Internement au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Internement au Canada

L’internement est le confinement ou la détention forcés d’une personne en temps de guerre. Des opérations d’internement à grande échelle sont menées par le gouvernement canadien au cours de la Première et de la Deuxième Guerres mondiales. Dans les deux cas, la Loi sur les mesures de guerre est invoquée; celle-ci donne au gouvernement le pouvoir de refuser aux personnes leurs libertés civiles, notamment l’habeas corpus (soit le droit à un procès équitable avant la détention). Les gens sont détenus dans des camps disséminés d’un bout à l’autre du pays. Pendant la Première Guerre mondiale, on interne plus de 8 500 personnes; pendant la Deuxième Guerre mondiale, on en interne jusqu’à 24 000, y compris quelque 21 000 Canadiens d’origine japonaise.

Camp d'internement de Morrissey
Camp d'internement de Morrissey, C.-B., vers 1916-1918.

Première Guerre mondiale

Le 22 août 1914, peu après le début de la Première Guerre mondiale, le gouvernement fédéral adopte la  Loi sur les mesures de guerre; celle-ci est appliquée jusqu’au 10 janvier 1920, soit la date officielle à laquelle la guerre prend fin avec l’Allemagne. ( Voir Traité de Versailles.) La Loi sur les mesures de guerre confère au Cabinet fédéral des compétences étendues lui permettant de suspendre les libertés civiles et de gouverner par décrets. Cela signifie qu’il peut créer et imposer des lois sans même obtenir l’approbation du Parlement.

Le 15 août 1914, le gouvernement publie la Proclamation concernant les immigrants d’ascendance allemande ou austro-hongroise. Cette proclamation autorise l’arrestation et la mise en détention de Canadiens d’Allemagne ou d’Autriche-Hongrie s’il existe des « motifs raisonnables » de croire que ces personnes « ont pris part ou tenté de se livrer à des activités d’espionnage ou à des actes de nature hostile, ou qu’elles ont fourni ou tenté de fournir des renseignements à l’ennemi, ou aidé ou tenté d’aider l’ennemi ».

Selon les documents officiels, on interne 8 579 hommes dans 24 camps d’internement et centres de réception répartis dans l’ensemble du pays. Parmi les personnes internées, on retrouve : 5 954 personnes d’origine austro-hongroise, dont la majorité est ukrainienne; 2 009 Allemands; 205 Turcs et 99 Bulgares. Certaines personnes à charge de ces hommes – 81 femmes et 156 enfants au total – sont aussi internées à titre volontaire. Le reste des personnes internées sont, entre autres, des sans-abri, des objecteurs de conscience et les membres d’associations culturelles et politiques interdites.

Camp d'internement de Spirit Lake
Femmes et enfants prisonniers au camp d'internement de Spirit Lake, en Abitibi, Québec, vers 1914-1920.

En 1915, la responsabilité des opérations d’internement passe du ministère de la Milice et de la Défense au ministère de la Justice. Malgré tout, c’est le major-général sir William Otter qui reste aux commandes.

Environ 80 000 personnes, principalement des Canadiens d’origine ukrainienne, sont forcées de s’inscrire comme « sujets d’un pays ennemi » pendant la guerre. Ces personnes sont contraintes d’entrer régulièrement en contact avec la police et font l’objet de certaines autres restrictions imposées par l’État. Celles-ci comprennent la limitation de leur liberté d’expression, de mouvement et d’association.

(Voir Internement des Ukrainiens au Canada.)

Le saviez-vous?
Le terme « sujet d’un pays ennemi » fait référence aux personnes dont le pays d’origine ou d’attache est en guerre avec le Canada. Pendant la Première Guerre mondiale, les personnes concernées sont celles ayant immigré de la Bulgarie et des empires allemand, austro-hongrois et ottoman, alors que pendant la Deuxième Guerre mondiale, ce sont celles d’ascendance japonaise, allemande ou italienne qui sont visées.

Les personnes internées se font également confisquer leurs propriétés. Dans bien des cas, ces propriétés ne leur sont pas restituées à la fin du conflit. Les personnes internées sont souvent contraintes de travailler sur de grands projets, notamment la construction d’une partie du parcours de golf du parc national Banff. Ils servent aussi à la construction de routes, au débroussaillage, à l’ouverture de sentiers et aux opérations forestières et minières. Elles reçoivent alors une rémunération équivalente à moins de la moitié du salaire des autres travailleurs.

Les conditions sont éprouvantes, et les gardes parfois brutaux. Le ressentiment à l’égard de ce que beaucoup considèrent comme un enfermement injuste est très répandu. La situation provoque une résistance. Parfois, elle est passive, comme les ralentissements de travail. D’autres efforts se veulent plus déterminés. Certains font des tentatives d’évasion et déclenchent même une émeute impliquant quelque 1200 internés à Kapuskasing, en Ontario, en mai 1916. Trois cents soldats armés sont nécessaires pour les abattre.

Au total, 107 internés meurent en captivité. Six d’entre eux sont abattus alors qu’ils tentent de s’échapper. D’autres succombent à des maladies infectieuses, à des accidents de travail et à des suicides. Dans de nombreux cas, ils ont été enterrés dans des tombes ou des cimetières non marqués, loin de leur communauté et de leurs proches.

Camp d'internement de Petawawa
Prisonniers au camp d'internement de Petawawa pendant la Première Guerre mondiale.

Réparations

Les efforts visant à obtenir réparation (reconnaissance et indemnisation) pour les premières opérations d’internement national du Canada débutent en 1978. L’interné Nick Sakaliuk témoigne aux historiens de ses expériences d’interné au Fort Henry de Kingston, puis dans les camps de Petawawa et de Kapuskasing. Cela étant dit, près d’une décennie s’écoule avant qu’une campagne visant à réparer cette injustice historique ne soit lancée. Elle est menée par l’Association ukrainienne-canadienne des droits civils (UCCLA).

L’UCCLA s’inspire d’une autre survivante, Mary Manko Haskett, née à Montréal. Elle estime que toute campagne de réparation doit être « axée sur la mémoire et non sur l’argent ». Haskett avait six ans lorsqu’elle a été exilée au camp de Spirit Lake. Sa jeune sœur Nellie y est morte.

Camp d'internement Spirit Lake
Camp d'internement Spirit Lake, en Abitibi, Québec, vers 1914-1920.

Haskett croit que la société contemporaine n’a pas à porter la responsabilité directe de ce qui s’est passé des décennies plus tôt. Des excuses officielles ne sont donc jamais demandées. Aucune compensation n’est demandée par les survivants ou leurs descendants. L’UCCLA déploie plutôt des efforts concertés pour sensibiliser le public par le biais d’initiatives telles que l’installation de marqueurs historiques et de statues. Une plaque trilingue est dévoilée par un survivant du camp de Spirit Lake, Stefa Mielniczuk, à Fort Henry le 4 août 1994.

Un fonds de règlement collectif de 10 millions de dollars est établi en 2008 pour soutenir davantage de projets commémoratifs et éducatifs à propos des premières opérations nationales d’internement au Canada. Symboliquement, le règlement est signé à la caserne Stanley de Toronto, une « station de réception » pour les internés du 14 décembre 1914 au 2 octobre 1916.

Deuxième Guerre mondiale

Le gouvernement fédéral invoque la Loi sur les mesures de guerre pendant la  Deuxième Guerre mondiale, le 25 août 1939. On utilise la loi pour mettre en œuvre les Règlements concernant la défense du Canada. Ces règlements confèrent au  ministre de la Justice l’autorité de détenir toute personne agissant « d’une quelconque manière préjudiciable à la sécurité publique ou à la sécurité de l’État ». Par conséquent, les sujets d’un pays ennemi comme les citoyens canadiens sont passibles d’internement. On interne à cette époque environ 24 000 personnes dans plus de 40 camps.

L’armée et le secrétaire d’État se partagent la responsabilité administrative des camps d’internement. Au total, 26 camps sont en fonction en Ontario, au Québec, en Alberta et au Nouveau-Brunswick.

Détenus allemands

La plupart des personnes internées canadiennes d’origine allemande sont membres d’organisations parrainées par le gouvernement allemand ou dirigeants du Parti de l’unité nationale (le Parti nazi du Canada). Des centaines d’Allemands en sol canadien sont alors accusés d’espionnage et de subversion.

Les camps logent également les soldats ennemis capturés. Plus de 700 marins allemands sont capturés en Asie de l’Est et envoyés au Canada. De même, les immigrants allemands arrivés au Canada après 1922 sont contraints de s’enregistrer auprès des autorités; cela touche 16 000 personnes.

Détenus italiens

Après l’entrée en guerre de l’Italie en juin 1940, plusieurs Italiens influents sont internés. Environ 600 hommes italiens soupçonnés d’être des sympathisants du  fascisme sont emprisonnés dans trois camps : Kananaskis, en AlbertaPetawawa, en  Ontario; et Fredericton, au Nouveau-Brunswick. Environ 31 000 Canadiens d’origine italienne sont inscrits en tant que sujets d’un pays ennemi. Ils sont donc contraints de se présenter devant les registraires locaux ou aux postes de la GRC une fois par mois.

Détenus juifs

Au cours de l’été 1940, plus de 3 000 réfugiés – dont 2 300 Juifs allemands et autrichiens âgés de 16 à 60 ans – sont envoyés au Canada. Là, ils sont internés dans des camps gardés en Ontario, au Québec et au Nouveau-Brunswick. Les Juifs de ce groupe sont plus tard surnommés les « immigrants accidentels ». Ils sont d’abord internés dans des camps de prisonniers de guerre, aux côtés de véritables prisonniers de guerre, dont des nazis allemands. (Voir Le Canada et l’Holocauste.)

Détenus japonais

En mars 1941, Ottawa demande à tous les Canadiens japonais, qu’ils soient citoyens ou non, de s’inscrire auprès du gouvernement. Cette action suit une recommandation du Comité spécial sur les Orientaux en Colombie-Britannique, un groupe consultatif nommé par le gouvernement fédéral. Ces personnes sont ainsi déclarées officiellement ennemis étrangers.

Au lendemain de l’attaque du Japon contre Pearl Harbor et Hong Kong le 7 décembre 1941, la GRC interne 38 ressortissants japonais. Un peu plus tard, on emprisonne 720 Japonais supplémentaires; ce sont en grande partie des citoyens canadiens et des membres du groupe Nisei d’évacuation de masse, qui résistent à la séparation des familles.

Le saviez-vous?
Plusieurs chercheurs universitaires et militants contestent au fil du temps la notion selon laquelle les Canadiens d’origine japonaise ont été internés durant la Deuxième Guerre mondiale. Selon le droit international, le terme « internement » se rapporte à la détention d’ennemis étrangers. Or, la plupart des Canadiens d’origine japonaise internés à cette époque sont citoyens canadiens. On suggère plutôt des termes comme incarcération, expulsiondétention et dispersion.

Le 24 février 1942, le Cabinet ordonne aux Canadiens d’origine japonaise qui vivent sur la côte du Pacifique de se relocaliser à 160 km à l’intérieur des terres. Ce décret conduit à l’expulsion de quelque 21 000 Canadiens d’origine japonaise de leurs foyers, parmi lesquels 60 % ont vu le jour en sol canadien et 77 % sont citoyens canadiens. Ils sont divisés par sexe et logés ensemble dans un ancien bâtiment pour femmes et dans des étables à bétail dotés de lits de camp sur le terrain de la Pacific National Exhibition (Exposition nationale du Pacifique). (Voir Des Canadiens d’origine japonaise retenus dans le parc Hastings.)

La grande majorité des Canadiens japonais, plus de 21 000 personnes, est ensuite exilée dans la vallée de Slocan, dans la région de Kootenay, à l’est de la Colombie-Britannique. Les détenus sont logés dans ce qu’on a appelé par euphémisme des « centres d’habitation intérieurs » dans des villes minières largement abandonnées (par exemple, New Denver, Kaslo, Greenwood et Sandon). Les activités y sont sévèrement restreintes. Le gouvernement canadien leur confisque également leurs propriétés – pour les vendre par la suite. Il force également environ 4000 détenus à accepter une expulsion de masse à la fin de la guerre.

(Voir Internement des Canadiens d’origine japonaise.)

Camp d‘internement pour les Canadiens japonais en Colombie Britannique, 1945.
Camp d‘internement pour les Canadiens japonais en Colombie Britannique, 1945. Source : Jack Long / Office national du film du Canada / Bibliothèque et Archives Canada / PA-142853.fr.

Autres détenus

À l’époque, les citoyens peuvent être internés pour leur appartenance à des organisations interdites, notamment le Parti communiste du Canada. Conséquemment, certains affirment que l’internement est utilisé comme une arme contre les dirigeants syndicaux. Par exemple, J. A. « Pat » Sullivan, président de la Canadian Seamen’s Union, est interné en 1940. Il est libéré l’année suivante, avec environ 130 autres communistes, après que l’Union soviétique, dirigée par des communistes, ait rejoint les Alliés. Près de 850 fascistes canadiens, dont Adrien Arcand, de  Montréal, sont eux aussi internés.

Un exemple connu est le cas du maire de MontréalCamillien Houde, arrêté à l’hôtel de ville en 1940. Il est interné en Ontario pendant quatre ans pour avoir dénoncé les politiques gouvernementales allant mener à la conscription.

Camillien Houde
Camillien Houde pendant les élections municipales, Montréal, le 12 décembre 1938.

Au cours de la Première Guerre mondiale, le Canada loge 817 détenus de Terre-Neuve et des colonies britanniques des Caraïbes. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les camps canadiens détiennent des prisonniers de guerre et des marins de la marine marchande capturés par les Britanniques, de même que des civils britanniques. L’internement au Canada connaît son apogée en octobre 1944, avec 34 193 personnes internées pour la Grande-Bretagne. (Voir aussi Les bateaux-prisons au Canada : une histoire méconnue; Camps de prisonniers de guerre au Canada).

Réparation

Pendant les décennies suivant les deux Guerres mondiales, les Canadiens ayant été internés et dont la propriété a été saisie exercent des pressions pour recevoir une compensation et pour que soit reconnu leur mauvais traitement. Le mouvement de redressement des Canadiens d’origine japonaise aboutit à des excuses officielles du premier ministre Brian Mulroney à la Chambre des Communes en 1988. Les conditions de l’accord comprennent également un paiement de 21 000 dollars à chaque personne survivante touchée par la politique officielle, un fonds communautaire de 12 millions de dollars et le financement d’une Fondation canadienne des relations raciales pour soutenir les projets relatifs aux droits de la personne.

Signature de l'entente visant à indemniser les Canadiens d'origine japonaise
Le premier ministre Brian Mulroney signe l'entente visant à indemniser les Canadiens d'origine japonaise dont les biens avaient étéconfisqués, et qui avaient étéinternés pendant la Seconde Guerre mondiale, septembre 1988.

Abrogation de la Loi sur les mesures de guerre

En 1988, la Loi sur les mesures de guerre est abrogée et remplacée par la Loi sur les mesures d’urgence, qui donne des compétences plus limitées et spécifiques au gouvernement pour la gestion des urgences liées à la sécurité. Avec la Loi sur les mesures d’urgence, les ordonnances et les règlements du Cabinet doivent être révisés et approuvés par le Parlement. Cela empêche donc le Cabinet d’agir seul. La Loi prévoit également une compensation pour les personnes touchées par les actions gouvernementales posées en situation d’urgence, en plus de spécifier que toute intervention du gouvernement est soumise à la Charte canadienne des droits et libertés et à la Déclaration canadienne des droits.

La Loi sur les mesures d’urgence stipule également que « la présente loi n’a pas pour effet d’habiliter le gouverneur en conseil à prendre des décrets ou règlements […] prévoyant, dans le cas d’un citoyen canadien ou d’un résident permanent, toute détention ou tout emprisonnement ou internement qui seraient fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques ».

Voir aussi Internement des Canadiens d’origine japonaise : prisonniers dans leur propre pays; Interné au Canada : une entrevue avec Pat Adachi; Hide Hyodo Shimizu; Obasan (roman); Joy Kogawa; David Suzuki; Masumi Mitsui; Irene Uchida; Annie Buller.

David Suzuki et deux de ses soeurs dans un camp d'internement
David Suzuki et deux de ses soeurs dans un camp d'internement dans la ville de Slocan en Colombie-Britannique entre 1942 et 1945.

Lecture supplémentaire

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