Barilko remporte la Coupe Stanley pour les Maple Leafs ! | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Barilko remporte la Coupe Stanley pour les Maple Leafs !

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Barilko remporte la Coupe Stanley pour les Maple Leafs !

Il arrive que le passé soit intéressant, non en raison de sa portée historique à long terme ou parce qu’il nous permet de tirer une leçon discutable sur le présent, mais tout simplement parce qu’il recèle de merveilleux rappels sur les heureux hasards du destin. Le but qu’a marqué Bill Barilko le 21 avril 1951 me fascine, non parce qu’il est précurseur du but salvateur marqué par Paul Henderson en 1972 ou du but rédempteur de Sidney Crosby aux Jeux olympiques de 2010, mais parce que j’y étais. Il y avait officiellement 14 577 partisans à ce match, mais en réalité, il y en avait 14 577 + 1 parce que ma grand-mère m’avait fait sauter par-dessus le tourniquet (tous les placeurs l’appelaient pas son prénom) et m’avait serré contre elle sur les gradins de la première rangée grise surplombant directement la ligne bleue de la zone sud. J’avais sept ans.

À l’époque, une formalité impressionnante était de mise aux Gardens, vivement encouragée par Conn Smythe, le propriétaire et directeur général à l’allure militariste des Maple Leafs de Toronto. Tout le monde se mettait sur son trente-et-un et arborait costumes, fourrures et chapeaux. Installé au balcon sud, un orchestre s’occupait de divertir le public à chaque entracte et Dieu merci, nous n’avions pas à subir l’épouvantable bruit de la musique enregistrée qui, aujourd’hui, fait éclater les tympans. Les seuls bruits étaient émis par les contacts des joueurs entre eux, les sifflets de l’arbitre, et par des partisans enthousiastes qui jamais n’auraient pensé à déranger leurs voisins pendant le match pour aller acheter des rafraîchissements. Dans les moments d’accalmie, un garagiste du nom de John Arnott s’illustrait à attirer l’attention du capitaine des Leafs, Ted Kennedy, en lançant un appel retentissant, presque plaintif, « Allez... Teeederrrrr. » La longue montée de la volée de marches des Gardens à travers un dédale de couloirs sombres était intimidante pour un garçonnet, mais j’étais récompensé par la vue plongeante sur l’imposante coupole soutenue en haut – de manière précaire selon moi – et sur de fines bandes d’acier et en bas, par la glace immaculée de la patinoire. J’avais peur des hauteurs et des années s’écouleront avant que je puisse lever les yeux, vers l’étroite passerelle que Foster Hewitt traversait pour se rendre à sa célèbre gondole. En fait, l’idée même me donnait des cauchemars.

Mamie, ainsi que j’appelais Mme Annie Radford (ce n’était pas ma vraie grand-mère, mais un bon Samaritain qui m’avait plus ou moins adopté), était une fanatique des Leafs, elle avait un abonnement à l’époque où les Leafs s’appelaient encore les St. Pats et qu’ils jouaient dans le vieil aréna de la rue Mutual. Elle avait comme valeurs les bonnes vieilles valeurs protestantes de l’humilité et du travail et les vaillants Leafs lui renvoyaient cette image. Elle se méfiait même un peu du louvoyant Max Bentley pour qui Smythe venait récemment d’échanger un groupe de bourdons, âpres à la besogne. Elle détestait les Canadiens de Montréal qui en plus d’être français et catholiques avaient, à ses yeux, un comportement déplacé en raison de leur tempérament latin. Pour elle, Maurice Richard était l’incarnation du diable, un pou comme elle disait dans sa langue colorée. Le fait qu’il soit un joueur hors pair l’irritait au plus haut point et elle mettait son succès sur le compte d’un pacte qu’il avait signé avec le diable.

Plus tard, les journalistes rapporteront qu’ils n’avaient jamais entendu autant de clameurs aussi tonitruantes que ce soir-là; il n’est donc pas surprenant que mes souvenirs de ce match soient si précis. Les Leafs menaient les séries éliminatoires par trois matchs contre un, mais les quatre matchs s’étaient joué en temps supplémentaire avec Sid Smith, Ted Kennedy et Harry Watson marquant les buts victorieux pour les Leafs et le redouté Richard pour les Canadiens.

Au début du match, un défenseur de Toronto avait été pénalisé pour assaut. Ce n’était pas le type de joueur que Mamie chérissait, il était exubérant et querelleur. La pénalité avait perturbé Mamie et l’avait distraite. À cet instant précis, je décidai que ce fougueux défenseur serait désormais mon joueur préféré. Je voulais connaître son nom et je me souviens m’être mouillé le doigt pour écrire le chiffre 5 sur la rampe en bois devant elle et de l’avoir harcelée jusqu’à ce qu’elle m’annonce, avec humeur, son nom : « Barilko! »

Bill Barilko était un jeune costaud, né à Tisdale, un petit village planté au beau milieu des camps miniers du nord de l’Ontario. Ses parents avaient émigré de Pologne et de ce qui est maintenant le Bélarus et avaient des difficultés à joindre les deux bouts. Bill et son frère Alex devaient se contenter des vêtements et des patins de seconde main que le patron de leur père leur donnait. Indifférent à tout ce qui touchait l’école, Bill avait interrompu sa scolarité à 15 ans et avait commencé par conduire un camion pour l’une des mines de la région. Il avait appris à patiner à l’adolescence et malgré n’avoir jamais réussi à patiner gracieusement, il a laissé sa marque sur la glace comme un joueur physiquement fort. L’irascible Smythe vit en lui le joueur idéal (« Si vous ne pouvez pas les battre dans la ruelle, battez-les sur la glace », déclara-t-il un jour, phrase qui depuis est entrée dans les annales du hockey) et en 1947, lui fit sauter des étapes et l’envoya jouer pour les Leafs alors qu’il faisait partie de l’une de leurs moins bonnes équipes-écoles, les Hollywood Wolves. À l’époque, les mises en échec relevaient de l’art, surtout la mise en échec avec la hanche, et Barilko en devint le maître d’œuvre. Plus d’une fois, l’élégant patineur Milt Schmidt, joueur centre de l’équipe de Boston, se retrouva projeté dans les airs pour avoir tenté de patiner autour de Barilko.

Pour Mamie, Barilko et les autres durs comme l’ancien joueur des Leafs Bill Eziniki étaient des truands. Elle ne couvrait d’éloges que le très chic Syl Apps et le tenace Ted Kennedy. Elle encourageait les perdants probables et les soldats méconnus comme Hugh Bolton, maître selon elle de la mise en échec avec la pointe du bâton qui évitait le recours à la violence. De plus, Barilko avait l’air étranger, ce qui perturbait son nativisme britannique.

Le match en soi fut aussi serré que les quatre matchs précédents. À la fin de la première période, aucun but n’avait été marqué, et le capitaine des Leafs Kennedy avait été transporté hors de la glace sur une civière. En deuxième période, l’irrépressible Richard marqua lors d’une percée en solo et Tod Sloan égalisa pour les Leafs. Barilko alimenta mon adoration silencieuse quand une bagarre éclata entre lui et Tom Johnson et qu’il se lança dans un duel avec le gardien de but Gerry McNeil, à coups de bâton virevoltant de part et d’autre. Il semblait déterminé à taper sur les joueurs de la Sainte-Flanelle jusqu’à ce que ces derniers se soumettent. Paul Meger marqua un but en troisième période et donna ainsi une avance de 2 à 1 pour Montréal et McNeil repoussa les assauts successifs de Meeker, Kennedy et Timgren. L’entraîneur Joe Primeau retira le gardien de but des Leafs, Al Rollins, à moins de deux minutes de la fin du match et Sloan marqua son deuxième but pendant une ruée vers les filets, égalant le score à 2-2. La foule se déchaîna.

Foster Hewitt qui commentait le match pour des auditeurs à travers le pays, décrivit ce qui se produisit à 2:53 de la période supplémentaire, celle de la mort subite, judicieusement nommée : « Meeker contourna le filet. Les centres sont devant, à l’extérieur. McNeil est tombé. Devant encore une fois. Watson décoche un tir. Il lance et c’est le but! Barilko, Barilko a remporté la Coupe Stanley pour les Leafs! » Barilko avait bondi sur une passe de remise au centre, avait trébuché sur son coéquipier Cal Gardner (qui aurait pu marquer un but avec cette même rondelle perdue) et avait lancé la rondelle du revers vers McNeil étalé sur la glace. « Tu as vu, tu as vu! C’est Barilko! je criai à Mamie. Elle ne dit mot. Pour elle, l’excitation de la victoire était toujours beaucoup moins puissante que le soulagement de ne pas avoir perdu.

Dans quelle mesure l’attrait qu’exerce encore aujourd’hui ce but est-il étroitement lié à la tragédie qui se produisit ultérieurement? Difficile à dire. Assurément, personne n’aurait pu prédire que ce match serait le dernier que Barilko jouerait. Le 26 août 1951, Barilko et son ami Henry Hudson, pilote amateur, décollèrent de Rupert House (non loin de l’endroit où l’explorateur portant le même nom que Hudson se perdit) dans un avion de brousse, à moteur unique, avec du poisson à son bord et disparurent dans la forêt enchevêtrée du nord de l’Ontario. Il faudra attendre 1962 pour découvrir le lieu de l’écrasement, à 100 kilomètres au nord-ouest de Cochrane. J’étais accablé, sidéré, perplexe. Comment un petit garçon de sept ans démêle-t-il les répercussions mythiques de la mort d’un héros? Le chiffre 5 fut gravé à tout jamais dans mon cœur et aujourd’hui encore, il représente pour moi ce qui ressemble le plus une superstition.

Ce qui est par contre certain, c’est l’effet sur la mémoire qu’a eu l’ahurissante photographie du but prise par Nat Turofsky avec son appareil Graflex au moment crucial, si crucial d’ailleurs qu’il réussit à prendre en photo la rondelle dans le filet avant même que ne s’allume la lumière indiquant un but. McNeil est assis sur les fesses après avoir fait une chute en empêchant Meeker de marquer un but. Richard attend une passe qu’il n’obtiendra jamais. Meeker, quant à lui, ne verra pas ce moment de gloire parce qu’il est acculé aux bandes par Tom Johnson. Barilko saute en l’air, figé dans le temps, jeune pour l’éternité.