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Poutine

La poutine est un plat québécois à base de frites agrémentées de fromage en grains et de sauce. Elle fait son apparition au Québec dans les « casse-croûtes » ruraux dans les années 1950 et devient très populaire dans tout le reste du Canada et ailleurs à partir des années 1990. La poutine se retrouve partout, des restaurants les plus chics aux restaurants rapides, notamment McDonald’s et Burger King. Elle est devenue un symbole incontestable de la cuisine et de la culture québécoise.

Poutine

Historique

La poutine peut maintenant être commandée aussi bien dans les meilleurs restaurants que dans les restaurants rapides, mais elle était encore complètement inconnue au milieu du 20e siècle. C’est dans les casse-croûtes des régions rurales du Québec, à la fin des années 1950, que ce plat combinant des frites fraîchement cuites, du fromage en grains et de la sauce fait son apparition. Les origines précises de la poutine font l’objet de nombreux débats, mais on s’accorde à penser que la recette s’est développée en plusieurs étapes.

La proximité des fromageries qui produisaient le fromage en grains dans le Centre-du-Québec a joué un rôle crucial. Dans la région, plusieurs villes et même plusieurs familles se déclarent les authentiques créateurs de la poutine. À Warwick (près de Victoriaville), Fernand Lachance, qui tient le Café Idéal (rebaptisé Le Lutin qui rit), a déclaré qu’il a ajouté pour la première fois des grains de fromage aux frites en 1957, à la demande d’Eddy Lainesse, un de ses clients réguliers d’alors. Fernand Lachance aurait alors répliqué à son client « ça va te faire une maudite poutine! » avant de lui servir le mélange dans un sac en papier. Le plat devint populaire et divers restaurants ont commencé à le proposer en y ajoutant du ketchup ou du vinaigre. En 1963, Lachance commença à servir le plat dans une assiette pour éviter d’avoir trop de débris sur les tables. Les clients se plaignant que les frites refroidissent trop vite dans l’assiette, il décide alors de mouiller les frites et le fromage en grains avec de la sauce pour garder le plat chaud.

À Drummondville, Jean-Paul Roy déclare avoir inventé la poutine en 1964, dans son restauvolant Le Roy Jucep. Il offrait des frites dans une sauce spéciale depuis 1958, sous la forme d’un plat baptisé patate-sauce. Remarquant que ses clients ajoutent parfois du fromage en grains aux frites (il vend alors le fromage en grains sous la forme de sachets disponibles au comptoir) il décide d’ajouter le plat à son menu sous le nom de fromage-patate-sauce. Jean-Paul Roy devait aller jusqu’à Toronto pour trouver des contenants suffisamment solides pour contenir le mélange.

On s’accorde généralement à penser que le mot poutine vient du mot pouding (dérivé de l’anglais pudding) qui décrit un mélange, habituellement collant, de plusieurs ingrédients. Au Québec, poutine est un mot d’argot qui signifie le bazar, la pagaille. Plus d’une douzaine d’autres explications ont été offertes, notamment que le mot proviendrait du français potin (pâté) et de poutitè (ragoût de pommes de terre).

Dissémination et variantes

Une fois devenu populaire dans les petites villes du sud-est du Québec, le plat est arrivé à Québec en 1969 (au Ashton Snack Bar, un camion de cuisine de rue stationné sur le boulevard Hamel) puis à Montréal en 1983. Plat de rue populaire, la poutine s’est vite fait une place de choix sur les menus des camions de cuisine en activité au Québec et en Ontario.

Avec sa popularité grandissante, la poutine s’est vue déclinée en plusieurs variantes, dont la poutine italienne (servie avec une sauce à spaghetti ou des saucisses), la poutine végétarienne (avec de la sauce aux champignons et des légumes) et la poutine irlandaise (aux lardons). Parmi les variantes régionales, on compte la galvaude, en Gaspésie, préparée avec du poulet et des pois verts, et la poutine Montréal, à base de viande fumée, pour n’en citer que deux.

Au début des années 1970, une version du plat apparaît déjà dans des régions aussi éloignées que les États de New York et du New Jersey, où elle devient connue sous le nom de « disco fries ». Elle est alors préparée avec du mozzarella râpé au lieu du cheddar en grains traditionnel. Les puristes considèrent néanmoins que la poutine authentique est celle qui contient des grains « élastiques » de fromage comme ceux produits dans la région de ses origines.

Popularisation à grande échelle

La poutine est apparue pour la première fois sur le menu d’une chaîne de restaurants en 1985, chez Frits, une entreprise québécoise franchisée qui a rapidement fermé ses portes (en 1988). En 1987, Jean-Louis Roy, gérant d’un restaurant Burger King basé au Québec, réussit à convaincre la chaîne d’offrir de la poutine sur ses menus. Le plat se révèle si populaire que la marque décide de vendre de la poutine dans tous ses restaurants du Québec ainsi qu’à Hawkesbury, en Ontario, l’année suivante. McDonald’s catapulte la poutine sur le devant de la scène de la restauration rapide en l’ajoutant sur les menus de ses succursales québécoises en 1990, avant d’étendre l’offre à tous ses autres restaurants d’un bout à l’autre du Canada. Les restaurants canadiens Harvey emboîtent le pas en 1992 en inscrivant la poutine sur leurs menus dans tout le pays.

Des chaînes et des restaurants spécialisés dans la poutine ont ensuite vu le jour dans de nombreuses villes canadiennes, notamment Smoke’s Poutinerie (2008) et Poutini’s House of Poutine (2009). Au-delà des États-Unis, la poutine arrive dans de nombreux autres pays, notamment au Royaume-Uni, en Corée et en Russie, où la pomme de terre est très populaire et où le plat prend le nom de Raspoutine.


Poutine gastronomique

On convient généralement que la poutine ne peut prétendre au label de haute cuisine, mais elle est néanmoins devenue un plat favori des chefs durant la révolution culinaire des années 2000 axée sur la nourriture réconfortante. Durant ce mouvement nutritionnel qui visait à retourner aux valeurs culinaires de base, les chefs se mirent à créer des versions sophistiquées des recettes du passé, notamment pour les hamburgers, le macaroni au fromage et la poutine.

Le célèbre chef montréalais Martin Picard, du restaurant Au Pied de Cochon, est le premier à raffiner la poutine. En 2002, il introduit ainsi son « foie gras poutine », souvent imité, qui combine la haute cuisine et la cuisine traditionnelle québécoise dans une même assiette.

Les poutines gastronomiques commencent alors à apparaître sur les menus des restaurants haut de gamme dans d’autres villes telles que Toronto, où une poutine au homard est offerte au Bymark, le restaurant du chef Mark McEwan, et la poutine au bœuf braisé au restaurant du chef Jamie Kennedy, aujourd’hui fermé.

Importance culturelle et appropriation

Même si la provenance exacte de la poutine reste contestée, son lieu de naissance, la province du Québec, n’est pas remis en question. Le plat est devenu un symbole par excellence de la province. En 1990, le journaliste Paul Wells écrit que la poutine « a fini par représenter le Québec-dans-un-plat-pour-emporter, un raccourci qui a fait son chemin jusqu’aux caricatures, aux sketches humoristiques et partout où l’on cherche à évoquer le Québec et à faire rire en même temps. »

Cela étant dit, comme tous les symboles, la poutine est souvent récupérée et appropriée. En outre, les tentatives d’étiqueter le plat comme étant « canadien » sont accueillies avec mépris au Québec. Dans une entrevue accordée au magazine Toronto Life en 2011, le chef montréalais Chuck Hughes déplore le fait que « dans les dernières années, la poutine s’est fait connaître en tant que plat canadien, mais ça n’en est absolument PAS un. C’est un plat québécois! » En 2017, Nicolas Fabien-Ouellet, un Montréalais effectuant des études postdoctorales en systèmes alimentaires à l’Université du Vermont, crée une certaine controverse en arguant dans un essai universitaire que « de présenter la poutine comme un plat canadien » a servi en fait à « ternir la culture du Québec et à miner la légitimité de son autonomie en tant que nation. » Dans une entrevue pour le New York Times, Fabien-Ouellet affirme : « Tout comme Céline Dion, la poutine a été la cible des moqueries et d’une dépréciation au Québec. Maintenant qu’elle est devenue une superstar internationale, les Canadiens veulent la revendiquer, mais elle ne leur appartient pas. »

Le 19 mai 2023, Google rend hommage à la poutine en en affichant une illustration d’un plat de poutine.

Politique et controverse

La poutine sert aussi dans la propagande et la satire politiques. En 1994, Preston Manning, alors chef du parti réformiste, tente d’améliorer son image « anti-Québec » en se faisant photographier mangeant une poutine au restaurant montréalais Ben’s (aujourd’hui fermé). La manœuvre se retourne malheureusement contre lui. En effet, de nombreux Québécois font tout de suite remarquer que Ben’s est plus connu pour sa viande fumée que pour sa poutine et que la photographie ne fait qu’illustrer davantage l’ignorance de Preston Manning à l’égard de la culture québécoise.

Plusieurs politiciens francophones ont également « trempé » dans la politique de la poutine. En 1991, lors d’un incident devenu fameux, l’ancien premier ministre du Québec Robert Bourassa choisit d’ignorer un journaliste de la CBC qui lui demande de dire devant les caméras s’il aime la poutine. Plus de dix années plus tard, le premier ministre du Québec, Jean Charest, fait ce mot d’esprit au sujet du plat : « J’aime tellement la poutine que j’en mange le moins souvent possible. »

Lors d’un épisode de This Hour Has 22 Minutes en 2000, Rick Mercer se fait remarquer en demandant à George W. Bush, alors gouverneur, ce qu’il pense du soutien que lui professe le premier ministre « Jean Poutine » (au lieu de Jean Chrétien) pour les élections présidentielles. La réponse sérieuse du gouverneur, qui parle de l’importance du libre-échange et de la solidité des relations avec les Canadiens, est maintes fois tournée en dérision. Des années plus tard lors d’une visite au Canada au côté du premier ministre Paul Martin, George Bush reprend la blague en faisant remarquer sur le ton de la plaisanterie qu’il n’a malheureusement jamais eu la chance de rencontrer « Jean Poutine ».

Certains Canadiens se disent ambivalents à l’égard du plat et de ses connotations. On a suggéré que les humbles débuts de la poutine dans les casse-croûtes ruraux et les relais routiers ainsi que l’utilisation de fromage en grains, souvent considéré comme une petite gâterie du monde rural, l’associent immanquablement à la culture de la classe ouvrière. L’aspect dégoulinant et la haute teneur en calories, deux caractéristiques intrinsèques au plat, sont également souvent cités par les critiques.

En 2003, la poutine devient un sujet de controverse dans les débats liés à la santé publique. En effet, un groupe de mères de Toronto — surnommé the poutine police — exige le retrait de la poutine dans le menu des cantines scolaires en raison de sa haute teneur en gras. Elles réussissent à faire bannir le plat des écoles locales en faveur de mets plus légers. Toujours en 2003, la Commission-Jeunesse du Parti libéral du Québec propose d’interdire la poutine dans les cafétérias des écoles de la province. Le premier ministre Charest rejette leur proposition et déclare aux journalistes, sur un ton moqueur, qu’« il y a des limites à la rectitude ».

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