs le temps nécessaire à la création d'une pièce. C'est là un luxe que les théâtres plus importants, plus institutionnalisés, peuvent rarement s'offrirs'offrir.

ALAN FILEWOD

Au Québec

Du milieu des années 60 à 1980 environ et parallèlement à l'émergence d'auteurs dramatiques de talent - Michel Tremblay en tête -, la création collective a pris au Québec les proportions d'un véritable mouvement de démocratisation culturelle, à travers d'innombrables groupes, en grande majorité amateurs, qui ont témoigné sur-le-champ des problèmes de l'heure. Ainsi a-t-on pu dénombrer quelque 400 créations collectives de 1965 à 1975 seulement. Un tel surgissement de la parole populaire a concidé avec le déferlement de la génération des baby-boomers parvenus à l'âge adulte, alors que la société civile et ses institutions, sous l'impulsion de la RÉVOLUTION TRANQUILLE, étaient soumises à une cascade de transformations décisives. Plus globalement, la société occidentale a été alors secouée par une crise de la structure patriarcale, attaquée entre autres par les francs-tireurs de la contre-culture, par les groupuscules gauchistes (voir GAUCHE AU QUÉBEC) et par les féministes aux abois. Dans ce contexte de constante ébullition socioculturelle et de contestation tous azimuts des figures d'autorité, la création collective a été ballottée entre différentes visions du monde. Par ses visées égalitaristes, elle a pu certes se proposer en tant qu'alternative progressiste au mode traditionnel de production théâtrale, mais cette utopie s'est peu à peu effritée face à la menace d'un nivellement par le bas des compétences artistiques. Sur le plan esthétique, il n'y a eu aucune commune mesure entre, d'une part, l'exploration multidisciplinaire du Groupe Image et Verbe ou des Saltimbanques - dont le spectacle Équation pour un homme actuel (1967) apréfiguré le théâtre d'images des années 80 -, et d'autre part, l'engagement ouvriériste du Théâtre Euh! (1970-1978) ou le théâtre d'intervention féministe du Théâtre des Cuisines (1973-1981). Se tenant à distance des pôles extrêmes du théâtre expérimental et de l'agit-prop, les groupes professionnels les plus marquants, portés par la vague plébéienne que l'on a mentionnée, ont plutôt adopté une approche ludique, proche de la revue, dans un style aux forts accents satiriques, où étaient combinés dans des proportions diverses la parodie, la chanson, le jeu grotesque, l'outrance verbale et l'adresse au public. Dans cette veine populaire, il faut faire une place à part au Grand Cirque Ordinaire (1969-1977) dont plusieurs spectacles, notamment T'es pas tannée, Jeanne d'Arc? (1969) et T'en rappelles-tu, Pibrac? (1971), ont eu un profond retentissement, tant dans les grands centres qu'en province. D'autres groupes, comme le Théâtre de Carton (fondé en 1972), L'Organisation Ô (1972-1980) et Les Gens d'en Bas (fondé en 1973), ont contribué à populariser ce genre pour lequel des acteurs-improvisateurs se sont laissé guider par une thématique, choisie en fonction de sa résonance potentielle auprès d'un public-cible. Au-delà de 1980, il n'y aura plus guère que le Théâtre Parminou (fondé en 1973) pour perpétuer cette poétique collective qui, dans les meilleurs cas, se fait l'écho de préoccupations citoyennes. Paradoxalement peut-être, la création collective a conduit à la redéfinition des tâches artistiques au sein des compagnies théâtrales, en pavant la voie à un retour en force de la mise en scène. Le théâtre d'un Robert LEPAGE constitue sans doute l'exemple le plus probant d'une démarche mixte où se sont articulés l'imaginaire scénique d'un régisseur démiurge et la matière dramaturgique fournie par un collectif d'acteurs (La trilogie des dragons, production du Théâtre Repère, 1985-1987; Les sept branches de la rivière Ota, production d'Ex Machina, 1995-1997). Sans doute est-ce par le biais de semblables "collectifs de création" que se perpétue encore de nos jours un peu de l'esprit libertaire qui a accompagné l'"âge d'or" de la création collective au Québec.

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