L'héroïsme de William Jackman | l'Encyclopédie Canadienne

Éditorial

L'héroïsme de William Jackman

L'article suivant est un éditorial rédigé par le personnel de L'Encyclopédie canadienne. Les éditoriaux ne sont pas mis à jour.

Le 9 octobre 1867 à Spotted Island Harbour, au Labrador, le capitaine William Jackman amarre son navire en prévision d'une féroce tempête et part rendre visite à son vieil ami John Holwell. Avant la tombée de la nuit, des événements se produiront qui mériteront à Jackman une place dans l'histoire et la légende de ​Terre-Neuve.

L'histoire et la légende se côtoient, tels de proches parents. Alors que l'histoire se réfère aux événements ayant eu lieu, il importe de faire un examen sérieux de plusieurs sources pour rendre compte de leur véracité. La légende diffère de l'histoire dans sa façon de vérifier les faits; la légende est basée sur des faits, mais ces derniers se transforment au fil des ans.

L'anse Spotted Island (avec la permission de Von E. Levan).

Même si nous n'aurons probablement jamais une version juste des événements, il reste que Jackman dirigea des opérations de sauvetage périlleuses en cette journée froide du mois d'octobre. Son récit se situe au carrefour de l'histoire et de la légende, et bien que cette histoire d'héroïsme et de compassion ne soit pas très connue, les détails obscurs et parfois embrouillés l'entourant, ont pu élever Jackman à un statut légendaire.

Après avoir pris un verre avec Holwell, Jackman voulut prendre de l'air. Les deux hommes marchèrent le long de la mer, bien que la tempête attendue eut commencé à se manifester.

En entendant un coup de feu, ils se précipitèrent au sommet d'une colline. De là, ils aperçurent une goélette s'écroulant contre un récif à 152 mètres du rivage. Certaines versions de l'histoire disent que la goélette se trouvait à 365 mètres de la côte. Il s'agissait du schooner Sea Clipper. Jackman et Holwell pouvaient voir les membres de l'équipage et les passagers au bastingage; certaines versions racontent qu'ils étaient agrippés aux suspentes.

William Jackman célébré par Poste Canada.

Le point stratégique entre l'histoire et la légende ne fait aucun doute il est peu probable qu'ils aient pu voir des gens à bord d'un bateau ballotté par une féroce tempête à une distance de plus de 300 mètres. Mais, une légende voit le jour de cette manière : l'histoire est tellement plus saisissante si le navire est loin du rivage!

Le Clipper avait 27 personnes à son bord, un nombre peu probable pour une goélette de pêche, mais, il s'agissait après tout d'une goélette au sort tragique! De plus, elle avait déjà éperonné un autre bateau, le Loon, plus tôt dans la journée, et avait réussi à en secourir l'équipage et les passagers avant qu'il ne sombre.

Holwell partit chercher du secours. Jackman resta sur place pour surveiller ce qui se passait, sachant fort bien qu'il serait impossible d'obtenir qu'un bateau de sauvetage se rende au schooner qui, lui, s'effondrerait en quelques heures au plus.

Sur un coup de tête, Jackman retira ses vêtements et se jeta dans les eaux glaciales. Il essaya de nager, mais les vagues le repoussèrent. Il nagea sous l'eau, refaisant surface à toutes les deux ou trois brasses pour respirer, et se rendit jusqu'au bateau qui coulait.

Prenant le premier homme sur son dos, Jackman fut surpris de constater que les vagues l'aidaient à atteindre le rivage. Il replongea de nouveau. Lorsque Howell revînt avec de l'aide, Jackman avait déjà secouru 11 personnes.

Selon certaines versions de l'histoire, Jackman, seul sur la plage et guidé par une intuition de pêcheur, aperçut le navire; sachant que personne n'était au courant de son sort, il décida de secourir les personnes désespérées agrippées au navire échoué. La première personne ramenée au rivage fut envoyée chercher de l'aide.

Les sauveteurs apportèrent un doris, mais la mer était trop agitée pour qu'ils puissent s'en servir. Ils attachèrent alors des câbles bout à bout. Jackman noua le câble autour de sa taille, nagea jusqu'à la goélette et accrocha l'autre extrémité du câble au bastingage. Grâce au câble et avec l'aide de ceux sur le rivage, il put ainsi faire des allers et retours à la nage pendant plus de deux heures durant lesquelles il secourut tous les naufragés sauf un.

Lorsque Jackman regagna le rivage de peine et de misère, pour ce qu'il pensait être son dernier voyage de secours, la foule silencieuse ne pouvait en croire ses yeux. Jackman finissait de boire un thé lorsque quelqu'un annonça qu'il restait une personne à bord : la cuisinière du Loon, qui avait été blessée lors de la collision entre le Loon et le Clipper. Malgré les oppositions de la foule qui croyait que la femme était probablement déjà morte, Jackman repartit à nouveau.

Pour la 27e fois, Jackman regagna les eaux déchaînées de la mer. En atteignant le navire, il trouva la femme gisant dans l'eau. Selon certaines versions de l'histoire, elle aurait été étendue sur sa couchette, sur le point de trépasser. Jackman réussit à ramener la femme au rivage, mais elle mourut deux jours plus tard. Certaines versions des faits maintiennent qu'elle ne vécut que le temps d'embrasser Jackman en lui disant au revoir.

La British Royal Humane Society décerna sa médaille d'argent à Jackman. Il mourut en 1877 à l'âge de 39 ans. Plusieurs attribuent sa mort « aux efforts surhumains du sauvetage qui taxèrent son cœur outre mesure ».

Jackman n'est pas un héros bien connu. Bien que quelques-uns se plaignent « du fait que personne n'ait immortalisé ses accomplissements sous forme de vers », Jackman fut l'objet d'une ballade plutôt discordante intitulée The Man Who Saved the Day (le héros du jour). En 1965, le Captain William Jackman Memorial Hospital à Labrador City fut nommé en son honneur. (Cet hôpital ferma en 2014 et fut remplacé l'année suivante par le Labrador West Health Centre.)

Un homme courageux, une situation extrême et des gestes héroïques : voilà de quoi légendes et histoire sont composées.