Journée nationale des patriotes (Québec) | l'Encyclopédie Canadienne

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Journée nationale des patriotes (Québec)

Le congé qui a lieu le premier lundi précédant le 25 mai a porté plusieurs noms: Victoria Day, fête de la Reine, fête de Dollard, fête de Dollard et de Chénier, Journée nationale des patriotes. Ce jour est au cœur d’un conflit de représentations et de mémoires. Par ailleurs, pour la plupart des gens, il est synonyme de l’arrivée des beaux jours. (Voir aussi Jours fériés nationaux.)

Le drapeau des patriotes utilisé par le mouvement des Patriotes de 1837 au Bas-Canada (aujourd'hui le Québec) entre 1832 et 1838.

Image: Wikimedia Commons

La fête de la Reine et la fête de Dollard

Au 18e siècle, l’anniversaire du monarque est un événement militaire qui marque le début de l’entrainement annuel des milices locales. Le prince Édouard, envoyé en Amérique du Nord britannique, assiste aux revues de troupes pendant la décennie 1790.

Après les troubles provoqués par les Rébellions de 1837-1838 et la suspension des assemblées parlementaires du Haut-Canada et du Bas-Canada en février 1838, la nouvelle Province du Canada, créée par l’Acte d’Union en 1840, cherche un moyen de rassembler les Canadiens anglais et les Canadiens français et de manifester leur loyauté envers la monarchie afin de les distinguer des Américains (voir aussi  Province du Canada (résumé en termes simples) ). L’Assemblée législative propose, dès 1845, de souligner l’anniversaire de la reine Victoria, née le 24 mai 1819.

Au début, cette fête officielle a lieu le jour même de l’anniversaire de la reine. Les festivités gagnent en intensité dans la seconde moitié du 19e siècle, alors qu’elles coïncident dans le sud de l’Ontario avec l’arrivée des beaux jours. Puis, comme elles durent toute la journée, on décide que ce jour férié aura lieu chaque lundi précédant le 25 mai, ce qui prolonge de fait la fin de semaine. C’est à la mort de la reine Victoria en 1901 que ce lundi est désigné jour férié national afin de souligner sa contribution à la formation de la Confédération (voir aussi Confédération (résumé en termes simples)).

Au Québec, au cours des décennies 1900 et 1910, les gens évoquent la plupart du temps la «longue fin de semaine de mai», marquant ainsi leur ambivalence vis-à-vis de cette célébration de la monarchie et de l’impérialisme britannique, dont on tolère de moins en moins les excès (suspension de l’enseignement en français, conscription militaire).

Puis, on utilise la figure de Dollard des Ormeaux pour inciter les Canadiens français à s’enrôler pendant la Grande Guerre. Né en France le 23 juillet 1635 et arrivé en Nouvelle-France en 1658, des Ormeaux aurait résisté avec 16 volontaires, lors d’une bataille épique contre les Iroquois à Long-Sault le 21 mai 1660, à une tentative d’attaque sur Ville-Marie. Il y perd la vie avec son convoi, mais permet ainsi aux habitants de la ville de faire leurs moissons et d’échapper à la famine (voir aussi Guerres iroquoises). Des nationalistes, notamment Lionel Groulx, souhaitent que ce jour férié commémore les exploits de la bataille; les noms « Dollard » ou « des Ormeaux » apparaissent dans la toponymie et il devient courant, à partir des années 1920, de parler de la « fête de Dollard ».

Or, lorsque des historiens tentent de documenter l’incident à compter des années 1960, des données probantes manquent pour reconstituer certains éléments de l’histoire, devenus mythiques. Selon ces chercheurs, des Ormeaux serait peut-être parti de sa propre initiative pour rejoindre un convoi d’Autochtones alliés des Français et récupérer des fourrures qui n’avaient pas été livrées depuis des mois, en raison des guerres avec les Iroquois. Des Ormeaux aurait peut-être aussi décidé de s’emparer du butin et confronté des Iroquois ayant eu la même idée. Ce faisant, Dollard serait peut-être, de résumer le journaliste Raymond Desmarteau, « un pirate malchanceux et, de surcroît, maladroit avec les barils de poudre, mais encensé par les autorités religieuses, avides de héros et de martyrs propres à stimuler le sentiment patriotique et religieux ». Peu importe, car aux yeux de certains, la célébration d’une victoire contre les peuples autochtones commence à avoir mauvais gout, sans parler de toute la notion d’héroïsme qui commence à poser problème. Par ailleurs, comme la bataille a eu lieu à Long-Sault, en Ontario, des Ormeaux continue de figurer dans les récits d’histoire franco-ontarienne.

Le remplacement de Dollard par les Patriotes

À l’occasion du centenaire des Rébellions en novembre 1937, on organise des fêtes à Saint-Denis-sur-Richelieu. On commémore à nouveau les luttes des patriotes en 1962 lors du 125 e anniversaire et on en fait dès lors une commémoration annuelle en novembre. Petit à petit, on ravive la mémoire des Rébellions; certains souhaiteraient que les Québécois s’inspirent de cette mobilisation républicaine, d’autres voudraient simplement que l’on souligne le combat mené par les Patriotes pour les libertés politiques et la démocratie. En mai 1968, l’émission de télévision Le Sel de la semaine élit le docteur Jean-Olivier Chénier (1806-1837), mort lors de la bataille de Saint-Eustache, le plus grand héros canadien-français. À la fin de l’émission, on propose que la fête de Dollard soit renommée fête de Chénier; des calendriers vendus au Québec pendant les décennies 1970 et 1980 afficheront d’ailleurs «Fête de Dollard et de Chénier».

Cette première association des Patriotes à la fête de la Reine aura néanmoins un parcours sinueux vers sa reconnaissance. On exerce des pressions sur le gouvernement de René Lévesque qui, le 6 octobre 1982, décrète que la Journée des patriotes se tiendra le dimanche le plus près du 23 novembre. Cela ne suffit pas aux yeux de ceux qui souhaiteraient qu’un jour férié souligne la mémoire des Patriotes, que ce soit en novembre ou en remplacement d’un autre congé. Le Club Souverain de l’Estrie lance une campagne à cet égard en 1987, la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal exerce aussi des pressions à compter de 1997, puis le film 15 février 1839 (2001) de Pierre Falardeau popularise les Rébellions dans l’imaginaire collectif.

La Journée nationale des patriotes

En mai 2000, le Congrès national du Parti québécois adopte une résolution enjoignant au gouvernement de décréter un jour férié en mémoire des Patriotes en remplaçant un congé existant. Le 20 novembre 2002, le gouvernement du Québec désigne, par le décret 1322, le jour de la fête de Dollard « Journée nationale des Patriotes ».

Le premier ministre Bernard Landry déclare que « [C]e jour férié soulignerala lutte des Patriotes de 1837-1838 pour la reconnaissance nationale de notre peuple, pour sa liberté politique et pour l’obtention d’un système de gouvernement démocratique ». On justifie le choix de ce jour en rappelant que c’est en mai 1837 qu’ont commencé à se dérouler au Bas-Canada des assemblées publiques pour protester contre le refus de Londres d’accéder aux demandes des Patriotes. À l’automne la rébellion éclatait.

La première Journée nationale des patriotes est célébrée le 19 mai 2003. Le Mouvement national des Québécoises et Québécois (MNQ) y fait le «rappel d’un moment important de notre parcours collectif, appelé à devenir un point de référence de la conscience historique québécoise». Depuis 2010, la Fondation Lionel-Groulx s’associe au MNQ pour promouvoir la Journée nationale des patriotes. Le 20 mai 2013, c’est le lancement d’un circuit audioguidé « Sur les traces des patriotes » à Saint-Eustache; à Montréal, la Société Saint-Jean-Baptiste tient un circuit piétonnier patrimonial qui passe, entre autres, par le Vieux-Montréal et y intègre des capsules théâtrales; chaque année de 2005 à 2018, le Rassemblement pour un pays souverain décerne le Prix Louis-Joseph-Papineau à des personnalités qui se sont engagées envers le Québec.

Le congé de nos jours

Il n’y a que le Canada qui célèbre toujours la fête de Victoria. En 2013, des acteurs, écrivains et politiciens canadiens-anglais, entre autres, Margaret Atwood, Gordon Pinsent et Elizabeth May, signent une pétition pour demander au premier ministre Stephen Harper de renommer le congé «fête de la Reine et des Premières Nations» afin d’honorer la relation entre la Couronne et les peuples autochtones et d’accorder un jour férié aux Autochtones (la Journée nationale des peuples autochtones, célébrée le 21 juin, n’a pas un tel statut). Or, la pétition ne recueille que quelques milliers de signatures et ne convainc pas les législateurs, outre le Parti vert, de s’associer à la campagne.

La coexistence de la fête de la Reine et des Patriotes est un exemple de la dualité nationale au Canada et du conflit des mémoires. On peut lire notamment sur des affiches commerciales « Ouvert pour la fête des Patriotes » / « Open for Victoria Day ». Malgré ce conflit, le congé demeure une occasion de souper à l’extérieur et de planter ses fleurs sans craindre le gel.