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James Barry

James Miranda Steuart Barry, MSR (probablement né Margaret Anne Bulkley), chirurgien militaire et médecin (né entre 1789 et 1799; décédé le 25 juillet 1865 à Londres, en Angleterre). Déployé aux quatre coins de l’Empire britannique, James Barry procède à la réforme des normes médicales de l’armée britannique. Son dernier poste, au rang le plus élevé de sa carrière et qu’il occupe dans les années 1850, est celui d’inspecteur général des hôpitaux militaires de la province du Canada. Après sa mort, on rapporte qu’on lui a assigné le sexe féminin à la naissance. Émerge alors un débat important sur son identité.

Remarque sur les pronoms : les pronoms masculins sont employés dans le présent article pour désigner James Barry, conformément à la manière dont il se référait à lui-même tout au long de sa vie.

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James Barry


Jeunesse et éducation

La première mention historique de James Barry remonte à 1809. Elle se situe peu avant son inscription en médecine à l’Université d’Édimbourg, en Écosse. Il est largement admis que James Barry est né Margaret Anne Bulkley, de Mary Anne et Jeremiah Bulkley, tous deux originaires de Cork, en Irlande, vers 1789. Margaret Bulkley disparaît des relevés historiques peu de temps avant l’apparition de James Barry. Néanmoins, l’analyse de l’écriture des lettres de l’une personne comme de l’autre suggère qu’elle est l’œuvre d’un seul et même individu.

Margaret Bulkley Letter
Extrait d’une lettre manuscrite de Margaret Bulkley, datée du 14 avril 1804.
(The South African Medical Journal/domaine public)
James Barry Letter
Deuxième page d’une lettre écrite par James Barry, alors étudiant en médecine, à Daniel Reardon, l’avocat de la famille.
(The South African Medical Journal/domaine public)

Les déclarations vagues et parfois contradictoires de James Barry sur son enfance suscitent également des interrogations sur son identité à la naissance, notamment en ce qui a trait à sa date de naissance.

James Barry amorce ses études à l’Université d’Édimbourg à une époque où seuls les hommes y sont admis. Aux yeux de nombreux observateurs, cela pousse James Barry à adopter une identité masculine. Obtenant son doctorat en médecine en 1812, James Barry soumet une thèse sur les hernies fémorales (un type de hernie moins répandu surtout observé chez les femmes plus âgées). De retour à Londres, il suit divers cours de chirurgie et d’anatomie. Ces domaines sont alors relativement récents. Au début de l’année 1813, James Barry est admis au Royal College of Surgeons.

Parmi les preuves relevées par les historiens liant Margaret Bulkley à James Barry, notons :

– Un artiste de la Royal Academy dénommé James Barry est probablement l’oncle de Margaret. Il a présenté sa nièce au général révolutionnaire vénézuélien Francisco de Miranda ainsi qu’à David Steuart Erskine, lord Buchan. Ces relations confèrent de la crédibilité à celui qui rêve de devenir médecin. Ces personnes semblent également lui inspirer son nom. James Barry l’artiste décède en 1806, et l’argent qu’il lègue à James Miranda Steuart Barry permet à ce dernier de payer ses études universitaires.

– Mary Anne Bulkley accompagne James Barry pendant le séjour de ce dernier à Édimbourg, officiellement en tant que sa tante. James Barry la présente toutefois à une reprise comme sa mère.

– Dans une lettre adressée au général de Miranda, James Barry demande à celui-ci de s’abstenir de toute mention de Margaret Bulkley : « Comme lord B — et personne ici n’est au courant de l’existence de la fille de Mme Bulkley, je vous demande, cher général, à ce que ni vous ni le médecin ne mentionniez dans votre correspondance quoi que ce soit à propos de l’amitié et des soins que me prodigue ma cousine. »

– Dans une lettre, Margaret Bulkley exprime son désir de servir dans l’armée, désir plus tard manifesté par James Barry : « Si je n’étais pas une fille, je serais soldat! »

Carrière médicale dans l’armée

James Barry réussit l’examen oral du Conseil médical de l’armée en juillet 1813. Ses premiers pas dans l’armée se font en tant qu’adjoint dans des hôpitaux militaires de Chelsea et de Plymouth, en Angleterre. Il réalise sa première affectation outre-mer deux ans plus tard, dans la colonie du Cap (de nos jours l’Afrique du Sud). S’amorce alors une longue carrière aux quatre coins de l’Empire britannique, à la fois distinguée et à l’occasion houleuse. Partout où on l’affecte, James Barry mène la lutte pour l’amélioration des normes hygiéniques, sanitaires et médicales (voir aussi Santé publique).

James Barry met le pied au Cap en 1816. Au cours des 12 années qui suivent, il passe du poste d’aide-chirurgien à ceux de médecin-inspecteur colonial, de médecin affecté au domicile du gouverneur puis d’inspecteur de nombreuses institutions publiques. Il contribue à l’amélioration du traitement des prisonniers, des lépreux et des patients d’asiles. Ses efforts mènent également au resserrement de la réglementation en matière d’administration de médicaments aux patients. Son zèle pour la réforme, son irascibilité et son dédain assumé de la bureaucratie lui valent régulièrement des ennuis. Il s’en trouve rétrogradé, arrêté et même forcé en duel contre un capitaine de l’armée.

Le saviez-vous?
En Afrique du Sud, James Barry préside à l’une des premières césariennes attestées à l’issue de laquelle la mère comme l’enfant survivent.

Après le Cap, James Barry est affecté à l’île Maurice, puis à la Jamaïque. En Jamaïque, ses réformes se traduisent par une baisse de la mortalité dans les camps militaires. En 1831 puis en 1832 en Jamaïque, il participe à ses premiers combats de première ligne pendant la Grande révolte des esclaves.

L’affectation qui suit le voit devenir médecin-administrateur principal de Sainte-Hélène. Il est arrêté à deux reprises au cours de ses deux années sur l’île. La première arrestation découle de l’affront perçu par un délégué lorsque James Barry l’outrepasse pour s’adresser directement à son supérieur. James Barry est déclaré non coupable de « conduite indigne d’un officier et d’un gentleman » à l’issue d’un procès en cour martiale (procès militaire) (voir aussi Système de justice militaire).

Peu de traces subsistent du deuxième incident survenu à Sainte-Hélène. Il semble toutefois que James Barry soit arrêté pour insubordination à l’égard des autorités après avoir refusé d’accorder un congé de maladie à un capitaine de régiment en bonne santé. Renvoyé en Angleterre sous arrestation militaire, il est vite libéré de toute charge.

James Barry poursuit sa carrière aux Antilles, devenant finalement médecin-administrateur principal de Trinité. Après s’être remis d’une maladie en Angleterre, il joue à nouveau ce rôle, cette fois-ci à Malte. Il est ensuite inspecteur général adjoint des hôpitaux de Corfou. Pendant la guerre de Crimée, il met sur pied un hôpital pour soldats blessés à Corfou.

Inspecteur général des hôpitaux militaires au Canada

En 1857, James Barry est déployé dans la province du Canada. Il débarque à Montréal le 3 novembre de la même année. C’est au Canada qu’il est nommé inspecteur général des hôpitaux militaires, soit le rang plus élevé auquel peuvent aspirer les officiers médicaux de l’armée. Il est alors probablement dans la mi-soixantaine. Après 45 ans de carrière dans des climats tropicaux, James Barry déclare que son affectation lui « permet de se rafraîchir après tant d’années sous les tropiques, dans des pays chauds », une allusion aux ennuis souvent éprouvés dans ses affectations précédentes. À titre d’inspecteur général des hôpitaux, James Barry supervise les casernes et les hôpitaux à Montréal, à Québec, à Toronto et à Kingston. Comme dans ses affectations précédentes, il procède à la réforme des normes de soins de santé au sein de l’armée.

La province du Canada (matériel cartographique)
La province du Canada (matériel cartographique), Éditeur: James Wyld, Angleterre, 1843.
Bibilothèque et Archives Canada

James Barry s’assure d’une plus grande variété dans les rations et l’alimentation des soldats. Il insiste pour que des fourneaux soient installés dans les cuisines des casernes afin que le personnel puisse préparer un plus large éventail de plats. Féru d’assainissement, il veille à l’amélioration des systèmes de drainage et d’égout des casernes de Québec. À son arrivée au Canada, aucun dortoir séparé n’est réservé aux soldats mariés et à leurs épouses. Ils n’ont d’autre choix que de vivre en caserne avec les autres soldats. James Barry est d’avis qu’il est non seulement dégradant pour une femme de vivre avec dix ou vingt hommes, mais qu’une telle situation est également susceptible de la faire sombrer dans l’alcoolisme. Par conséquent, il décider d’instituer des quartiers distincts permettant aux familles de jouir d’une certaine intimité.

James Barry passe les hivers de son séjour dans la province du Canada à Montréal. Il est à l’époque connu pour se déplacer en ville emmitouflé de fourrure à bord d’un traîneau rouge aux cloches en argent. Il devient par ailleurs membre du St. James Club, un club d’élite montréalais pour gentlemen. En 1858, James Barry tombe toutefois malade, affligé par une bronchite, une grippe, ou une combinaison des deux. En avril 1859, il prend un congé de travail temporaire, puis rentre en Angleterre le mois suivant.

Fin de vie

D<sup>r</sup> James Barry

Photographie d’un Dr James Barry âgé en compagnie d’un domestique et d’un chien. 

(avec la permission du Wellcome Library, Londres/Wellcome Images, CC)

En Angleterre, le Conseil médical déclare James Barry inapte au service en raison de ses problèmes de santé. Il plaide, en vain, en faveur de sa réintégration : « Je suis disposé à servir Sa Majesté sans égard à la destination de mon déploiement ». Avant cette fin de carrière abrupte, James Barry était le doyen des inspecteurs généraux des hôpitaux de l’armée britannique.

Il se rend une dernière fois en Jamaïque pour rendre visite à des amis, après quoi il passe ses dernières années à Londres. Victime d’une épidémie de diarrhée, James Barry s’éteint le 25 juillet 1865.

James Barry avait demandé à être enterré dans les vêtements qu’il porterait à sa mort, sans qu’aucune inspection de son corps soit réalisée. Son cadavre est toutefois préparé pour inhumation par une domestique. Peu de temps après la mort et l’enterrement de son maître, cette dernière entre en contact avec l’armée en affirmant ne pas avoir été rémunérée pour ses services. Elle y va également d’une déclaration-choc : en préparation de l’inhumation de la dépouille mortelle, elle prétend avoir découvert que James Barry avait « un corps de femme parfait », ainsi que des vergetures indiquant peut-être une grossesse pour celui-ci.

Le médecin ayant signé l’acte de décès n’avait pas procédé à un examen du corps après le décès. Connaissant James Barry depuis des années, il avait pu identifier le corps sans recourir à pareille intervention. Face à l’insistance de la domestique, le médecin admet la possibilité selon laquelle James Barry était hermaphrodite (de nos jours, personne intersexe).

L’appât du gain a peut-être motivé la domestique à agir de la sorte, espérant ainsi se voir acheter son silence sur James Barry. Néanmoins, la révélation selon laquelle James Barry s’est vu assigner le sexe féminin à la naissance se répand comme une traînée de poudre dans les milieux militaires. L’histoire est d’abord publiée en primeur, le 14 août 1865, dans un journal de Dublin : « À sa mort, on découvre qu’il s’agissait d’une femme! » Elle est reprise par plusieurs journaux britanniques dans la semaine qui suit, puis relayée par des quotidiens du monde entier. Certaines personnes ayant côtoyé James Barry sortent alors de l’ombre en déclarant l’avoir toujours soupçonné d’être une femme. D’autres affirment plutôt avoir été au courant, mais avoir promis de garder le secret à sa demande.

Débat sur l’identité de James Barry

Diverses théories sont proposées par les historiens et les chercheurs pour expliquer l’affirmation de la domestique selon laquelle James Barry s’est vu assigner le sexe féminin à la naissance. La théorie la plus répandue veut que James Barry ait été une femme qui s’est prétendue homme pour suivre une formation médicale et une carrière militaire, à une époque où ces domaines sont interdits aux femmes. Selon cette trame narrative, James Barry fait office de pionnier pour les femmes en médecine (voir aussi Collection : Les femmes en STIM). James Barry obtient un doctorat en médecine à une époque où les études universitaires sont la chasse gardée des hommes. Certains chercheurs sont d’avis que James Barry est la première femme à exercer la médecine de manière professionnelle en Grande-Bretagne et au Canada. (Voir aussi Histoire de la médecine jusqu’en 1950.)

D’autres chercheurs avancent quant à eux que James Barry était une personne intersexe. Le médecin ayant examiné son corps après la mort est le premier à suggérer cette idée. Comme aucun examen post mortem n’est effectué et que James Barry est enterré peu de temps après son décès, aucune preuve solide ne sous-tend cette théorie. Il n’est également pas exclu que la domestique se soit trompée ou qu’elle ait menti, et qu’ainsi James Barry était un homme cisgenre.

Une troisième théorie, selon laquelle James Barry était un homme transgenre, a récemment gagné en popularité sans toutefois retenir l’attention des historiens. Ceux qui appuient cette théorie soulignent que James Barry se référait à lui-même au moyen de pronoms masculins (il, lui). Celui-ci passe par ailleurs les 50 dernières années de sa vie en tant qu’homme, tout en exigeant que son corps ne fasse l’objet d’aucun examen après son décès. Lorsque James Barry est accusé de sodomie au Cap (à une époque où il s’agit d’un crime), il ne tente pas de se défendre en affirmant qu’on lui a assigné le sexe féminin à la naissance.

Bien que la nature exacte de l’identité de James Barry demeure sujette à débat et le demeurera sans doute à tout jamais, ses réalisations sont sans équivoque et bien documentées. Son œuvre a été essentielle à la réforme des normes médicales militaires au Canada ainsi que dans l’ensemble de l’Empire britannique.

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