Notre histoire en souvenirs : Vera Frenkel | l'Encyclopédie Canadienne

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Notre histoire en souvenirs : Vera Frenkel

En 2005, pour commémorer le 60e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des Canadiens célèbres ont exprimé ce que signifiait pour eux cet exercice de mémoire, dans le cadre de la campagne Notre histoire en souvenirs, menée par l’Institut Historica-Dominion (aujourd’hui Historica Canada), CanWest News Service (aujourd’hui Postmedia News) et le ministère des Anciens Combattants. Cet article est tiré de cette campagne.

Histoire orale des temps de guerre

Vera Frenkel pense qu’une armée d’archivistes, armés de rien de plus que des microphones et des enregistreuses, devrait être envoyés dans les filiales de la Légion et les salles de séjour des Canadiens pour capturer les voix et les souvenirs des anciens combattants du pays qui ont survécu.

« J’ai beaucoup de respect pour l’histoire orale », a dit la célèbre artiste de Toronto. « Il devrait y avoir un programme d’enregistrement [des histoires d’anciens combattants] à Ottawa et dans toutes les autres villes du pays afin que nous puissions entendre leurs voix et leurs récits. »

« Leurs souvenirs peuvent parfois sembler futiles, mais ils n’ont pas besoin d’être grandioses pour être importants. Leur importance [dans l’histoire] émerge de notre quotidien. Après tout… », a-t-elle dit, « si une génération se tait, celle qui la suit ne peut l’entendre ».

Le jour du Souvenir, 2010
Des anciens combattants assistant à une cérémonie du jour du Souvenir à Halifax, le 11 novembre 2010 (avec l'aimable autorisation de Canadian Press Images).\r\n
Parc commémoratif de la guerre à Ottawa
Le parc commémoratif de la guerre à Ottawa a été érigé à la mémoire des aviateurs morts au cours de la Deuxième Guerre mondiale, qui n'ont pas de lieu de repos connu (avec la permission de la Commission canadienne du tourisme).

Fuite devant les nazis

Vera Frenkel sait à quel point il est difficile de se rappeler et de commémorer la guerre.

Née à Bratislava, elle n’était qu’un bébé en 1939 lorsque ses parents juifs ont fui les nazis en Tchécoslovaquie au début de la Deuxième Guerre mondiale. La plupart de ses tantes et oncles ainsi que sa famille élargie ont décidé de rester et sont tous morts dans des camps de concentration.

Elle a grandi en Angleterre, puis a vécu à Montréal par la suite. Ses parents parlaient rarement de l’Holocauste ou de la guerre et hésitaient à parler du terrible sort de leurs proches.

« Toute cette génération a eu du mal à parler de ses pertes et de ses expériences, en partie parce que les souvenirs étaient trop douloureux et aussi pour éviter de nous traumatiser », a-t-elle dit. Ce silence, a dit Vera Frenkel, « nous afflige encore ».

Art volé en temps de guerre

Au nombre des artistes des nouveaux médias les plus reconnus au Canada, Vera Frenkel s’est engagée, pendant les années 90, à commémorer un autre type de perte engendrée par la guerre; les trésors artistiques de l’Europe pillés par les nazis et la disparition subséquente de plusieurs œuvres célèbres. Elle a conçu une vidéo intitulée « Body Missing », œuvre acclamée internationalement qui met en vedette divers artistes et auteurs qui parlent du plan ayant échoué d’Hitler; ce plan, élaboré au cours des années 40 dans la ville natale d’Hitler, à Linz en Autriche, consistait à ériger un grand musée, qui n’a jamais été construit, où seraient exposées toutes les œuvres volées par les nazis.

Lorsque Vera Frenkel a visité Linz dans le cadre de son projet, elle a tenté sans succès de découvrir où Hitler avait grandi.

« Les gens étaient tous vraiment très amicaux », se souvient-elle. « Mais ils avaient également tous un blocage au niveau de la mémoire. Personne ne pouvait me dire où Hitler avait vécu. »

« La mémoire de la guerre est comme ça », a-t-elle affirmé. « Peu importe de quel côté on se trouve, celui de la source du mal, des civils tués, des combattants de retour chez eux, les témoins sont pour la plupart réticents lorsqu’il est question de se rappeler. Ils préfèrent enfouir leurs souvenirs dans le passé plutôt que de devoir fournir des explications et raconter leur histoire aux générations qui suivent. »

Traumatisme psychique de la guerre

Vera Frenkel se souvient d’une réunion inattendue qu’avait eue son père à Montréal avec son meilleur ami de Tchécoslovaquie, dont la femme et les enfants avaient été tués dans les camps de concentration.

« Cet homme s’était construit une nouvelle vie. Il avait une nouvelle femme et de nouveaux enfants et il était hors de question de parler de la famille qu’il avait perdue. »

« Le refus des survivants de parler de leurs expériences de la guerre, [même] à leurs enfants, est un effet de traumatisme bien documenté », a-t-elle dit. « Le silence a été pour plusieurs, incluant mes parents, un passeport pour demeurer sain d’esprit. Mais il était évident que derrière la façade de la routine et les allées et venues du quotidien se cachaient des pleurs et des manques. »

Vera Frenkel affirme que les anciens combattants vieillissants du Canada devraient partager, non seulement avec leurs familles, mais aussi avec les gens de leur pays, leurs souvenirs du temps de la guerre afin que ceux-ci aient un sens réel après leur départ.

« Il est difficile de se commémorer la guerre », a-t-elle dit. « C’est un sujet des plus délicats, peu importe l’angle sous lequel on l’observe, mais j’aimerais entendre la voix de ceux qui savent. Des souvenirs transmis de façon significative nous permettraient de mieux connaître une génération entière qui a marqué notre histoire. »

(Voir aussi Le Projet mémoire.)

Les orateurs du Projet Mémoire utilisent de vieilles photos pour illustrer leurs présentations.
Image\u00a0:Gabrielle Touchette/Historica Canada.

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