Meurtres de la mine Giant | l'Encyclopédie Canadienne

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Meurtres de la mine Giant

Le meurtre de neuf mineurs de fond en 1992 constitue l’une des pires tueries de l’histoire du Canada.

Le meurtre de neuf mineurs de fond en 1992 constitue l’une des pires tueries de l’histoire du Canada. Avec comme toile de fond une grève et un lock-out déjà violents à la mine d’or Giant à Yellowknife, dans les Territoires du Nord-Ouest, neuf travailleurs de remplacement trouvent la mort lorsque leur wagon percute une bombe. Au bout d’une longue enquête policière, le mineur gréviste Roger Warren avoue son crime. Bien qu’il se rétracte par la suite, il est reconnu coupable en 1995. Il est mis en liberté conditionnelle en 2014 après avoir à nouveau admis sa culpabilité.

Mine Giant

Capitale desTerritoires du Nord-Ouest, Yellowknife a littéralement été bâtie sur l’or. Dans les années 1930 et 1940, des mines graduellement ouvertes aux alentours de la baie Yellowknife, sur le Grand lac des Esclaves, mènent à l’établissement de la ville. Exploitée à partir de 1948, la mine Giant produit toujours de l’or plus de quatre décennies plus tard. En 1990, la mine constitue l’un des piliers de l’économie de Yellowknife, employant 230 employés syndiqués, chacun gagnant en moyenne 77 000 $ par an.

Cette même année, la mine est acquise par Royal Oak Mines Inc., une société cofondée et dirigée par Peggy Witte, une dirigeante minière intraitable. En 1991, la revue spécialisée canadienne Northern Minerconfère à Peggy Witte le titre de « Mineur de l’année » pour avoir bâti Royal Oak à partir de rien et en avoir fait le sixième producteur d’or du Canada.

En 1992, Royal Oak avance que la mine Giant n’est plus rentable. Les plus riches filons de minerai en sont déjà épuisés, et le cours de l’or est passé sous la barre des 350 dollars américains de l’once, bien loin de 1980, où le cours dépassait les 600 dollars américains. Déterminée à rendre la mine rentable à nouveau, Royal Oak procède à la réduction des avantages sociaux pour les mineurs syndiqués ainsi qu’au raffermissement de la discipline en milieu de travail, tout en exigeant une réduction de salaire de six pour cent.

Les travailleurs de Giant sont représentés par la section locale 4 de l’Association canadienne des travailleurs de fonderie et ouvriers assimilés (ACTFOA), un petit syndicat militant entretenant une profonde méfiance du nouveau propriétaire de la mine et de sa dirigeante. Malgré la détérioration des relations patronales-syndicales depuis la prise de contrôle par Royal Oak, les deux parties négocient un nouvel accord de contrat en avril 1992, en vertu duquel le salaire des mineurs est désormais lié aux fluctuations du cours de l’or. Alors que le comité de négociation de l’ACTFOA recommande aux syndiqués d’accepter le nouveau contrat, 72
% d’entre eux votent plutôt pour la grève.

Grève et lock-out

D’entrée de jeu, le conflit de travail s’envenime et les attitudes se durcissent de part et d’autre. Face à la grève prévue par le syndicat le 23 mai, la société met les syndiqués de l’ACTFOA en lock-out la veille, tout en effectuant des préparatifs pour maintenir la mine en exploitation à l’aide de travailleurs de remplacement, ce qui n’a pas été vu au Canada depuis un demi-siècle. Bien qu’il soit illégal dans un certain nombre de provinces, l’emploi de briseurs de grève est permis en vertu des lois du travail fédérales qui régissent alors les Territoires du Nord-Ouest.

Les membres du syndicat mettent en place des piquets de grève à l’entrée du site de la mine, ainsi que des écriteaux syndicaux sur lesquels Peggy Witte est surnommée « Miss Piggy » (Piggy la cochonne) et d’autres directeurs de la mine sont tournés en dérision. Pour sa part, l’entreprise recrute et fait venir à Yellowknife des travailleurs de remplacement de partout au Canada, les transportant parfois par hélicoptère au-dessus des piquets de grève jusqu’au site, où ils ont été logés et nourris dans des abris temporaires. Ces tactiques nuisent à la grève et provoquent la furie des syndiqués, qui insultent copieusement les travailleurs de remplacement aux portes d’entrée et les empêchent de dormir la nuit venue au moyen d’avertisseurs à air comprimé.

La première nuit de la grève, les syndiqués lancent des pierres sur les bâtiments de la mine, agressent un garde de sécurité, incendient une cabane et renversent un pylône alimentant la mine en électricité. La tension ne s’estompant pas, Royal Oak procède à l’embauche d’équipes de gardes Pinkerton, qui à leur tour intimident les grévistes. La Gendarmerie royale du Canada (GRC) réagit en mobilisant une escouade antiémeute d’Edmonton. En juin, une foule de grévistes cagoulés prennent d’assaut les installations de la mine, brisant des fenêtres et agressant les gardes Pinkerton, forçant les policiers à tirer des coups de feu d’avertissement. Royal Oak congédie 38 mineurs sous prétexte qu’ils auraient pris part à l’émeute.

Malgré les appels répétés du gouvernement territorial pressant Ottawa de résorber la violence en imposant un arbitrage exécutoire pour les deux parties, le gouvernement fédéral refuse d’intervenir dans ce qu’il qualifie de différend « privé ».

Vandalisme

Les mineurs grévistes Al Shearing et Tim Bettger font partie d’un groupuscule composé des membres les plus radicaux de l’ACTFOA qui se surnomment les « Cowboys cambodgiens ». À plusieurs reprises, ils entrent par effraction dans la mine, allant jusqu’à laisser des graffitis menaçants dans un tunnel souterrain lors d’une incursion, et à faire exploser l’antenne parabolique de la mine lors d’une autre. Au cours d’une troisième entrée par effraction, ils font exploser une bombe dans un bâtiment contenant l’air comprimé qui ventile les tunnels de la mine. Cette bombe se veut une mise en garde à Royal Oak : les grévistes peuvent faire fermer la mine comme bon leur semble.

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Yellowknife le soir
On a donné à cette ville le nom de la bande indienne de Yellowknife qui vit dans la région (photo de Brian Thompson/avec la permission du gouvernement des Territoires du Nord-Ouest).

À mesure que l’été avance, le conflit soulève des inquiétudes dans la communauté et divise les habitants de Yellowknife. Même des familles de mineurs auparavant proches et solidaires se trouvent à couteaux tirés, en raison d’une poignée de membres de l’ACTFOA qui franchissent les piquets de grève et retournent au travail, se joignant aux équipes de travailleurs de remplacement dans la mine. Les résidents écrivent des lettres aux journaux locaux exhortant à mettre fin à la violence avant que « quelqu’un ne soit tué ».

Tuerie

À 8 h 45 le 18 septembre1992, un wagon transportant neuf mineurs à 750 mètres de profondeur déclenche une bombe posée aux abords des rails. La violente explosion qui en résulte crée une onde de choc dans l’ensemble de la mine et tue instantanément neuf hommes, leurs restes créant une horrible scène le long du tunnel.

Six membres de l’ACTFOA ayant traversé les piquets de grève pour retourner au travail comptent au nombre des morts : Chris Neill, 29 ans, Joe Pandev, 55 ans, Norm Hourie, 53 ans, David Vodnoski, 25 ans, Shane Riggs, 27 ans, et Vern Fullowka, 36 ans. Les trois autres victimes sont des travailleurs de remplacement : Robert Rowsell, 37 ans, Malcolm Sawler, 38 ans, et Arnold Russell, 41 ans.

Alors que les nouvelles de l’explosion gagnent les piquets de grève et la communauté, la tension à Yellowknife atteint son paroxysme. Des rixes éclatent dans les rues. Par le truchement d’appels téléphoniques et de graffitis sur les locaux syndicaux, les grévistes de l’ACTFOA sont accusés de meurtre. De nombreux syndiqués croient quant à eux que l’explosion est accidentelle et est attribuable au laxisme de Royal Oak en matière de sécurité.

Sur place, des policiers de la GRCdécouvrent un détonateur et d’autres éléments donnant à penser qu’il s’agissait d’une bombe posée délibérément, et non pas d’explosifs miniers de routine ayant éclaté accidentellement. Épaulée par des équipes de détectives venues du sud du Canada, la GRC ouvre une enquête pour meurtre et amorce un laborieux processus d’entrevue de centaines de mineurs en grève, de dirigeants de Royal Oak et de travailleurs de remplacement.

Après un bref arrêt, la mine Giant est rouverte, une semaine à peine après l’explosion. La tragédie a pour effet de raffermir la position de Royal Oak, qui refuse toute négociation visant à mettre fin au conflit de travail tant que le ou les meurtriers n’auront pas été arrêtés.

Roger Warren

Nécessitant l’un des plus grands déploiements d’effectifs de l’histoire de la GRC, la chasse au tueur de la mine Giant dure 13 mois et implique plus de 300 policiers. Les principaux suspects sont les grévistes militants et membres de l’ACTFOA Al Shearing et Tim Bettger, qui ont auparavant déclenché deux explosions de plus petite taille. La police ne recueille néanmoins que peu de preuves tangibles les liant à la tuerie. L’un des rares éléments de preuve utiles consiste en des empreintes fraîches de bottes Kamik de taille 11 dans un puits abandonné menant à la mine, la voie d’accès présumée de l’auteur de l’attentat.

La police croit que les bottes liées à ces empreintes appartiennent au gréviste Roger Warren, qui faisait partie des quelques syndiqués sur les piquets de grève la nuit précédant l’attentat. Roger Warren possède bel et bien une paire de bottes Kamik de taille 11. Les semelles de la paire qu’il montre à la police ont toutefois été abîmées.

Marié et père de deux filles, Roger Warren est à l’époque âgé de 49 ans. Mineur chevronné, il est connu à la mine Giant comme l’« as » pour son habileté à dynamiter et fracasser la roche. Comme tous les membres de l’ACTFOA, il est soumis à plusieurs interrogatoires par la GRC, y compris des tests au polygraphe (détecteur de mensonges) qui s’avèrent peu concluants. Bien que la plupart des enquêteurs ne le considèrent pas comme un suspect de premier ordre, ils estiment qu’il pourrait détenir des renseignements pouvant les mener à l’auteur de l’attentat.

Convaincu de la culpabilité de Roger Warren, le sergent Gregg Martin, un expert en interrogatoires de la GRC, le soumet toutefois à une longue entrevue en octobre 1993. Au cours de celle-ci, Roger Warren exprime son dégoût de la règle rendant légal l’emploi de travailleurs de remplacement, ou « briseurs de grève » comme il les appelle, et avoue avoir posé la bombe ayant causé la mort de neuf hommes. Il mène ensuite les enquêteurs dans la mine pour leur montrer la manière dont il a posé la bombe, en mettant en place des bâtons d’explosifs reliés à un fil-piège activé au passage d’un wagon. Il déclare n’avoir jamais voulu tuer qui que ce soit, mais plutôt d’avoir souhaité déclencher une explosion assez puissante pour effrayer les travailleurs de remplacement tout en embarrassant Royal Oak.

Roger Warren est mis en état d’arrestation. En novembre, alors qu’il est en attente de jugement, le Conseil canadien des relations de travail tient des audiences à Yellowknife relativement au conflit de travail et ordonne peu après la fin de la grève et du lock-out. Dix-huit mois après le début de la grève, 96 % des membres de l’ACTFOA votent en faveur d’un contrat essentiellement identique à celui qu’ils ont rejeté en 1992. Royal Oak met à pied environ un tiers de ses travailleurs de remplacement, et en décembre, 130 grévistes retournent travailler à la mine.

Les grévistes Al Shearing et Tim Bettger ne sont pas du nombre. Ils sont arrêtés puis condamnés pour être entrés dans la mine par effraction et avoir posé les bombes de plus petite taille en 1992. Shearing est condamné à deux ans et demi de prison, et Bettger, à trois ans.

Procès et répercussions

Le procès de Roger Warren pour meurtre s’amorce en septembre 1994. Plusieurs veuves et membres de la famille des mineurs tués prennent place dans la salle d’audience. Roger Warren en surprend plusieurs lorsqu’il rétracte sa confession, disant avoir été déprimé au moment de son dernier interrogatoire et avoir été forcé par la GRC à se confesser. Malgré ces dénégations, on fait voir au jury une vidéo policière montrant Roger Warren qui escorte les enquêteurs sur les lieux de la bombe et explique en détail la manière dont il s’y est pris pour la poser. Au bout de quatre mois de procès, Roger Warren est reconnu coupable de meurtre au deuxième degré et condamné à la prison à vie.

En 1994, la Commission des accidents du travail des Territoires du Nord-Ouest dépose une poursuite civile contre diverses parties, y compris le gouvernement territorial, le syndicat ACTFOA et Royal Oak Mines, demandant une indemnisation en soutien aux familles des neuf victimes, dont 17 enfants. Un jugement de 10,7 millions de dollars est accordé aux familles en 2004. Il est toutefois annulé quatre ans plus tard en vertu d’une décision d’appel, au motif qu’aucune des parties poursuivies n’était responsable des actions de Roger Warren ayant entraîné les décès.

En 1997, Roger Warren fait appel de sa cause criminelle. Sa condamnation est néanmoins maintenue. Derrière les barreaux, il maintient son innocence pendant presque une décennie. Des avocats de l’Association in Defence of the Wrongly Convicted, organisme qui lutte contre les condamnations injustifiées, penchent même sur son cas, sans toutefois entreprendre de démarche pour tenter de le disculper.

En 2003, Roger Warren avoue à nouveau son crime, expliquant qu’il s’est rétracté parce qu’il « ne pouvai[t] pas supporter que [s]a famille puisse croire [qu’il ait] pu faire une chose si stupide ». En 2014, après 18 ans de prison et malgré les objections de certaines des familles des victimes, on lui accorde une semi-liberté, puis une libération totale. Il est alors âgé de 70 ans. « Je suis désolé de toute la douleur que j’ai causée », déclare-t-il lors de son audience de libération conditionnelle.

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