Voix d'ici : Richard Hill | l'Encyclopédie Canadienne

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Voix d'ici : Richard Hill

Dans cette entrevue, Richard Hill nous parle des complexités du territoire Haudenosaunee, des enseignements des ceintures de Wampum et de son travail visant le rapatriement de la culture matérielle dans sa communauté.

Niá:wen, Rick, pour les enseignements que tu nous as offerts et pour avoir partagé le travail de ta vie avec nous.

Tourné le 5 septembre, 2019 au territoire des Six Nations of the Grand River.

Dir. Photographie - Jonathan Elliott
Montage - Madison Thomas
Correction des couleurs - Martin Gaumond + Outpost MTL
Mixage - Seratone Studios
Portrait - Natasha Donovan

Transcription

L’idée est que cette merveilleuse terre nous a été donnée comme un plat, et qu’à l’intérieur de ce plat se trouve tout ce dont nous avons besoin pour être nourris et en santé. Donc, toutes les plantes, tous les animaux, les oiseaux… Et le concept était : nous allions tous partager ce plat en utilisant la même cuillère. Tout le monde a une part égale; tout le monde à une chance de se servir. Donc, il s’agit de partager les ressources de cette terre. Mais pour pouvoir partager, il y a quelques règles simples. L’une est de ne prendre seulement ce dont vous avez besoin en ce moment. Nourrissez-vous, prenez soin de vous. Vous laissez toujours quelque chose dans le plat afin que les autres puissent aussi en profiter. Et vous gardez le plat propre. Vous ne polluez pas votre cuisine; vous ne polluez pas la source de la nourriture. Ce n’est que récemment, depuis quelques années, que les Anishinabeks et les Haudenosaunee ont dit : « Retournons à ce partage. Retournons à cette idée. » Nous travaillons donc très fort à retrouver cette idée de plat commun, duplat à une cuillère. Pourquoi est-ce important de partager? C’est en relation avec la pêche, la chasse et la cueillette. Mais c’est aussi relatif avec un esprit sain. Que peut-être que le contenu de ce plat, ce que la nature fournit, est plus sain que ce qui est vendu dans les supermarchés. Peut-être que ce qui est dans ce plat va nous aider à être des peuples autochtones plus forts. C’est pourquoi nous essayons d’explorer cela. Peut-être que le plat nous aidera même à nous remettre des traumatismes de la colonisation et des pensionnats.

 

Je m’appelle Rick Hill. Je suis un Tuscarora - nous suivons la lignée familiale de la mère. Mon père est un Mohawk, mais ma mère est une Tuscarora. Nous sommes ici à Chiefswood Park, à Six Nations. C’est un site très historique. Il y avait un Mohawk, George Martin Johnson, qui a construit un domaine ici. Il avait marié une Anglaise, ce qui était très rare à l’époque. Ils ont eu une fille, nommée Pauline Johnson. Elle est devenue une poète célèbre. Derrière moi se trouve la Grand River. Mes ancêtres ont suivi cette rivière depuis le lac Érié jusqu’à cet endroit, et se sont installés ici. Ironiquement, le peuple de ma mère, les Tuscaroras, s’est battu contre le peuple de mon père, les Mohawks, durant la Révolution et durant la guerre de 1812. Mais apparemment, ils se sont réconciliés en 1950, puis ils m’ont fait. La raison pour laquelle nous sommes ici à Grand River, c’est que lorsque les Britanniques ont perdu la Révolution américaine, ils ont promis de nous donner des terres ici pour remplacer celles qui avaient été perdues à New York. Les ancêtres de mon père ont donc déménagé ici. Les ancêtres de ma mère vivaient du côté new-yorkais de la frontière. Cette frontière, la rivière Niagara, est donc devenue une frontière politique. Même si on dit qu’il n’y a pas de frontière entre nos peuples, il y en a une.

 

Je travaille dans les musées depuis que je suis jeune. J’ai été très chanceux d’entrer dans ce monde. Car dans les musées, j’ai vu des choses que je n’avais jamais vues chez moi. Ces vieux objets, ces vieilles photographies, ces vieux documents à propos de mon peuple, les Haudenosaunees. Les Tuscaroras, en particulier. Ça a donc été une grande aventure éducative. Je consultais les archives, fouillais les espaces de rangement, et cela a déclenché quelque chose en moi. Que je suis lié à ces gens dont il est question; je suis lié aux gens qui ont fabriqué ces choses. Mais je n’ai pas grandi en sachant cela. Cela m’a donc frustré en même temps. Comment se fait-il que je ne connaisse pas ma propre culture? Comment se fait-il que je ne connaisse pas mon histoire? Comment se fait-il que je ne parle pas ma propre langue? Mais cela m’a poussé à apprendre. J’ai donc passé ma vie à travailler dans des musées, dans des centres d’archives, dans des universités. Un jour, j’étais dans un musée à Buffalo, j’ai ouvert ce tiroir et il y avait ces petites billes en coquillage - des petites billes tubulaires. Et j’ai entendu parler des wampums, mais je n’en avais jamais vu auparavant. Alors, je me suis mis à l’explorer. Heureusement, je travaillais aussi avec de nombreux aînés dans la ville de Buffalo et dans les communautés avoisinantes des Tuscaroras et des Tonawandas. Ils m’ont aidé à en comprendre la signification. Les perles wampums ne sont pas que des perles, mais elles sont des appareils au travers desquels la mémoire de nos ancêtres est transférée du passé au futur. Si vous y réfléchissez, je pouvais tenir dans mes mains des perles vieilles de 500 ans, et la mémoire de mes ancêtres était contenue dans ces perles. Quel beau cadeau! Bien sûr, le problème était d’accéder à cette mémoire. Comment puis-je le faire en tant qu’anglophone essayant d’entrer en contact avec mes proches qui ne parlent que leur langue maternelle? Mais il y a de la force dans ces perles. De la force pour vous aider à comprendre. C’est pourquoi elles existaient. À partir de là, je me suis mis à en apprendre toujours plus à propos des wampums, et je me suis mis à réaliser qu’il existait des centaines de ceintures wampums. Mais il n’y en avait aucune dans notre communauté.

 

Ce que j’ai apporté avec moi, ce sont des répliques de ceintures wampums. Les vraies ceintures sont faites de ces petites billes de coquillages. Elles sont puissantes et sacrées. Mais nous utilisons ces répliques pour les enseigner. La grosse ceinture que j’ai ici représente la fondation de notre mode de vie, notre gouvernement. À l’origine, il y avait cinq nations. Vous pouvez les voir ici, sur la ceinture : les Senecas, les Cayugas, au milieu, il y a les Onondagas, puis les Oneidas, et les Mohawks. Elles se sont jointes pour former une Confédération de paix. Je suis Tuscarora, nous nous sommes joints à la Confédération approximativement en 1715. Aujourd’hui, on nous appelle les Six Nations. Mais la ceinture garde la mémoire du passé - c’était une période dure, les gens se battaient. Elle enregistre ce message de paix à venir - c’est ce que représente le blanc. Dans un champ de noirceur, elle apporte cette unité et cette paix à notre mode de vie. Elle est comme notre constitution. Et elle porte avec elle la mémoire de nos ancêtres. Nous croyons que cela est venu du ciel, du Créateur. Il voulait que nous vivions en paix, alors il l’a introduite. Au centre, vous pouvez voir un pin. Un pin blanc. C’est notre symbole de paix. Si vous conduisez et que vous regardez dans les bois, vous allez remarquer ces grands arbres qui dépassent ici et là : c’est le pin blanc. Il est là pour nous abriter. Si nous nous assemblons sous le pin blanc, nous pouvons vivre en paix. Nous pouvons nous accorder sur ces sujets.

 

Ça, c’est une ceinture wampum à deux rangs, et elle représente l’accord de coexistence sur la rivière de la vie. Une des voies représente le canoë de mes ancêtres. Voyez cela comme ça : si vous embarquez dans un canoë, vous mettez à l’intérieur vos lois, vos coutumes, vos croyances, votre langue. L’autre voie représente le navire des Européens. À l’intérieur de leur navire se trouvent les mêmes choses : leurs lois, leurs croyances, leurs coutumes et tout ce qui est important pour eux. Ces deux bateaux sont censés descendre la rivière ensemble, mais ils ne sont pas censés se nuire mutuellement. Les gens dans le canoë ne sont pas censés diriger le navire. Les gens dans le navire ne sont pas censés diriger le canoë. C’était vraiment le traité fondateur. Un traité ce n’est pas que des mots sur du papier. C’est vraiment la relation entre ces deux choses. Les relations entre les gens dans le canoë et les gens dans le navire.

 

Donc, une partie de mon travail était de retrouver cela. Comment puis-je récupérer les ceintures wampum qui sont dans les musées pour les retourner aux communautés, afin que nous puissions les utiliser et apprendre d’elles? Ils appellent cela un rapatriement : rendre quelque chose à un autre pays ou à son lieu d’origine. Et ça a été une partie très importante de ma vie.

 

Lorsque les Anglais ont battu les Néerlandais dans les années 1600, ils ont fait un traité avec les Haudenosaunees, les Cinq Nations, symbolisé par cette ceinture wampum. On l’appelle la Chaîne d’alliance de paix. D’un côté, on voit le chef de la Couronne de la Grande-Bretagne. De l’autre côté, on voit les dirigeants autochtones - les chefs des Haudenosaunees. Ils ont fait cette chaîne, cette voie qui les unit. Et cela signifie qu’ils seront toujours honnêtes les uns envers les autres, qu’ils s’entraideront toujours, qu’ils vont promouvoir la paix. Lorsque le roi voulait attirer notre attention, il secouait la chaîne. Nous allions voir ses agents indiens travaillant à Albany, et les agents indiens nous rassemblaient. Et ils nous demandaient normalement de faire certaines choses. Tout d’abord, ils mettaient entre nos mains un tomahawk, comme ceci. Le tomahawk est intéressant parce que c’est une pipe utilisée pour faire la paix, mais c’est aussi une lame avec laquelle vous pouvez forcer quelqu’un à vouloir faire la paix. Avec ceci, ils allaient dire : « Prenez ceci et allez combattre nos ennemis, les ennemis du roi. Forcez-les à se soumettre ». Comme nous étions des alliés loyaux, nous le faisions, nous prenions ce tomahawk. Nous avons donc combattu les gens qui mettaient en péril la colonie de la Couronne, ce qui signifiait souvent que l’on devait se battre contre la France et ses alliés autochtones. Puis nous faisions la paix, et nous nous rassemblions afin de polir cette chaîne, comme ils disaient.

 

Vous pouvez voir cette chaîne comme trois liens d’une chaîne d’argent. Cela représente notre désir de paix, que nous nous respecterons toujours mutuellement, et que si nous faisons cela, nous garderons d’une amitié continue. La signification de ces liens a quelque peu changé au fil du temps, mais ce sont des principes de base : la bonne humeur, qui signifie que nous sommes honnêtes et fiables. Nous nous respecterons mutuellement. Nous réglerons les problèmes sans avoir recours à la violence. Nous ferons amende honorable lorsque nos peuples se blesseront mutuellement. Parce que nous voulons que cette chaîne soit forte et dure à jamais. Lorsque nous oublions la chaîne, elle devient poussiéreuse ou sale. Lorsque nous nous rassemblons pour une réunion de traité, donc, nous polissons la chaîne. Nous renouvelons notre amitié. Nous renouvelons nos accords. C’est ce qui est important pour nous… c’est que le traité ne représente pas seulement ce qui a été écrit en 1677, ou en 1701, ou en 1784, c’est la qualité de cette relation. Comme toutes les relations, il y aura certaines difficultés. Et si on ne s’assoit pas pour utiliser notre bon esprit et résoudre ces difficultés, ce sera le chaos. Cela a très bien fonctionné jusqu’en 1830. Après cela, les Britanniques et les Canadiens ont changé leur façon de penser. Ils ont commencé à nous voir comme des sujets, des pupilles du gouvernement.

 

J’ai passé toute ma vie à travailler dans des musées, des archives et des universités. Je me considère un peu comme un détective culturel. Mon travail est de trouver ces preuves, de trouver ces informations, d’essayer de trouver ce qui est vrai. De rejoindre les points et d’arriver à me comprendre moi-même et à comprendre mon peuple. Mais aussi de m’aider à comprendre comment nous nous sommes retrouvés dans cette situation. Une chose que j’ai appris c’est qu’une chose n’est pas vraie simplement parce qu’elle est écrite. Souvent, les Britanniques et les Français modifiaient ce qui avait été dit, inventaient des choses supposément dites par mes ancêtres, et les écrivaient pour leur avantage, pas le nôtre.

 

L’un des plus gros défis du travail d’archive est d’avoir l’autorité ou le pouvoir d’entrer dans certains endroits. Puisque je n’ai pas de doctorat et que je ne suis pas un universitaire reconnu, on m’interdisait souvent l’accès à de tels endroits. Ou je n’y avais accès que si j’étais accompagné d’un universitaire non autochtone. Mais les choses ont commencé à changer, les règles ont changé. Il y a eu beaucoup de manifestations dans les années 70 et 80 pour essayer de forcer les musées à reconnaître que les peuples vivants aujourd’hui ont le droit de comprendre et d’avoir accès à leur culture matérielle - aux objets et aux documents écrits. Il y a eu une bataille de pouvoir pour amener les historiens et les anthropologues à réaliser que nous avons un droit légitime à nos informations et à nos connaissances, et que leur travail consiste à aider à les recueillir et à les préserver, mais surtout, en fin de compte, à les transmettre à des personnes comme moi. Sinon, ils viennent dans nos communautés, ramassent toutes les connaissances, prennent tous les objets, partent avec, et on ne les revoit plus jamais.

 

Je suis fier de dire que notre groupe, notre équipe, a récupéré plus de 400 objets wampums de différents musées aux États-Unis et au Canada. Cela nous a grandement aidés à mieux comprendre notre histoire, notre culture, et notre personnalité en tant que peuple Haudenosaunee. C’est ce sur quoi j’ai travaillé depuis les années 1970. Ça fait longtemps. Il y a certaines choses que je ne comprends toujours pas. Certaines choses que j’essaie très fort de saisir. Mais sans le document, sans la photographie, sans l’artefact ou l’objet, je n’aurais même pas de questions auxquelles répondre. Je suis donc très heureux d’avoir travaillé dans des musées toute ma vie.

 

Et si nous nous inspirons des grandes traditions du passé, je crois qu’il est possible de coexister et de vivre en paix, tel que prévu par la ceinture wampum à deux rangs. Nous devons donc bâtir cette relation et nous concentrer moins sur la notion de gouvernement à gouvernement et plus sur celle de peuple à peuple. Et peut-être que cette prochaine génération canadienne comprendra mieux ce qui est arrivé à notre peuple, ce qui est arrivé à leur peuple, et trouvera de meilleures façons de réparer le tout. Mais pas à cause de la honte ou de la culpabilité, mais parce que renouveler la paix avec les peuples autochtones est une chose puissante. Nos ancêtres en ont profité. Ils avaient réalisé que c’est le seul cadeau que nous pouvons offrir aux futures générations. C’est un mécanisme qui permet le respect réciproque. C’est déjà là. C’est tout là. Nous devons saisir ces ceintures wampums, nous devons polir cette chaîne. Nous devons nous traiter les uns les autres comme si nous étions les membres d’une même famille.