Paul Kane: artiste et aventurier | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Paul Kane: artiste et aventurier

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L'artiste autodidacte Paul Kane (1810-1871) est, pour nous, intimement lié aux tableaux romantiques représentant les peuples autochtones. Ses œuvres sont considérées comme étant des représentations fidèles de personnages en particulier et de leurs allégeances, de même que des paysages du Great Nor'West. Depuis qu'on lui attribue, en 1859, la publication du documentaire de voyage Wanderings of an Artist, son œuvre est devenue une source fiable de renseignements historiques, véritables témoins de sa recherche sur ce sujet remarquable.

Paul Kane, autoportrait, 1846-1848, huile sur papier (avec la permission de la Stark Foundation d'Orange, au Texas).

En effet, ce livre à succès de Paul Kane et sa production prolifique d'huiles sur canevas, réalisée surtout au cours des années 1850, lui ont assuré une renommée comme étant l'un des artistes canadiens dont la carrière se veut être à la fois intéressante et remarquable.

Paul Kane naquit en Irlande; à l'âge de neuf ans il arrivait avec sa famille en Amérique du Nord britannique, selon l'appellation de l'époque. Vers 1820, la famille s'établit à « Muddy York », le Toronto d'aujourd'hui. En tant que sujet colonial et futur artiste, il se voulait de l'école des peintres européens. En 1841, à l'âge de 30 ans, P. Kane entreprit un séjour de trois ans outremer, s'évertuant à en apprendre le plus possible en « copiant » les maîtres européens. C'est à Londres qu'il vit le « Wild West Show », exposition de l'artiste américain George Catlin, dont les tableaux et les artefacts présentaient son propre voyage dans l'Ouest, en 1830. P. Kane décida alors de devenir, pour l'Amérique du Nord britannique, ce que Catlin pensait avoir accompli pour les États-Unis. Il se donna pour mission de capter l'essence de l'Indien éphémère avant qu'il ne soit trop tard. Propulsé par cette nouvelle détermination un peu paradoxale, Kane retourna chez lui en 1844.

L'oeuvre de Paul Kane s'inspire de deux voyages. Au cours de l'été 1845, il fit le tour des Grands Lacs; son second voyage revêtit une allure fantastique, car il emprunta, tel un faux voyageur, les routes du commerce de fourrures de la Compagnie de la Baie d'Hudson. Pendant deux ans et demi, et des milliers de kilomètres de nature sauvage, troquant fourrures et aviron pour son matériel, il produisit esquisses, croquis et peintures. On ne peut comprendre la portée de sa réalisation qu'en le comparant à d'autres grands aventuriers. Contrairement à Jacques Cartier ou à Samuel de Champlain, il n'était pas passé maître dans l'art de la navigation, ni en exploration. Il n'était pas non plus l'égal des frères La Vérendrye ou de David Thompson.

Parmi les artistes, Paul Kane figure comme l'un des plus résilients. Il fit preuve d'endurance, car il suivit le rythme des trappeurs de la Compagnie de la Baie d'Hudson en traversant des forêts denses, des montagnes accidentées et les eaux déchaînées de la rivière Columbia. Il voyagea avec des chiens attelés à des traîneaux, endurant des froids sibériens ainsi que bien d'autres privations. Toutefois, il s'était fixé pour objectif de créer des œuvres représentant sa propre conception de l'art, et il y parvint, ramenant avec lui des centaines d'artefacts, plusieurs cahiers de notes prises en pleine nature et 700 esquisses et croquis des paysages et des peuples autochtones rencontrés au fil des mois.

Les Assiniboines chassent les bison (Stark Museum of Art, Orange, Texas)

Une exposition des œuvres de Paul Kane, tenue à Toronto lors de son retour au pays en 1848, épata le public. Ses toiles présentaient des aspects du pays que la plupart n'aurait jamais pu imaginer. L'exposition solo de ses esquisses à l'huile, dont Medicine Pipe Stem Dance/Danse de la tige de pipe médicinale, représentait en effet une première pour un artiste peintre en Amérique du Nord britannique. L'événement organisé par Harriet Clench, sa future épouse, assura pour l'artiste autodidacte un retour au pays triomphant. De plus, Paul Kane devenait le premier artiste à créer des œuvres que l'on aura qualifiées éventuellement, d'art canadien. En dépit de cela et sans en comprendre les raisons véritables, cet événement - clé ne dura à peine que trois semaines.

Lorsque Kane retourna à Toronto en 1848, sa véritable mission ne s'était pas encore manifestée. Représenter les ciels lumineux de l'Ouest, les couleurs vives des habits cérémoniaux des Autochtones et les paysages accidentés qu'il avait traversés de peine et de misère ne l'intéressait pas. Il voulait plutôt suivre la consigne de Catlin qui lui demandait de documenter 'l'Ouest sauvage' en peaufinant ses toiles selon la mode du jour: des peuples autochtones idéalisés, des paysages européens, des teintes estompées. Avec l'aide du mécène G. W. Allen, un riche financier de Toronto, il se mit, en se conformant aux normes de l'Europe, à réaliser des tableaux à l'huile à partir de ses croquis. Les images stylisées du « noble sauvage » de Paul Kane demeurent donc sa marque de commerce, plutôt que le travail authentique qu'il réalisa à ciel ouvert.

Le même genre de relation existe entre les notes prises au cours de ses voyages et son livre tel que publié. Ses carnets de notes recèlent d'anecdotes d'observation de première main de la vie des Autochtones qui prouvent, tel que l'a démontré le professeur Ian MacLaren, que le véritable Paul Kane n'est pas la voix du voyageur gentleman que l'on retrouve dans Wanderings of an Artist. Le livre ainsi publié ne répond qu'aux attentes de ses lecteurs et ne cadre pas réellement avec les véritables observations de P. Kane.

L'héritage de Paul Kane est complexe. Ses tableaux et ses écrits les plus connus sont de nature idéalisée, romantique. La langue empruntée dans ses écrits est plutôt paternaliste au niveau racial, tandis que les images sont exotiques et idylliques. À prime abord, il voulait faire des recherches sur le véritable « Wild West » , l'authentique vie autochtone. Ce dont il a été témoin, il le consigna beaucoup plus fidèlement dans ses carnets de notes et ses croquis. Ce qu'il produisit à son retour dans son studio de Toronto constitue un document artistique plutôt qu'un document historique. Paradoxalement, ce document artistique fut considéré comme étant le document historique. L'aventurier et artiste peintre saisit ainsi l'occasion d'immortaliser dans la mémoire des gens un point tournant de l'histoire nord-américaine. Il le fit toutefois conformément à la mode de son époque. De nos jours, il nous offre l'occasion d'examiner son legs d'un œil critique.

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