Judy LaMarsh | l'Encyclopédie Canadienne

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Judy LaMarsh

Julia Verlyn (Judy) LaMarsh, O.C., avocate, politicienne, communicatrice, auteure (née le 20 décembre 1924 à Chatham, en Ontario; décédée le 27 octobre 1980 à Toronto). Judy LaMarsh représentait une force en politique au moment où les femmes luttaient pour obtenir l’égalité de traitement au sein du système politique canadien. Elle a été la deuxième femme de l’histoire du Canada à devenir ministre dans un Cabinet fédéral. C’est le premier ministre Lester B. Pearson qui l’a nommée ministre de la Santé nationale et du Bien-être social en 1963. Elle a joué un rôle déterminant dans l’élaboration de plusieurs programmes fédéraux novateurs, notamment ceux de l’assurance-maladie et du régime de pension du Canada. Comme secrétaire d’État (de 1965 à 1968), elle a favorisé l’établissement de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada et coordonné les célébrations du Centenaire du Canada. Connue pour son franc-parler à toute épreuve, Judy LaMarsh est demeurée active sur la scène publique après avoir quitté la politique, comme auteure, communicatrice et avocate.
Judy LaMarsh
Ce timbre a été émis en 1997 afin de commémorer l'engagement public de Judy LaMarsh. \u00c0 titre de ministre de la santé et du bien-\u00eatre de 1963 \u00e0 1965, elle a implanté la Commission royale sur les services de santé.\r\n

Jeunesse et formation

Judy LaMarsh est née le 20 décembre 1924 à Chatham, en Ontario. Pendant la Grande Crise, sa famille déménage à Niagara Falls, en Ontario, afin que son père, avocat, ait de meilleures possibilités de travail. Ses années d’école secondaire sont aussi celles qui annoncent la Deuxième Guerre mondiale. Ses études terminées, elle tente de se joindre à la Division féminine de l’Aviation royale canadienne, mais on lui refuse l’entrée à cause de sa mauvaise vue. Elle suit donc une formation d’enseignante au niveau primaire à l’école normale de Hamilton.

En 1943, Judy LaMarsh se joint au Service féminin de l’Armée canadienne. Elle étudie le dessin technique à Toronto avant d’être affectée à Halifax pour travailler auprès du Corps du génie royal canadien. Mutée à Vancouver, elle y étudie le japonais, puis se rend aux États-Unis pour participer à une opération de renseignement interalliée consistant à traduire des documents japonais que des soldats alliés ont trouvés dans le Pacifique. Elle atteint le grade de sergent avant sa démobilisation à la fin de la guerre.

Judy LaMarsh s’inscrit au Collège Victoria à l’Université de Toronto; elle y obtient un baccalauréat ès arts en 1947. Elle étudie ensuite le droit à l’Osgoode Hall Law School de l’Université York. Admise au Barreau en 1950, elle entre au cabinet d’avocat de son père à Niagara Falls.

Début de carrière politique

La passion que Judy LaMarsh se découvre pour la politique est naturelle. Son père est un membre dévoué du Parti libéral qui fait campagne en faveur des candidats libéraux de la circonscription de Niagara Falls. À l’Université de Toronto, elle se joint au Club des jeunes libéraux du Canada et y assume plusieurs rôles aux paliers provincial et fédéral, notamment celui de présidente de l’Association des femmes libérales de l’Ontario.

Confiante en ses capacités politiques, Judy LaMarsh cherche à devenir candidate au provincial à l’automne 1959, mais sans succès. À l’été 1960, elle fait campagne pour obtenir l’investiture libérale fédérale en vue de la prochaine élection partielle dans Niagara Falls. Même si on lui répète qu’elle ne sera pas élue parce qu’elle est une femme, elle ne se laisse pas dissuader. Elle a toujours cette réplique : « Ne nous demandons pas si monsieur Tout-le-monde est prêt à voter pour une femme, mais vous, voterez-vous pour moi? » Elle obtient l’investiture et est élue au Parlement en octobre 1960.

Pendant la campagne électorale fédérale de 1962, Judy LaMarsh joue un rôle important au sein de la « brigade de la vérité », un groupe de libéraux qui suit à la trace pendant plusieurs jours le chef du Parti conservateur et premier ministre John Diefenbaker et rend compte de tous les énoncés fautifs qu’il formule. Ce dernier réagit en accusant les libéraux de recourir à une tactique de dénigrement et leur stratégie se retourne contre eux. La presse fustige Judy LaMarsh. Les progressistes-conservateurs obtiennent un gouvernement minoritaire, mais les libéraux les chassent du pouvoir l’année suivante.

Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (1963-1965)

En avril 1963, le nouveau premier ministreLester B. Pearson nomme Judy LaMarsh ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et ministre du Sport amateur. Elle devient ainsi la deuxième Canadienne à entrer au Conseil des ministres fédéral. Elle contribue de manière importante à l’orientation et à l’adoption de nombreux projets de loi et, plus directement, à l’ébauche du programme de régime de pension du Canada qui reçoit la sanction royale en 1965. Elle participe aussi grandement à l’élaboration du programme national d’assurance-santé (appelé assurance-maladie), qui fait l’objet de longs débats et qui ne sera mis en œuvre qu’en 1968 par son successeur Allan J. MacEachen.

La reine Elizabeth II et le Conseil des ministres, 1967
Sa Majesté la reine Elizabeth II et ses ministres canadiens \u00e0 Rideau Hall (Ottawa, 1er juillet 1967)\r\n(Premier rang : de gauche \u00e0 droite) Hérard Robichaud, Arthur Laing, Mitchell Sharp, Paul Hellyer, Robert Winters, Lester B. Pearson, S.M. la reine Elizabeth II, Paul Martin, Jack Pickersgill, Walter Gordon, George MacIlwraith, Allan MacEachen, Roger Teillet. (Second rang : de gauche \u00e0 droite) Pierre E. Trudeau, Jean-Pierre C\u00f4té, Jean Marchand, Larry Pennell, Edgar Benson, John Connolly, Charles Drury, Judy LaMarsh, John Nicholson, Maurice Sauvé, Léo Cadieux, Jean-Luc Pépin, Joe Greene, John Turner et Jean Chrétien\r\n

Secrétaire d’État (1965-1968)

En décembre 1965, Lester B. Pearson nomme Judy LaMarsh secrétaire d’État. Elle a entre autres tâches celle d’organiser les célébrations du Centenaire du Canada en 1967. Elle parcourt alors des milliers de kilomètres pour participer à des fêtes locales et accueillir des dignitaires internationaux.

Célébrations du Centenaire
Sa majesté la Reine Elizabeth II, le Prince Philip, Lester B. Pearson, John Diefenbaker, Judy LaMarsh et autres officiels du gouvernement, 1967.

Judy LaMarsh a également largement favorisé le déclenchement de la Commission royale d’enquête sur la situation de la femme au Canada, un tournant décisif en matière de droits des femmes au Canada. En 1963, puis en 1965, elle demande à Lester B. Pearson de lancer une enquête publique sur la place des femmes au sein de la société canadienne, mais sa demande est rejetée, car la presse a une réaction défavorable à ce sujet. Toutefois, elle persiste avec l’appui de nombreuses organisations de femmes et, en février 1967, le premier ministre annonce la création de la commission.

À titre de secrétaire d’État, Judy LaMarsh supervise la préparation du livre blanc sur la radiodiffusion de 1966; il s’agit d’un examen novateur du secteur de la radiodiffusion au Canada qui formera l’assise de la Loi sur la radiodiffusion adoptée en 1968. Cette loi formule le mandat de la Canadian Broadcasting Corporation (CBC)/Radio-Canada et établit le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC).

Retrait de la scène politique

En avril 1968, Judy LaMarsh annonce son retrait de la vie politique, au moment où l’on assiste à la montée de Pierre Elliott Trudeau à la direction du Parti libéral. Des rumeurs du milieu laissent entendre qu’elle méprise la façon de faire de la politique de Pierre Trudeau et c’est ce qui la force à quitter le parti. Cependant, même si la Trudeaumanie qui déferle sur le Parti libéral et sur tout le pays ne l’impressionne pas et qu’elle manifeste son opposition à sa course à la direction, elle insiste pour dire qu’il n’est pas la cause de son départ. Au contraire, sa décision de se retirer tient essentiellement, selon ses dires, au rythme trop lent des initiatives gouvernementales, à sa déception devant l’inertie des dirigeants politiques et à près d’une décennie d’absence de vie privée.

Les quelque dix années que Judy LaMarsh passe sur la scène politique fédérale sont tumultueuses. Seule femme membre du Cabinet Pearson, elle s’est battue contre cette chasse gardée des hommes qu’est la politique. Selon elle, l’institution politique est conçue spécifiquement pour les hommes et est totalement inadaptée à la présence des femmes, même au regard des choses les plus élémentaires – par exemple, elle n’a pas accès à des toilettes pour femmes, parce qu’il est inusité de nommer une femme au Conseil des ministres. Elle se rappelle que des journalistes l’ont même interrogée sur la décoration et la cuisine : « Mes goûts… tout devenait propriété publique, et cela, dans une mesure qu’aucun de mes collègues n’a eu à subir, y compris le premier ministre. »

Judy LaMarsh est connue pour sa propension à s’exprimer librement à une époque où les femmes commencent à peine à progresser dans leur lutte pour obtenir l’égalité de traitement. Selon un de ses anciens assistants, ses relations avec les autres étaient « très démocratiques », elle traitait « le commis et le sous-ministre exactement de la même façon – elle leur rendait constamment la vie infernale. » Son franc-parler et ses observations mordantes lui attirent les critiques de la presse et du milieu politique. Elle est la cible préférée des caricaturistes politiques qui exagèrent cruellement sa silhouette, ses lunettes et ses cheveux bouffants pour amplifier son arrogance.

Auteure

Judy LaMarsh passe l’année qui suit son retrait de la vie politique à Niagara Falls où elle écrit sur son expérience de la Colline parlementaire. La publication de Memoirs of a Bird in a Gilded Cage en 1969 fait grand tapage et soulève la controverse. Le titre traduit son opinion selon laquelle, en tant que femme, elle n’était pas considérée comme étant à sa place sur la scène politique canadienne. Ses mémoires reçoivent beaucoup de publicité, mais elles attirent aussi des critiques acerbes. On lui reproche de révéler les agissements en coulisse auxquels on se livre dans les plus hautes instances politiques. Les critiques sont souvent sexistes, avançant notamment qu’elle s’adonne aux ragots et aux rumeurs. Dans une entrevue qu’elle accorde à Adrienne Clarkson à la CBC en 1969, elle déclare avoir écrit ce livre en partie pour que les femmes sachent à quoi ressemblait la politique. Dix ans plus tard, elle publie son premier roman, A Very Political Lady, un roman à suspense dont les personnages sont inspirés par son expérience comme titulaire d’une charge publique. Tout comme ses mémoires, le roman attire des critiques sur son franc-parler et son manque de retenue. A Right Honourable Lady, la suite portant sur des thèmes semblables, paraît en 1980.

Radiodiffusion et médias

Après la politique, Judy LaMarsh passe la plus grande partie de sa carrière dans le domaine de la radiodiffusion. En 1968, elle participe pendant trois mois à un groupe de discussion dans le cadre d’une émission radiophonique à Niagara Falls. Puis, après la tournée de promotion de son livre, elle retourne à Ottawa pour animer The LaMarsh Show, une émission télévisuelle locale où elle offre ses conseils aux personnes qui exposent des doléances de nature politique et juridique. L’émission remporte un vif succès dans la région de la capitale nationale, mais le trajet de Niagara Falls à Ottawa est fatigant et l’émission prend fin au bout d’une saison. Au début des années 1970, Judy LaMarsh s’installe en Colombie-Britannique et y anime une tribune téléphonique d’affaires publiques à la radio. De 1975 à 1976, elle est à la barre de l’émission phare quotidienne de la CBC, This Country in the Morning. Diffusée à partir de Toronto, l’émission d’affaires publiques d’une durée de trois heures est réintitulée Judy. Au cours de la même période, elle anime On the Line, une émission d’actualité hebdomadaire présentée sur la chaîne de TVOntario (aujourd’hui TVO), le réseau de télévision éducative de la province.

En 1975, le premier ministre de l’OntarioWilliam (Bill) Davis, un progressiste-conservateur, nomme Judy LaMarsh présidente de la Commission royale d’enquête sur la violence dans le secteur des communications. La commission, qui se déroule pendant un an, tient 61 audiences publiques; elle se penche sur la représentation de la violence dans les médias et ses répercussions sur l’auditoire et elle examine des moyens de réglementer le secteur.

Pratique du droit

Judy LaMarsh pratique le droit après son retrait de la vie politique. Elle ouvre un cabinet d’avocat à St. Catharines, en Ontario, en mai 1969 et elle enseigne au Osgoode Hall au début des années 1970. En 1974, elle défend gratuitement les « Brunswick Four », un groupe de jeunes lesbiennes harcelées par la police et arrêtées pour avoir troublé la paix dans une taverne de Toronto. On considère cette cause comme un événement sans précédent dans le mouvement de libération des gais de Toronto.

Legs

En juillet 1980, Judy LaMarsh est nommée officière de l’Ordre du Canada. Elle meurt d’un cancer quatre mois plus tard, le 27 octobre 1980. Le premier ministre de l’OntarioWilliam Davis se rappelle « sa loyauté et son dévouement absolus envers les causes dans lesquelles elle croyait. » Même ses critiques reconnaissent sa contribution à la vie publique et louent sa puissante énergie et son courage. « Judy LaMarsh s’est investie dans chacune de ses nombreuses carrières avec énergie, intelligence et engagement, observe le journaliste canadien Peter C. Newman, et jusqu’à la fin, elle ne s’est jamais départie de son humanité fondamentale et de son courage. »

En reconnaissance du travail accompli par Judy LaMarsh auprès de la Commission royale d’enquête sur la violence dans le secteur des communications, l’Université York a créé le LaMarsh Centre for Research on Violence et Conflict Resolution (centre de recherche sur la violence et la résolution de conflit) en 1980, la première institution de recherche du genre en Ontario. Le Centre oriente actuellement ses travaux sur la recherche sur les enfants et les jeunes, en particulier les jeunes à risque.

L’Université de Toronto rend également hommage au travail de Judy LaMarsh. Le Collège Victoria offre le Judy LaMarsh Lecture for Women in Leadership (un cours sur les femmes cheffes de file) et la faculté de droit décerne le Judy LaMarsh Prize in Feminist Analysis of Law aux étudiants qui en sont à leurs dernières années d’études et qui atteignent l’excellence dans la discipline de l’analyse juridique féministe.

En 1984, le Parti libéral du Canada a créé le Fonds Judy LaMarsh, lequel offre du soutien financier aux candidates libérales fédérales.

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