Souveraineté | l'Encyclopédie Canadienne

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Souveraineté

La souveraineté est un concept juridique abstrait qui comprend également des implications politiques, sociales et économiques. Sur le plan strictement juridique, la souveraineté désigne le pouvoir d’un État de se gouverner lui-même ainsi que ses sujets. De ce point de vue, la souveraineté est la plus haute source du droit. Après la création de la Confédération et la promulgation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, le Parlement du Canada est demeuré sous l’autorité juridique du parlement britannique. En 1949, le Canada est devenu entièrement souverain vis-à-vis de la Grande-Bretagne en vertu de lois historiques promulguées, dont le Statut de Westminster (1931). La Loi constitutionnelle de 1982 a aboli ce qui restait de l’autorité de la Grande-Bretagne. Les enjeux de la souveraineté ont aussi été soulevés par les peuples autochtones au Canada et par les séparatistes au Québec. Ces derniers ont défendu pendant une certaine période le concept de souveraineté-association.

La statue Justitia
La statue Justitia devant la Cour suprême du Canada, donnant sur la Tour de la Paix du Parlement à Ottawa.

Définition

La souveraineté est un concept juridique abstrait qui comprend également d’autres implications (politiques, sociales et économiques). Sur le plan strictement juridique, elle désigne le pouvoir ou l’autorité suprêmes de l’État et représente la plus haute source du droit. Cette signification strictement juridique doit être distinguée d’usages plus populaires. Par exemple, certains pourraient dire que les négociations de l’accord de libre-échange de 1986 à1988 entre le Canada et les États-Unis menaçaient la « souveraineté économique ou culturelle » du Canada. Il s’agirait toutefois d’un élément de rhétorique politique plutôt que d’une notion juridique.

Contexte historique

Pour le Canada, les racines historiques de la souveraineté juridique remontent aux batailles constitutionnelles du début du 17e siècle entre le roi et le Parlement en Angleterre. Des royalistes prétendent alors que les pouvoirs exécutifs (ou prérogatives) sont exonérés de tout contrôle juridique ou révision par d’autres autorités de l’État (juridique ou législative). Cependant, le juge en chef sir Edward Coke rejette ce concept. Selon lui, bien que le roi (ou souverain) n’est sous le contrôle d’aucun homme, il demeure néanmoins sous celui de « Dieu et la Loi » (voir aussi Magna Carta).

Dans son application au Canada, le concept de souveraineté concerne les relations entre les différentes branches du gouvernement, soit l’exécutif, le législatif et le juridique. La théorie constitutionnelle britannique, provenant de Coke puis affinée et élaborée par Albert Venn Dicey, juriste de la fin de l’époque victorienne, proclame la souveraineté du Parlement. Il n’existerait donc aucune loi que le parlement ne puisse faire ou défaire et aucune distinction entre la Constitution et toute autre loi. Cela signifierait aussi que les tribunaux n’ont pas le pouvoir de refuser d’appliquer des lois pour des raisons constitutionnelles.

La Chambre des communes
La Chambre des communes du Parlement, à Ottawa. Photo prise le 23 août 2011.

La souveraineté du Canada vis-à-vis de la Grande-Bretagne

La souveraineté du Parlement du Canada est « reçue », ou transmise, dans le droit constitutionnel canadien après la promulgation de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Certaines anomalies juridiques se présentent, car le nouveau Parlement canadien est encore subordonné juridiquement au Parlement britannique. Par exemple, les tribunaux canadiens sont sujets à des appels auprès du Comité judiciaire du Conseil privé en Angleterre. À l’époque, sur le plan juridique, les institutions britanniques priment tous les dominions britanniques, dont le Canada.

Au sein de l’Empire britannique, dans les années 1920 et 1930, le statut de Dominion évolue pour inclure la souveraineté juridique et le gouvernement autonome à l’intérieur du nouveau Commonwealth britannique. En 1931, en vertu du Statut de Westminster, le Canada obtient son indépendance juridique, donc sa souveraineté, vis-à-vis de la Grande-Bretagne. Depuis, les relations juridiques entre le Canada et la Grande-Bretagne sont réglées par le droit international, qui régit les relations entre États souverains, et non par la loi constitutionnelle. La Loi constitutionnelle de 1982 abolit les derniers éléments de contrôle britannique, comme le pouvoir d’amender la Constitution.

Rapatriement de la Constitution
Sa Majesté la Reine Elizabeth II avec le premier ministre Pierre Elliott Trudeau signant la Constitution, 17 avril 1982.

Souveraineté et droit constitutionnel canadien contemporain

Dans le droit constitutionnel canadien d’aujourd’hui, le concept de souveraineté présente deux problèmes distincts. Le premier concerne le partage de l’autorité de légiférer entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux (voir aussi Partage des pouvoirs). La législature fédérale et les législatures provinciales détiennent chacune un pouvoir législatif absolu et souverain en vertu de la Loi constitutionnelle (voir aussi Paix, ordre et bon gouvernement). En cas de conflit en matière d’autorité, les tribunaux peuvent décider la source du pouvoir souverain (fédéral ou provincial, selon le cas).

Un deuxième problème tient au caractère juridique de l’aspect « reçu » de la souveraineté du Parlement. En 1787, la Constitution des États-Unis établit la notion de Constitution en tant que « loi suprême du territoire », liant les pouvoirs exécutifs et législatifs. La Charte canadienne des droits et libertés (1982) ancre des principes fondamentaux pour limiter toutes les législatures. À la fin du 20e siècle, le droit constitutionnel canadien rejette essentiellement le principe anglais « reçu » de souveraineté du Parlement au profit du concept « reçu » américain de suprématie de la loi (la Constitution).

La Charte canadienne des droits et libertés
(avec la permission du Secrétariat d'État du Canada)

Souveraineté des peuples autochtones du Canada

Aux États-Unis, les tribus autochtones américaines (ou « Indiennes ») sont considérées comme des nations intérieures « dépendantes souveraines ». À l’intérieur de leurs réserves, elles possèdent le droit inhérent de se gouverner, d’établir des lois et des tribunaux, et de jouir de l’immunité contre les poursuites judiciaires extérieures. Cette doctrine de souveraineté intérieure ne s’est jamais appliquée aux Peuples autochtones au Canada. Toutefois, certains soutiennent qu’en vertu des lois internationales, la même approche devrait être adoptée (voir aussi Autonomie gouvernementale des Autochtones).

En 2007, l’Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones adopte la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Le Canada commence par s’y opposer en raison d’enjeux liés aux conflits sur les terres (les clauses de la déclaration sur l’obligation de consulter sont susceptibles d’avoir une incidence sur le développement des ressources). La Déclaration représente deux décennies de travail de la part des peuples autochtones du monde entier. À l’origine, le Canada a soutenu ce travail, et son rejet entraîne une vague de mécontentement. En 2010, le Canada se joint à d’autres pays de colonisation anglo-saxonne, dont l’Australie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis, pour entériner la Déclaration en tant que « document d’aspirations ». Finalement, après un changement de gouvernement fédéral, le Canada signe la Déclaration en mai 2016. Il reste à voir la façon dont le Canada mettra en œuvre cette entente.

Nation Tsilhqot’in c. Colombie-Britannique
Le 26 juin 2014, la Cour suprême du Canada rend une décision sans précédent qui accorde pour la première fois de l’histoire du Canada un titre autochtone.

La question de la souveraineté au Québec

Un débat se déroule depuis la Révolution tranquille au début des années 1960, concernant le rôle constitutionnel du Québec à l’intérieur du Canada. Dans son manifeste Option Québec de 1967, René Lévesque introduit le concept de souveraineté-association pour définir ce qui lui apparaît comme l’objectif ultime du séparatisme québécois. Le principe est une association entre le gouvernement du Québec et le gouvernement fédéral évoluant à partir d’une entente en vertu du droit international, et se limitant au domaine économique.

En octobre 1978, René Lévesque, alors premier ministre du Québec, énonce les modalités de la souveraineté-association dans un document appelé le Livre blanc sur la souveraineté-association. Celui-ci propose un système monétaire commun avec le reste du Canada, ainsi qu’une réorganisation du rôle de la Banque du Canada dans de nouvelles institutions communes, dont une autorité monétaire centrale. Il suggère également une zone de libre-échange et un tarif extérieur commun. Cela inclurait la libre circulation des personnes et des biens entre le Québec et le Canada, et une variété d’ententes spéciales sur l’emploi et l’immigration (voir aussi Politique d’immigration du Québec). Un conseil communautaire, composé d’un nombre égal de ministres de chaque côté et présidé alternativement par un Canadien et un Québécois, arbitrerait les différends pouvant se présenter. Selon le Livre blanc, la souveraineté-association n’est pas un but en soi, mais un moyen pour le Québec de diriger librement ses propres affaires. Le Québec jouirait des avantages économiques de l’union fédérale et de l’indépendance politique.

Après l’échec du Référendum du Québec de 1980, l’expression « souveraineté-association » est moins utilisée; on parle simplement de souveraineté. Dans le Référendum du Québec de 1995, il n’est plus question d’« association » : on propose plutôt un « partenariat » économique et politique avec le reste du Canada. Dans le référendum de 1995, le Québec aurait pu accéder à la souveraineté si le oui l’avait emporté et que des négociations avec le Canada avaient échoué. La souveraineté-partenariat se définit davantage comme une forme d’indépendance politique, tandis que la souveraineté-association représente une nouvelle entente sur la Confédération.

René Lévesque
René Lévesque a fondé le Parti Québécois.

La souveraineté dans le droit international contemporain

Sur le plan du droit international, la souveraineté dénote le caractère juridique d’un État. Seuls les États sont des personnes sur le plan du droit international. Dans ce contexte, la souveraineté d’un État s’exprime de trois façons. D’abord, elle comprend le contrôle juridique du territoire, des eaux territoriales et de l’espace aérien, et le pouvoir juridique d’exclure d’autres États de ces domaines. Ensuite, elle comporte le pouvoir juridique de représenter les droits et les intérêts de ses citoyens auprès des autres États. Enfin, elle assure sa propre représentation sur la scène internationale, notamment devant les Nations unies et la Cour internationale de Justice.

L’origine de ces théories de la souveraineté de l’État dans le droit international remonte aux traités de Westphalie de 1648, lesquels mettent fin à la guerre de Trente Ans en Europe. Dans ces traités, l’État-nation émerge comme l’institution dominante des relations internationales, remplaçant le modèle médiéval où prédominaient les figures religieuses.

Au 21e siècle, la souveraineté de l’État fait face à de nombreux défis qui menacent l’ordre du monde. De nouveaux acteurs politiques, sociaux et économiques transnationaux se révèlent à certaines occasions plus puissants ou influents que des États-nations individuels. Nous pensons notamment aux sociétés multinationales, aux partis politiques internationaux, aux mouvements culturels ou religieux et aux organisations terroristes internationales. Néanmoins, ces nouveaux acteurs n’ont aucun statut juridique dans le droit international. Nous vivons dans une ère de transition en matière de relations extérieures et de droit international. La notion de souveraineté de l’État est remise en question et se trouve peut-être dans un mouvement de déclin, sur les plans politique et juridique.

Voir aussi :SouverainCouronnePrérogativesGouvernement responsable.

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