Danse au Canada | l'Encyclopédie Canadienne

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Danse au Canada

De manière très générale, le mot « danse » est utilisé pour décrire le comportement humain caractérisé par des mouvements expressifs, et non purement fonctionnels, du corps.
Don Quichotte
Le danseur Kevin Pugh (avec la permission du Ballet national du Canada).

De manière très générale, le mot « danse » est utilisé pour décrire le comportement humain caractérisé par des mouvements expressifs, et non purement fonctionnels, du corps. Dans certaines conditions bien précises, des mouvements de piéton tels marcher, ramper, courir ou sauter peuvent être considérés comme des mouvements de danse. Ce sont les motivations sociales, culturelles, philosophiques, spirituelles, religieuses et affectives et intellectuelles qui distinguent la danse d’un mouvement purement fonctionnel. Parce que la danse est une expression culturelle, ce qui définit la danse est relié à la culture et diverses manifestations de danse abondent partout dans le monde. La danse se produit dans divers environnements, que ce soit sur une scène à l’italienne, dans des décors populaires, au cinéma ou dans des œuvres in situ. Ces caractéristiques peuvent alors s’appliquer à la danse canadienne.

La danse est une ancienne pratique humaine qui pourrait avoir commencé comme une réponse instinctive aux cycles naturels tels que celui du jour et de la nuit ou les battements du cœur humain. Cela explique peut-être sa nature souvent rythmée, selon le contexte. La danse naît des mêmes pulsions qui ont mené à la création de la musique et, si elle n'est pas invariablement accompagnée de musique, on ne sait pas encore laquelle des deux expressions a précédé l'autre. Aussi longtemps que le Canada a abrité des êtres humains, il a connu la danse ou du mouvement organisé comme forme d’expression culturelle humaine.

Bien avant l'arrivée des explorateurs d'outre-Atlantique, la danse constitue un aspect important de la vie sociale, religieuse et rituelle des Autochtones. La première mention écrite à ce sujet se trouve dans le journal de Jacques Cartier, qui rapporte, en 1534, avoir été approché à l'embouchure du Saint-Laurent par sept canots transportant des Sauvages... qui dansaient et manifestaient leur joie. Les explorateurs et les pionniers ultérieurs feront souvent mention, eux aussi, de multiples formes de danses indiennes dans leur journal, mais avec une compréhension culturelle ténue de ce que ces danses représentent pour ces peuples autochtones.

Malgré l'impact de siècles de colonisation et d'immigration, les Autochtones du Canada ne gardent encore que de vagues notions de leur tradition de danse autrefois si riche. Étant donné l'indifférence souvent hostile des colons européens envers les cultures autochtones qu'ils perturbent et déplacent, et l'évolution très différente de la danse dans les différentes cultures des colons, il n'est guère étonnant que ces danses peinent à avoir de l'influence sur le développement de la danse théâtrale au Canada français et anglais. En effet, les danses indiennes sont censurées par les colonisateurs; par exemple, le gouvernement canadien limite la pratique du Potlatch, une cérémonie constituée de deux séries de danses pratiquées par les Kwakwaka’wakw vers la fin du XIXe siècle et le début du XXe; des lois en interdisant la pratique sont instaurées dans le but de casser la culture des Autochtones et pour faire assimiler aux membres des communautés les pratiques occidentales. Cependant, vers la fin du XXe siècle, la danse traditionnelle et ses variantes modernes deviennent un élément important de la culture de plusieurs collectivités autochtones du Canada, tout comme un investissement dans la réappropriation et la revitalisation des danses des Premières Nations pour les futurs auditoires. Les danseurs contemporains d’origine autochtone continuent d’explorer les racines des formes de danses indiennes par l’entremise de chorégraphies contemporaines et de ballet. Ils le font tout en vivifiant les histoires folkloriques traditionnelles et en travaillant avec les communautés des Premières nations pour apporter des points de vue diversifiés sur leurs propres histoires et tout en maintenant une tradition qui a déjà été menacée par la politique coloniale du pays. Parmi ces artistes, on compte Santee Smith et sa compagnie Kaha:wi Dance Theatre (Ontario) et Raven Spirit Dance (Colombie-Britannique). Même dans le cadre d’un ballet, la danse au pays aborde la question des Premières Nations; Going Home Star — Truth and Reconciliation (2014) du Royal Winnipeg Ballet chorégraphié par Mark Golden et d’après une histoire écrite par Joseph Boyden, traite des abominables atrocités commises contres les Autochtones, y compris leur séquestration et leur abus dans les pensionnats.

Au cours du XXe siècle, des chorégraphes non autochtones tentent parfois de créer des danses inspirées et dérivées du folklore et des mouvements autochtones. Le plus souvent, ces efforts constituent au mieux une parodie involontaire, au pire, une expression problématique inhérente facilement perçue comme du racisme. Toutefois, à la fin du siècle dernier, alors que la culture eurocentrique cède la place à une vision plus pluraliste et multiculturelle de la société canadienne, une poignée de chorégraphes modernes chevronnés commencent à se pencher sur les formes de danse autochtones avec une attitude sincère d'humilité et de respect. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des efforts sont entrepris, notamment en Colombie-Britannique par des compagnies de danse comme la Karen Jamieson Dance Company, mais aussi ailleurs, pour explorer le potentiel de l'interaction entre les traditions de danse autochtones et non autochtones au Canada anglais et français.

Influences étrangères de la danse

Le phénomène de la danse en tant que spectacle est très ancien, car il existe dès lors que les séries de mouvements deviennent trop complexes pour que chaque membre de la collectivité les apprenne, ou dès qu'elles sont réservées à quelques rares privilégiés. Ainsi, il devient habituel pour certains de regarder alors que d'autres dansent. En Europe, dès le XVIIIe siècle, la danse perd largement ses fonctions religieuses et rituelles pour devenir une forme de divertissement, et une distinction naît entre la danse théâtrale de plus en plus professionnelle et la danse dans toutes ses autres manifestations. Cette distinction perdure et on peut trouver son reflet dans l'évolution de la danse au Canada.

L'histoire moderne de la danse au Canada commence avec l'implantation de la culture européenne à partir du XVIe siècle. Dans ses dimensions théâtrales et sociales, la danse au Canada reflète les traditions culturelles des immigrés. Le ballet classique, né dans les cours italiennes de la Renaissance, prend forme en France et se diffuse rapidement dans toute l'Europe. Il est donc naturel que les colons français au Canada aiment le ballet. En Nouvelle-France, au XVIIe siècle, on assiste à divers spectacles rudimentaires, souvent des tableaux historiques ou des bals masqués, qui allient jeu et musique. Avec l'évolution de la technique et du contenu du ballet, les troupes itinérantes gagnent l'estime du public.

Les Français, et plus tard les Britanniques, débarquent avec leurs danses de société, mais malgré la présence de maîtres de danse dans les principaux lieux d'établissement des colons à partir du milieu du XVIIIe siècle, les présentations de danse théâtrale sont généralement importées. Cette tendance s’est certes poursuivie durant le XXe siècle, à mesure que des immigrants de divers pays se transplantent et créent de nouveaux emplois dans un Canada qui se diversifie de plus en plus, en particulier dans les grands centres comme Toronto, Montréal et Vancouver. Alors que certains continuent de pratiquer les traditions établies, d’autres créent des œuvres modernes de fusion qui sont un amalgame du vocabulaire des anciens et des nouveaux mouvements et qui englobent une vaste étendue des influences culturelles. Kokoro Dance de Vancouver, cofondé par Barbara Bourget et Jay Hirabayashi, est un exemple d’une compagnie dont la production esthétique et la chorégraphie sont influencées par le ballet, le jazz, la danse moderne, la danse totale et la danse contemporaine japonaise connue sous le nom de butoh. À Vancouver, l’œuvre de troupes de danse émergentes ou en milieu de carrière comme The Plastic Orchid Factory, The Tomorrow Collective, The 605 Collective, Move: The Company, et d’autres chevauchent plusieurs formes de mouvement du hip-hop au ballet, aux arts martiaux, au théâtre et transposent le fruit de ce travail dans des théâtres et un cadre extérieur. L’adoption de plusieurs genres témoigne de l’intérêt des danseurs canadiens d’innover sur le plan de la chorégraphie et de la performance et propose une ouverture d’esprit envers l’élargissement de la compréhension de l’auditoire de ce qui définit la danse à l’intérieur et à l’extérieur du cadre théâtral.

Évolution du ballet professionnel au Canada

Louis Renault, qui dirige un studio à Montréal de 1737 à 1749, est l'un des premiers maîtres de ballet connus au Canada. Dans une lettre écrite à Montréal en 1749, une noble française évoque l'enthousiasme de la population locale pour la danse. Elle constate que celui-ci demeure intact malgré l'opposition résolue du clergé, qui persistera au Canada français jusqu'à la Révolution tranquille des années 1960.

La Conquête britannique de 1760 n'entame guère l'appétit local pour la danse. John Durang, un artiste polyvalent souvent cité comme premier danseur professionnel américain, se produit avec un cirque à Montréal et à Québec, durant l'hiver de 1797-1798. Au début du XIXe siècle, l'Anglais George Heriot écrit : « L'ensemble des habitants du Canada aiment beaucoup danser ». En 1816, La Fille mal gardée, de Jean Dauberval, présentée d'abord à Bordeaux en 1789, est présentée pour la première fois à Québec en 1816. Ce ballet demeure l'une des chorégraphies comiques les plus aimées. La célèbre ballerine française, Céleste Keppler, vient en tournée à Québec et à Montréal plusieurs fois durant les années 1820 et 1830.

Ce mode de fonctionnement devient un fait établi. Les immigrants canadiens s'amusent à exécuter les danses de société tirées de leur bagage culturel, mais se contentent généralement d'engager des étrangers dès lors qu'il s'agit de danse professionnelle. Vu sa proximité des États-Unis, le Canada devient une partie intégrante du circuit des tournées en Amérique du Nord. La construction des chemins de fer permet aux troupes itinérantes de pénétrer plus facilement dans l'arrière pays. En 1917, la troupe du Ballet russe de Serge Diaghilev, accompagnée du légendaire Vatslav Nijinski, donne son unique spectacle canadien à Vancouver. Les troupes itinérantes des Ballets russes qui lui succèdent deviennent des attractions populaires partout au pays. En 1942, une représentation des Ballets russes de Monte-Carlo à Winnipeg inspire Arnold Spohr, qui deviendra plus tard un personnage central dans l'évolution du ballet au Canada, à devenir danseur. Durant la première partie du XXe siècle, le public peut voir des danseurs célèbres des Ballets russes, notamment Anna Pavlova, Léonide Massine et Alexandra Danilova. Le Canada reçoit également en tournée Loie Fuller, Ruth St. Denis, Doris Humphrey et Martha Graham, toutes pionnières de la danse moderne aux États-Unis, que ses détracteurs traitent de ballet aux pieds nus. Malgré cela, et même si un public restreint mais assidu d'amateurs de la danse émerge, les possibilités immédiates de carrière dans la danse théâtrale au Canada sont minces. Pourtant, les bases de la danse professionnelle sont établies par un petit groupe de professeurs immigrants au talent remarquable. Il s'agit des Américaines June Roper, à Vancouver, et Gwendolyn Osborne, à Ottawa, et de l'émigré russe Boris Volkoff, établi à Toronto.

De 1934 à 1940, après une carrière glorieuse sur la scène, Roper enseigne à Vancouver. Pédagogue accomplie, son enseignement permet à bon nombre des plus de 70 danseurs sortis de son école de jouir d'une carrière de danseur de comédies musicales ou de revues, alors qu'une douzaine d'entre eux deviennent des danseurs de ballet classique à part entière. Parmi ce nombre, huit entrent dans des troupes importantes basées aux États-Unis. Un des élèves de Roper, le Canadien né en Écosse Ian Gibson, qu'on appellera plus tard le Nijinsky canadien, sera pendant un temps court le danseur principal du Ballet Theatre de New York. Comme, à cette époque, le public en vient à associer le ballet de haute qualité avec la Russie, certains danseurs occidentaux n'hésitent pas à adopter des noms à consonance russe. C'est ainsi que deux élèves de Roper, Rosemary Deveson, du Manitoba, et Patricia Meyers, de la Colombie-Britannique, deviennent respectivement Natasha Sobinova et Alexandra Denisova avec la troupe des Ballets russes de Basil.

Volkoff, né à Schepotievo en 1900, est un Russe authentique. Il se rend à Toronto en 1929, où il travaille initialement à la mise en scène des numéros de danse exécutés entre les projections de films à l'Uptown Theatre du réalisateur et chef d'orchestre Jack Arthur. En 1931, Volkoff ouvre sa propre école et en 1936, il ose l'aventure d'amener ses élèves à l'Internationale Tanzwettspiele des Jeux olympiques de Berlin, où ils exécutent des œuvres de Volkoff inspirées de légendes autochtones du Canada. En 1939, le Volkoff Canadian Ballet fait ses débuts officiels, rivalisant avec un petit groupe de Winnipeg, fondé presque au même moment par des Anglaises récemment immigrées au Canada (Gweneth Lloyd et Betty Farrally), pour le titre légitime de première compagnie canadienne.

Ces deux compagnies, qui se veulent professionnelles, mais sont essentiellement des compagnies d'amateurs, doivent lutter pour ne pas disparaître pendant les années de guerre. En 1948, elles se réunissent à Winnipeg, avec la troupe montréalaise de danse moderne dirigée par l'immigrante allemande-polonaise Ruth Sorel pour le premier de six festivals de ballet canadien qui auraient un effet catalytique. Le deuxième de ces festivals, organisé à Toronto, suivi la même année de la visite du Sadler's Wells Ballet de la Grande-Bretagne, inspire un groupe local de passionnés de la danse à rêver d'une compagnie nationale. La popularité et le succès croissants du Winnipeg Ballet font naître un sentiment d'émulation chez les Torontois, mais leur rêve ne saurait se réaliser sans les dons artistiques et les aptitudes à diriger de la danseuse et chorégraphe invitée Celia Franca, une immigrante d'origine anglaise. Son Ballet national du Canada fait ses débuts en novembre 1951, à la grande consternation du Royal Winnipeg Ballet. La petite troupe des prairies, devenue entièrement professionnelle en 1949, se considère comme la plus éminente compagnie de ballet du Canada, statut qu'elle réaffirme en demandant et en obtenant le droit au titre de ballet royal. En effet, dès 1953, son nom officiel devient le Royal Winnipeg Ballet.

En 1952, la danseuse Ludmilla Chiriaeff, issue d'une famille littéraire russe de Lettonie et élevée à Berlin, arrive à Montréal et travaille immédiatement comme chorégraphe pour la toute nouvelle chaîne française de télévision locale de la Société Radio-Canada. Elle fonde ensuite Les Ballets Chiriaeff, dont elle est chorégraphe et dont la première représentation en direct a lieu en 1954 et, après son grand succès au Festival de Montréal en 1956, la troupe se reforme sous le nomLes Grands Ballets Canadiens (1958) et se concentre sur les représentations en direct. Les sceptiques font valoir que la troupe n'est ni très grande, ni particulièrement canadienne, mais la longévité de Chiriaeff et de sa compagnie prouvera le contraire, la compagnie continuant à produire des œuvres encensées.

Chacune de ces compagnies se dote d'une personnalité distincte faite d'idéaux artistiques, et d'une compréhension pragmatique des goûts et des attentes du public. De 1958 à 1988, sous la direction d'Arnold Spohr, le Royal Winnipeg Ballet se construit en se servant des bases populistes de ses fondateurs. Elle compte rarement plus de 26 danseurs; sa taille compacte lui permettant une grande mobilité, elle est réputée pour ses programmes variés comportant différents styles et thèmes pouvant aller du ballet classique au jazz et des œuvres abstraites aux danses narratives comiques. Le Royal Winnipeg Ballet s'épanouit sous la direction de Spohr, qui encourage les danseurs à travailler fort pour s'améliorer, tout en leur fournissant un répertoire souvent difficile. Spohr est infatigable dans sa recherche de jeunes chorégraphes de talent, dont plusieurs sont canadiens (Brian MacDonald, Norbert Vesak). Leurs créations contribuent au répertoire original de la compagnie qui la rend irrésistible aux diffuseurs de chez nous et d'ailleurs. En 1965, cette compagnie novatrice devient la première du Canada à se produire à Londres. Trois années plus tard, elle triomphe à Paris, à Leningrad et à Moscou. En 1972, elle fait des tournées en Australie, en Amérique du Sud et en Asie.

À Londres déjà, Celia Franca fait partie d'un mouvement progressiste dans le monde de la danse classique britannique. Les chorégraphies qu'elle signe sont considérées comme des œuvres novatrices. Certains prétendent qu'elle aurait aimé poursuivre cette direction artistique plutôt audacieuse au Canada. Mais elle coule le Ballet national du Canada dans le moule de son ancienne compagnie, le Sadlers's Wells (plus tard, le Royal) Ballet, proposant la version complète des grands classiques en même temps que des programmes mixtes de chefs-d'œuvre du XXe siècle. On accuse parfois Mme Franca de négliger les chorégraphes du terroir, même si la compagnie donne des chances à plusieurs Canadiens sous sa direction (1951-1974). Le plus notable de ce nombre est Grant Strate, le premier chorégraphe résident du Ballet national. Sous la direction de Mme Franca, la compagnie fera la tournée de l'Europe, du Canada et des États-Unis. Elle frôle la faillite en 1972, avec l'arrivée du célèbre transfuge et superstar soviétique Rudolf Nureyev. Toutefois, sa mise en scène et sa prestation dans une version opulente de la Belle au bois dormant propulsent la compagnie au-devant de la scène mondiale, donnant en même temps un sérieux coup de pouce à la carrière de jeunes danseurs de la compagnie comme Veronica Tennant, Karen Kain et Frank Augustyn.

Jusqu'en 1974, année où elle prend sa retraite en tant que directrice artistique des Grands Ballets Canadiens, Ludmilla Chiriaeff poursuit sa vision éclectique, rejetant souvent les œuvres traditionnelles afin de créer un répertoire original de la première œuvre à la dernière. Sous Chiriaeff, les Grands Ballets Canadiens commencent à amasser une collection impressionnante d'œuvres du grand chorégraphe russo-américain George Balanchine. Le retour au Canada du chorégraphe Fernand Nault, qui intègre les Grands Ballets Canadiens en 1965, et les apports de Brian Macdonald, qui succède à Ludmilla Chiriaeff en tant que directeur artistique (1974-1977) donnent à la compagnie sa saveur particulièrement canadienne. La deuxième mise en scène par Nault de Carmina Burana (la première a lieu en 1962) à Montréal dans le cadre d'Expo '67 et son adaptation au ballet de Tommy, le fameux opéra rock du groupe des années 1970 The Who, comptent parmi les plus grands succès des Grands Ballets Canadiens.

Ces trois grandes compagnies, respectivement de Winnipeg, de Toronto et de Montréal, et les écoles professionnelles qu'elles ont créées sont la fondation même du ballet professionnel canadien, sur laquelle viendra se construire une culture vivace et diversifiée du ballet professionnel grâce au financement du Conseil des Arts du Canada.

Le professionnalisme de la danse moderne au Canada

Vers le milieu des années 1960, en plus du ballet professionnel, on voit l'émergence de troupes modernes telles que le Groupe de la Place Royale, de Montréal, les Winnipeg's Contemporary Dancers et le Toronto Dance Theatre. Comme les grandes compagnies de ballet, elles ont une fonction éducative. Ensemble, elles contribuent au développement de la danse au Canada, ce qui coïncide avec une période intense d'intérêt international pour cette forme d'art, période communément appelée « explosion de la danse » et avec un nouveau climat social au Canada.

Les années 1960, une époque de libéralisation sociale et intellectuelle dans une grande partie du monde occidental, ont brisé le lien étroit entre le Canada moderne et son passé « comme il faut ». L'art axé sur le corps attire un nouveau public plus réceptif, de nouveaux spécialistes et est mieux accepté. La disponibilité du financement public au fédéral et son accroissement au provincial créent des occasions et stimulent une croissance explosive de la danse théâtrale au Canada. Les chorégraphes disposent de la liberté nécessaire pour créer des œuvres dans lesquelles la forme est le contenu; le non littéral et l'abstrait sont de mieux en mieux reçus.

Le temps que les compagnies de ballet professionnelles émergent au Canada, la première vague du mouvement de danse moderne, elle-même une tentative pour sortir la danse de ce qui était vu comme l'académisme rigide du ballet, a déjà sérieusement évolué. Comme pour le ballet, les Canadiens voient d'abord les influences externes, européennes et américaines, comme une inspiration et des guides modernistes.

Elizabeth Leese et Ruth Sorel, toutes deux exposantes à l'école de danse moderne d'Allemagne, ouvrent des studios à Montréal au début des années 1940. Leur travail ouvre la voie aux danseurs montréalais qui émergent lors de la révolution culturelle déclenchée par le Refus global, manifeste publié en 1948 qui exprime l'émancipation d'artistes qui protestent contre les contraintes religieuses et sociales et aident à faire de la ville un terrain fertile pour les innovations dans le domaine de la danse.

Trois femmes qui sont à l'origine de la danse moderne à Montréal, Françoise Sullivan, Jeanne Renaud et Françoise Riopelle, sont associées au mouvement du Refus global. Chorégraphe à partir de la fin des années 1940 jusqu'au début des années 1950, Sullivan se tourne ensuite vers la sculpture et la peinture pour revenir à la chorégraphie à la fin des années 1970. Elle fonde alors sa propre compagnie et transmet l'influence surréaliste à une nouvelle génération de chorégraphes québécois. Quant à Jeanne Renaud et à Françoise Riopelle, elles créent une troupe de danse moderne en 1962, à Montréal, après un séjour de plusieurs années à Paris. En 1966, cette troupe devient, sous la direction de Jeanne Renaud et de Peter Boneham, danseur de New York, le Groupe de la Place royale, une compagnie qui acquiert la réputation d'être l'une des troupes nationales les plus audacieuses en expérimentation et, depuis son déménagement à Ottawa en 1977, elle continue d'être le berceau d'une nouvelle vision dans le domaine au Canada.

À Toronto, Bianca Rogge et Yone Kvietys, tous deux de l'Europe orientale, sont des pionniers de la danse moderne. Au début des années 60, un des étudiants de Leese, Nancy Lima Dent, se joint à Rogge et à Kvietys pour produire les premiers festivals de danse moderne. Plus tard, Judy Jarvis, une étudiante canadienne de Rogge, étudie en Allemagne avec la grande pionnière de la danse moderne, Mary Wigman. Dès son retour à Toronto, Jarvis ouvre sa propre compagnie qui, tout au long des années 70, transmet les principes de l'école européenne.

La danse moderne américaine commence à exercer son influence au milieu des années 60 lorsque Patricia Beatty, qui a étudié aux États-Unis avec Martha Graham et dansé avec Pearl Lang, retourne à Toronto et fonde le New Dance Group of Canada. En 1968, la toute nouvelle compagnie Toronto Dance Theatre absorbe le New Dance Group of Canada et Beatty en devient codirectrice avec deux autres disciples de Martha Graham, soit le Canadien David Earle et l'Américain Peter Randazzo, ex-membre de la compagnie de Graham. Entre-temps, Rachel Browne, une danseuse américaine qui s'est produite pendant plusieurs saisons avec le Royal Winnipeg Ballet, se recrée en tant que moderniste, en grande partie selon la tradition américaine. En 1965, elle fonde les Winnipeg's Contemporary Dancers, une troupe avec un répertoire de danse moderne qui exécute ses propres œuvres ainsi que celles de plusieurs éminents chorégraphes étrangers.

À partir de 1970, des départements de danse émergent dans plusieurs universités canadiennes et offrent une formation artistique comportant des études en chorégraphie, en histoire, en théorie, en critique, en thérapie et en anthropologie. Le premier de ces départements, fondé par Grant Strate à l'Université York à Toronto, joue un grand rôle dans la structure du développement futur de la danse au Canada. Bon nombre de ses diplômés, notamment Christopher House, Carol Anderson, Holly Small, Jennifer Mascall, Tedd Senmon Robinson et Conrad Alexandrowicz, ont des carrières remarquables.

Strate répond à un besoin chronique de nouveaux chorégraphes en lançant la première de plusieurs séries irrégulières de séminaires en chorégraphie à l'échelle nationale à York. Bien que les possibilités officielles de formation des chorégraphes soient rares partout dans le monde de la danse, diverses initiatives de mentorat au Canada, telles que celles fournies par Le Groupe de la Place Royale et le Ballet Jörgen de Toronto, de concert avec une série d'ateliers sur la chorégraphie organisée par des compagnies partout au pays, aident à former une nouvelle génération de chorégraphes et danseurs canadiens.

Le développement de la danse au Canada, qui au cours des années 1960 voit naître plusieurs compagnies, y compris l'Alberta Ballet de Ruth Carse à Edmonton, s'accélère à partir des années 1970.

À Toronto, des troupes de danse contemporaine populaires telles que le Danny Grossman Dance Theatre et Desrosiers Dance Theatre émergent en 1977 et en 1980 respectivement. À Vancouver, lesAnna Wyman Dancers est créée en 1971 et, en 1974, après près d'une décennie d'existence au jour le jour, Paula Ross Dancers, dont l’esthétique comprend du ballet et des genres modernes pour faciliter l’exploration de thèmes sociaux comme les Autochtones qui sont privés du droit de vote, commence à recevoir du financement public.

Montréal commence à se positionner comme un foyer de créativité en danse avec la fondation, en 1968, du Groupe Nouvelle Aire, dont plusieurs des associés et membres, notamment Édouard Lock (La La La Human Steps), Ginette Laurin (O Vertigo) et Paul-André Fortier (Fortier Danse Création), fondent leurs propres compagnies. L'importance de Montréal dans le monde de la danse contemporaine est symbolisée de façon vivante par le lancement, en 1985, de l’ambitieux Festival International de Nouvelle Danse, maintenant biennal.

Plus tard, la formation de EDAM (Experimental Dance and Music) à Vancouver par Peter Bingham (qui est toujours à la tête de l’organisation), Peter Ryan, Lola MacLaughlin, Ahmed Hassan, Jennifer Mascall, Barbara Bourget et Jay Hirabayashi allait mener à plusieurs qui sont devenus et qui continuent à servir de rencontres pour le milieu de la danse à Vancouver. Lola Dance (qui a poursuivi ses activités jusqu’à la mort de Lola MacLaughlin), Kokoro Dance (Jay Hirabayashi et Barbara Bourget), Mascall Dance (Jennifer Mascall) et EDAM (Peter Bingham) sont devenues des maisons d’éducation et de performance pour une nouvelle génération d’artistes émergents.

En 1973, la Dance in Canada Association (DICA) est créée à titre d'organisme de service national pour créer un sentiment communautaire et mettre l'accent sur la diversité des efforts consacrés à la danse partout au pays. Par le biais de ses bulletins, de son magazine et de ses conférences annuelles qui incluent un festival éclectique de représentations, la DICA cherche à unir la communauté. Au contraire, par inadvertance, elle la divise.

Problèmes croissants

Au milieu des années 1970, le Conseil des Arts du Canada et certains organismes semblables de financement public à l'échelle provinciale voient leurs ressources diminuer à cause de l'économie qui s'effondre et d'une demande toujours croissante de financement. La communauté de danse dynamique qui n'existerait pas sans le financement du Conseil des Arts du Canada comprend alors, avec colère, qu'elle dépend de son patron public, l'accuse de favoritisme et d'élitisme et essaie d'alimenter l'évolution régionale et esthétique de la forme artistique. La DICA est tenue pour responsable de la situation et devient l'antichambre des exclus et des désavantagés. En réponse, les huit institutions « supérieures » qui reçoivent un soutien continu du Conseil abandonnent la partie pour protéger leurs propres intérêts dans un nouvel organisme de service, l'Association canadienne des organisations professionnelles de la danse. Les failles présentes dans la communauté de danse canadienne qui éclatent au grand jour lors d'un désaccord à la conférence de la DICA en 1977 à Winnipeg, prennent des années à disparaître. Elles s'estompent à la fin de la période d'expansion et de turbulence et au moment où la danse, en tant que forme d'art bouillonnant, fait face à de plus en plus de défis de toutes sortes. La DICA se démène, avec une efficacité décroissante, au début des années. Son héritage durable est le Festival Danse Canada lancé en 1987 et qui est plus organisé et préparé que les représentations parfois délabrées qui accompagnaient jusqu'ici les conférences annuelles de la DICA. Le festival a lieu tous les deux ans sous l'égide du Centre national des Arts à Ottawa. L'Association canadienne des organisations professionnelles de la danse survit un peu plus longtemps mais, comme le financement destiné aux organismes de service dans le domaine des arts disparaît, elle tombe également en désuétude.

Cela ne signifie pas que les organisations professionnelles de danse au Canada se sont éteintes avec la DICA. En effet, à partir des années 1980 jusqu’au nouveau millénaire, le pays voit l’établissement et la persévérance d’organisations et d’invividus qui continuent de contribuer au milieu de la danse sous la forme de publications, d’enseignement, de soutien de danseurs à la retraite et de capturer des images et d’archiver des moments de l’histoire de la danse au Canada. Le milieu canadien de la danse a cherché à légitimer et à professionnaliser par l’établissement d’organisations ayant un intérêt administratif et collectif. Parmi celles-ci, on retrouve la Canadian Alliance of Dance Artists (CADA) et l’Assemblée canadienne de la danse (ACD). Le Centre de ressources et transition pour danseurs (CRTD) avec des sections à Toronto, Vancouver et Montréal, aide les danseurs en fin de carrière à faire la transition vers une nouvelle carrière. La société canadienne d’études en danse, est une organisation académique centrée sur la recherche dédiée à la promotion de bourses canadiennes en danse et accueille des colloques deux fois par année dans les grandes villes canadiennes. Un autre exemple est Dance Collectio Danse, des archives et un musée vivant des artefacts de danse nationaux. Sa mission est de préserve et de disséminer un long chapitre de l’histoire culturelle de la nation qui sinon passerait inaperçue. Ces établissements soutiennent à la fois le débat mené par les danseurs et les administrateurs pour favoriser une écologie de la danse qui soit durable et saine et offrent des ressources.

Le Canada accueille aussi plusieurs programmes de formation en danse. Quelques établissements, dont l’Université Concordia, l’Université Simon Fraser, l’Université Ryerson, le Collège George Brown et l’Université York, offrent des diplômes ou des certificats en performance de danse et en étude de la danse et qui accueillent les facultés sont submergés de recherches originales, de publication de nouveaux travaux et de créations de nouvelles chorégraphies. Le programme de danse de l’Université York, la première à offrir un doctorat en étude de la danse au pays et la première à présenter un baccalauréat ès arts, un baccalauréat spécialisé, une maîtrise en beaux-arts et une maîtrise dans le même domaine, influence depuis longtemps la croissance du milieu de la danse grâce à sa faculté active et sa longue liste de diplômés. Le York Dance Review, publié dans les années 1970, était un véhicule permettant à ceux qui écrivent sur la danse d’affiner leur métier et d’enrichir la discussion présentée par les journalistes spécialisés dans la danse du journal à l’époque comme Michael Crabb, William Littler, Laretta Thistle, Lawrence Gradus, John Fraser, Graham Jackson, Susan Cohen et plus tard, Paula Citron, Carol Anderson, Dierdre Kelly, Megan Andrews, Philip Szporer, Kathleen Smith et bien d’autres. Le Canada a connu sa juste part de publications canadiennes consacrées à la danse présentant des articles et des critiques axés sur les enjeux. Au fil de trois décennies, des sources précises sur la danse comprennent Dance Collection Danse Magazine, Dance International, Dance in Canada, Dance Connection et The Dance Current, cette dernière demeure la première source d’information au pays pour des nouvelles et des points de vue sur le milieu de la danse au Canada.

La scène contemporaine

Malgré le ralentissement de l'« explosion de la danse » internationale et la disparition de plusieurs petites compagnies canadiennes et des écoles telles que la Regina Modern Dance Works, la Main Dance de Vancouver, la Toronto Independent Dance Enterprise et la Paula Ross Dancers et The Anna Wyman Dance Theatre, la danse théâtrale au Canada continue d'évoluer et de se diversifier. Puisque la production d’art est la réflexion d’une culture ou d’une société, et que le paysage canadien continue de changer avec l’arrivée des différentes visions du monde, des cultures et des pratiques sociales, le milieu de la danse contemporaine reflète aussi ces changements. Il y parvient en réduisant ses activités et en s'adaptant sans sacrifier le dynamisme ou l'innovation artistique.

Les artistes qui travaillent seuls tels que Marie Chouinard et Margie Gillis de Montréal, Crystal Pite de Vancouver et Peggy Baker de Toronto, sont acclamés sur la scène internationale pour leur travail chorégraphique. Des danseurs et des chorégraphes indépendants et ambitieux et des troupes continuent de survivre et de prospérer sur le plan artistique en travaillant seuls, en dehors des limites coûteuses et souvent encombrantes de l’organisation d'une compagnie officielle. Cette nouvelle génération s'accommode de plus en plus difficilement des distinctions esthétiques traditionnelles et puise librement dans un bassin de possibilités créatives en côtoyant tous les types de danse, allant du jazz et du hip-hop à l'expressivité minimaliste du butoh japonais et à des traditions diverses asiatiques. Les danseurs indépendants explorent librement des collaborations utiles avec des musiciens, des cinéastes et des décorateurs d'expérimentation. Le travail de ces créateurs entreprenants en danse est reconnu au cours du festival annuel Fringe Festival de Toronto, de Dancing on the Edge de Vancouver, de Dusk Dances et d'événements semblables moins grandioses dans d'autres villes.

Au début du XXIe siècle, les problèmes de financement continus et les goûts changeants du public freinent la croissance de la danse professionnelle au Canada. Pourtant, la culture de la danse au pays est devenue plus riche sur le plan de la création avec l'émergence et l'acceptation croissante des traditions au-delà de la tendance européenne et nord-américaine, particulièrement celles de l'Asie méridionale.

Menaka Thakkar, Roger Sinha, Lata Pada, Hari Krishnan, Jai Govinda, Janak Khendry et Roger Sinha aident tous à l'acceptation à grande échelle des traditions liées à la danse de l'Asie méridionale et explorent volontiers les façons de les intégrer efficacement aux formes occidentales. Sur la côte Ouest, les compagnies de danse telles que Wen Wei Dance, Kokoro Dance et Co. ERASAGA explorent parfois la fusion de la culture de la côte du Pacifique et des cultures européenne et nord-américaine qui caractérise le Vancouver moderne. La danse ukrainienne (comme les Shumka Dancers d’Alberta) et afro-antillaise (C.O.B.A et Ballet Creole de Toronto), le flamenco espagnol (Flamenco Rosario de Vancouver et Esmeralda Enrique Spanish Dance Company de Toronto) et même la danse du ventre ont tous une place légitime dans la mosaïque qui constitue le visage artistique de la danse au Canada aujourd'hui. Bien qu’ils aient été considérés bien éloignés de la réalité de l’esthétique de la danse canadienne-française du milieu du XXe siècle, ces praticiens sont aujourd’hui considérés comme étant des références immuables dans le panorama canadien de la danse.

La danse au pays est le produit de siècles d'importation, d'adaptation et d'assimilation culturelles. Le Canada peut maintenant offrir à ses artistes en danse la formation et les possibilités de représentation qui leur permettent de poursuivre des carrières pleinement satisfaisantes et variées dans leur propre pays, un contraste impressionnant avec la situation qui prévalait il y a un demi-siècle. De nos jours, les danseurs ont la chance de pratiquer et de se spécialiser dans plusieurs genres de danses, du ballet au bharata natyam. Cette accessibilité à plusieurs formes de danse témoigne de l’ouverture d’esprit du Canada au niveau national et de la diversité de sa population, en particulier dans les grandes villes comme Toronto, Montréal et Vancouver. Aussi, si le Canada n'a pas engendré un style qui peut être décrit véritablement comme un style national, dans sa diversité extraordinaire et son ouverture aux nouvelles idées, la danse est aussi vivante et essentielle au pays que partout ailleurs dans le monde.

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