Le raid contre Deerfield de 1704 | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

Le raid contre Deerfield de 1704

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de l'Encyclopédie canadienne. Ces articles ne sont pas généralement mis à jour.

Au petit matin du 29 février 1704, une armée constituée de Français et d'Autochtones déferle sur le village pionnier de Deerfield, au Massachusetts, encore endormi. Les membres du commando viennent de passer cette nuit d'hiver de l'autre côté de la rivière Deerfield, sans même un feu pour les réchauffer, accablés par le froid, la faim et la fatigue. Avant l'aube, les hommes qu'ils ont envoyés en éclaireurs sont revenus en disant que la sentinelle du village s'était assoupie. Le lieutenant Jean-Baptiste Hertel de Rouville rassemble ses troupes et la milice, puis les exhorte à oublier leurs querelles, à prier et à se serrer la main.

Raquettes aux pieds, les membres de la petite armée se déplacent lentement dans la neige épaisse, jusqu'à la palissade. Des volontaires grimpent sur un amoncellement de neige pour atteindre le haut de la palissade et se laisser tomber à l'intérieur du village. Rapidement, un véritable torrent d'attaquants envahit les maisons. Abénaquis, Mohawks de Kahnawake et Penacooks saccagent la maison du révérend John Williams. Ils tuent ses plus jeunes enfants et s'emparent de Williams, de sa femme et de leurs quatre aînés. Au milieu des cris de bataille, des hurlements d'effroi et des tirs de fusil, quelques défenseurs sont tués, d'autres s'enfuient et certains se cachent mais finissent par périr lorsque les assaillants mettent les maisons à feu.

L'attaque de Deerfield est provoquée par une guerre dynastique qui se déroule alors en Europe et qui s'est étendue à la vallée du Connecticut en 1699. Le gouverneur Philippe de Rigaud de Vaudreuil est impatient de passer à l'action et de consolider son alliance avec les Autochtones. Les Canadiens qui se rassemblent à Chambly à la fin de 1703 viennent de communautés endurcies par cinquante années de lutte contre la ligue iroquoise des Cinq-Nations.

La majeure partie des quelque deux cents guerriers des Premières Nations sont des Mohawks de Kahnawake. Il y a aussi des Hurons de Lorette et de 60 à 80 Abénaquis. Chaque groupe autochtone a ses propres raisons de participer à l'opération, mais le but principal commun est de faire des prisonniers, comme le veut une coutume ancestrale profondément enracinée chez les Premières Nations.

Deerfield est le village le plus reculé du Massachusetts. Il est situé aux confins de la colonie anglaise, sur des terres que les Anglais considèrent comme « inoccupées », mais que les Abénaquis, eux, considèrent comme leur territoire ancestral. Les villages tels que Deerfield sont vulnérables aux attaques parce qu'il est facile pour des troupes venant du Canada de remonter le lac Champlain, de traverser les montagnes Vertes, puis de descendre la rivière Deerfield. Ce village n'est pas un avant-poste militaire, mais une communauté traditionnelle pratiquant une agriculture de subsistance, dont la production la plus importante constitue... des « hordes d'enfants », qui représentent une menace à long terme pour les Premières Nations de la région et la colonie française, beaucoup moins populeuses.

Deux grandes maisons opposent la plus forte résistance du village. Celle des Sheldon, en particulier, dont les occupants alimentent un feu soutenu et tiennent ainsi les assaillants à distance pendant plusieurs heures. Ailleurs dans le village, Français et Autochtones font le plus de prisonniers possible et s'éloignent avec leur butin juste avant l'arrivée des renforts de la milice anglaise.

La retraite est toujours le moment le plus dangereux pour les participants à un raid, alors qu'ils sont distraits par leurs prisonniers et ralentis par la charge de leur butin. Une milice composée de villageois en furie se lance à la poursuite du commando. Cependant, sans raquettes, les hommes s'enfoncent dans la neige épaisse. De Rouville a prévu le coup; à deux kilomètres du village, il tend une embuscade aux Anglais qui foncent droit devant. Neuf sont abattus et plusieurs, entre autres le milicien John Marsh, sont faits prisonniers.

Ceux qui sont restés au village fouillent les ruines calcinées de leurs maisons à la recherche de membres de leur famille ou de leurs amis. Ils trouvent 41 morts auxquels il faut ajouter les neuf hommes tués dans l'embuscade et sept victimes originaires d'un village voisin.

Les assaillants amorcent leur longue marche de retour vers le Canada avec 109 prisonniers. Alors que le groupe avance à un rythme rapide, ces derniers font l'objet d'une brutale élimination sélective. Les survivants avancent de peine et de misère malgré leurs pieds gelés. Ceux qui ont du mal à suivre, essentiellement des femmes et des enfants, sont tués sur-le-champ. C'est ce qui arrive à Eunice, la femme de John Williams, trop faible et trop transie pour continuer.

Deerfield Raid
Au petit matin du 29 février 1704, une armée constituée de Français et d'Autochtones déferle sur le village pionnier de Deerfield, au Massachusetts.

Le groupe fait son chemin à travers le lac Champlain, encore gelé et, un mois et demi après l'attaque, est de retour au fort Chambly. Les Français réussissent à échanger certains prisonniers contre une rançon. Pour sa part, John Williams ne passera qu'une semaine dans un village mohawk. Les pourparlers se déroulent surtout à Montréal, où de riches marchands multiplient les efforts pour faire libérer les prisonniers, en particulier les enfants. Les Abénaquis sont les plus susceptibles de « vendre » leurs prisonniers alors que, pour les Mohawks et les Hurons, les captifs constituent la principale raison d'être de ces « guerres du deuil ». C'est un moyen de combler les pertes causées par les batailles et les épidémies.

Les négociations diplomatiques commencent peu après le raid, et, après trois ans, 52 prisonniers sont retournés chez eux : 46 grâce à la négociation, 1 ayant fait l'objet d'une rançon, 5 ayant réussi à s'évader. Près de 34 demeureront au Canada, 2 chez les Hurons, 3 chez les Mohawks et de 7 à 9 à Kahnawake, dont Eunice, la fille de Williams, qui choisit de passer le reste de sa vie chez les Mohawks. Ses descendants vivent toujours à Kahnawake.

De quelle façon commémore-t-on aujourd'hui ce violent épisode des débuts de notre histoire? Il donne lieu à une reconstitution annuelle au village-musée de Deerfield. Les historiens actuels ont beaucoup moins tendance à utiliser le mot « massacre » que ceux du passé pour décrire cet événement. On comprend maintenant mieux la complexité et le contexte de l'attaque, particulièrement le rôle qu'y ont tenu les Premières Nations, qui étaient impliquées dans une guerre étrangère et faisaient l'objet d'un processus de dépossession.