Notre histoire en souvenirs : John Ralston Saul | l'Encyclopédie Canadienne

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Notre histoire en souvenirs : John Ralston Saul

En 2005, pour commémorer le 60e anniversaire de la fin de la Deuxième Guerre mondiale, des Canadiens célèbres ont exprimé ce que signifiait pour eux cet exercice de mémoire, dans le cadre de la campagne Notre histoire en souvenirs, menée par l’Institut Historica-Dominion (aujourd’hui Historica Canada), CanWest News Service (aujourd’hui Postmedia News) et le ministère des Anciens Combattants. Cet article est tiré de cette campagne.

Crise du souvenir

John Ralston Saul a déjà écrit que « les souvenirs de la guerre sont une chose très délicate ».

Mieux connu en tant qu’essayiste politique et, d’octobre 1999 à septembre 2005, comme l’un des occupants de la résidence du Gouverneur général en qualité de conjoint vice-royal d’Adrienne Clarkson, il est aussi le fils d’un soldat du jour J, le petit-fils d’un héros de la guerre décoré pour ses exploits lors de la campagne d’Italie et un ami proche d’innombrables anciens combattants canadiens. Il a grandi dans une famille de militaires, entouré d’hommes tels que son père, qui s’est battu et a remporté la Deuxième Guerre mondiale.

Ralston Saul a acquis de nombreuses valeurs des gens qui l’ont entouré, mais ne les a jamais entendus parler des batailles.

« Jamais je ne les ai entendus raconter une histoire de guerre, sauf en blague », a-t-il dit.

La seule bribe d’histoire dont son père lui a fait part concernant son expérience personnelle est que, contrairement à la plupart des soldats des troupes de débarquement du jour J, il n’a jamais souffert du mal de mer lorsqu’il a navigué sur les vagues de Juno Beach. Ces 60 dernières années, c’est à contrecœur que la plupart des anciens combattants canadiens ont parlé de la guerre.

« Expliquer ce qui s’est passé donnerait à penser que de telles choses sont explicables », a dit Ralston Saul.

La réticence des anciens combattants est compréhensible, mais il croit qu’elle a engendré une crise du souvenir faisant en sorte que l’énorme contribution du Canada à la Deuxième Guerre mondiale, qui, pourrait-on dire, constitue la plus grande réalisation de l’histoire de notre nation, n’est pas appréciée à sa juste valeur par plusieurs citoyens.

« Je crois que nous vivons une crise du souvenir et que les anciens combattants en sont conscients », a dit Ralston Saul lors d’une entrevue en 2005. « Les anciens combattants sont plus âgés maintenant, les vrais témoins disparaissent – nous perdons notre accès direct au souvenir physique de ce temps, et nous ne savons pas vraiment ce qu’il faut faire. »

« Tout le monde se pose la question : Comment conserver ces souvenirs?” »

Le jour du Souvenir, 2010
Des anciens combattants assistant à une cérémonie du jour du Souvenir à Halifax, le 11 novembre 2010 (avec l'aimable autorisation de Canadian Press Images).\r\n
Parc commémoratif de la guerre à Ottawa
Le parc commémoratif de la guerre à Ottawa a été érigé à la mémoire des aviateurs morts au cours de la Deuxième Guerre mondiale, qui n'ont pas de lieu de repos connu (avec la permission de la Commission canadienne du tourisme).

Mariage en temps de guerre

En grandissant, John Ralston Saul en a appris suffisamment pour apprécier les efforts de ses parents et amis qui ont été immergés dans un événement momentané de grand sacrifice national. Le capitaine William Saul s’est battu brièvement en Afrique du Nord, puis est débarqué, le jour J, à titre de commandant adjoint d’une compagnie des Royal Winnipeg Rifles.

Il a miraculeusement survécu au drame de Juno Beach et même aux champs meurtriers de Normandie; plusieurs de ses compatriotes ont quant à eux été tués lors des infâmes exécutions de prisonniers canadiens perpétrées par les nazis le jour suivant l’invasion du jour J.

Avant de quitter l’Angleterre, le capitaine Saul a rencontré et épousé Beryl Ralston, fille d’une famille aux profondes racines militaires britanniques.

Berryl Ralston a servi au temps de la guerre dans un régiment de femmes qui conduisaient des camionnettes de l’armée et apprenaient aux soldats comment le faire. Elle est ensuite partie pour le Canada avec Saul, qui est demeuré dans les forces militaires après 1945; la famille s’est déplacée, un peu partout au pays, d’une base militaire à l’autre, jusqu’à ce que Saul, qui était alors colonel, meure en 1967.

Pourquoi se sont-ils battus?

John Ralston Saul a gardé contact avec des amis et collègues anciens combattants de son père. Selon lui, plusieurs d’entre eux commencent à s’inquiéter du peu d’information qu’ils ont su transmettre à la population sur cette guerre, de plus en plus lointaine dans le passé – qu’il s’agisse de détails dramatiques ou de leçons à tirer.

« Leur plus grand choc fut de réaliser qu’ils sont au courant de choses qu’ils ne peuvent expliquer et ne savent pas comment aborder ces faits dans la société. Je crois que plus ils vieillissent, plus ils insistent pour tenter d’expliquer ce qui s’est passé ».

Les histoires qu’ils s’efforcent de raconter aujourd’hui traitent de beaucoup plus que des faits poussiéreux de notre histoire. (Voir Le Projet mémoire.)

« Aujourd’hui, la violence est encore présente et le racisme refait surface », a dit Ralston Saul. « Des épurations ethniques ont eu lieu en Yougoslavie et au Rwanda. Jusqu’à un certain point, donc, nous n’avons pas su garder en mémoire les raisons qui les ont poussés à se battre.

Ce qui aurait dû être un absolu des suites de la Deuxième Guerre mondiale ne l’est pas. Certaines choses pour lesquelles nous nous sommes battus refont maintenant surface. »

« Le chef du Congrès juif mondial a prononcé un discours juste avant le 60e anniversaire de la libération d’Auschwitz, au cours duquel il a dit : Nous devons nous souvenir, puisque le Rwanda, le Congo et tous ces événements sont reliés entre eux.” Nous avons débarqué au jour J en partie pour nous assurer que des choses comme celles qui se sont produites en Yougoslavie n’arrivent jamais plus. »

Confiance en soi, abnégation de soi

Il faut tirer des leçons des événements. Oublier la génération qui a déployé des efforts pour vaincre les nazis, c’est oublier que le Canada, peu importe son insécurité nationale actuelle, a déjà été l’une des sociétés les plus sûres de soi de la planète, sûre de son identité, en grande partie grâce à sa grande éthique du bien commun qui lui a permis de se battre pour la victoire en Europe.

Comme Ralston Saul l’explique : « La génération de mon père a fait partie de cette grande armée, l’une des plus modernes de l’histoire. Ses compatriotes et lui étaient très confiants. Ils ont débarqué le jour J, ont libéré les pays, ont stupéfié les gens, et tout cela ils l’ont fait ensemble. Alors, lorsqu’ils entendent des gens qui cherchent la place du Canada dans le monde, ils les regardent et disent : De quoi parlez-vous? Ne savez-vous pas qui nous sommes et ce que nous avons fait?” »

Juno Beach
Des soldats canadiens débarquant sur Juno Beach \u00e0 Courseulles-sur-Mer, le 6 juin 1944. \r\nImage: Lieutenant Ken Bell/Minist\u00e8re de la Défense nationale/Biblioth\u00e8que et Archives Canada /PA-132655.

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