Édition, petites maisons d' | l'Encyclopédie Canadienne

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Édition, petites maisons d'

Traditionnellement, la différence entre les petits éditeurs et les éditeurs commerciaux se situe dans leur importance, leur but et leur idéologie.

Édition, petites maisons d'

Traditionnellement, la différence entre les petits éditeurs et les éditeurs commerciaux se situe dans leur importance, leur but et leur idéologie. Les éditeurs commerciaux sont des entrepreneurs qui s'adonnent à de grandes activités, qui offrent beaucoup de services et qui sont orientés vers les livres grand public rentables. Bien que les petites maisons d'édition ne méprisent pas les profits, elles sont souvent lancées par des auteurs, qui comptent parmi les employés, aux côtés de plusieurs amis. Leur existence remonte aux maisons d'ÉDITION D'ART À CARACTÈRE PARTICULIER, qui produisent des livres à tirage limité montés à la main et imprimés au moyen de presses à l'ancienne. Dans le passé, les petites maisons d'édition étaient principalement associées à des ouvrages expérimentaux et avant-gardistes, puisque leurs auteurs et elles travaillaient à l'extérieur des institutions littéraires. Les petites maisons d'édition dont il est ici question font leur apparition à la fin du 19e siècle en Angleterre et aux États-Unis. La première est Kelmscott Press de William Morris, qui sert d'inspiration à Copeland et Day (Boston), les éditeurs de Bliss Carman, et à Hogarth Press (Londres), dirigée par les auteurs Leonard et Virginia Woolf.

Des années 1930 à 1960

Les petites maisons d'édition font leur apparition au Canada à la fin des années 1930 et au début des années 1940 en tant que filiales des REVUES LITTÉRAIRES DE LANGUE ANGLAISE en raison des coupures imposées par la Grande Crise aux programmes d'édition dans les maisons de Toronto. Les écrivains associés au modernisme s'inspirent de presses expatriées à Paris, comme Shakespeare & Co de Sylvia Beach et Sign of the Black Manikin d'Edward Titus, qui publie No Man's Meat (1931) de Morley Callaghan. Des poètes canadiens fondent de petites revues comme Contemporary Verse et Preview. À Montréal, First Statement Press de John Sutherland, par exemple, ne publie au départ que la revue Northern Review (1943-1956), et le premier livre publié par New Writers' Chapbooks est le recueil de poèmes Here and Now (1945) d'Irving LAYTON. En 1945, les professeurs Alfred Bailey et Desmond Pacey lancent The Fiddlehead (Fredericton) et, en 1952, l'Université du Nouveau-Brunswick inaugure la Fiddlehead Poetry Books Series qui, en 1958, est éditée et publiée par Fred COGSWELL. En 1952, Raymond SOUSTER et Irving Layton lancent la maison d'édition CONTACT (Toronto) en vue de publier leurs poèmes et ceux de Louis DUDEK. Ce dernier entreprend nombre de petits projets d'édition, dont la McGill Poetry Series, qui permet aux lecteurs de découvrir Let Us Compare Mythologies (1956) de Leonard COHEN. En 1953, les poètes montréalais Jean-Guy Pilon, Fernand Ouellette et Gaston Miron forment Les Éditions de l'Hexagone. Influencées par le manifeste de l'artiste Paul-Émile BORDUAS, Refus global (1948), qui réclame le rejet du passé autoritaire dominé par le clergé et les politiciens, les publications Hexagone sont les premières au Québec à exprimer une nouvelle vision de la société et des arts. Jusqu'à la fin des années 1950, lorsque le chansonnier Gilles VIGNEAULT lance Les Éditions de l'Arc (Montréal, 1959) et que William et Alice MacConnell lancent Klanak Press (Vancouver, 1958), les petites maisons d'édition sont presque exclusivement littéraires, et leurs livres sont distribués par douzaines ou centaines. Les petites maisons d'édition deviendront rapidement une importante industrie périphérique dans toute l'Amérique du Nord.

Les années 1960 et 1970

De 1965 à 1975, l'édition canadienne vit plusieurs changements drastiques. Les grandes maisons de Toronto se concentrent de plus en plus sur les titres à grand tirage et rejettent les livres qui ont peu de chances de se vendre à l'échelle nationale. Puisqu'un grand nombre de ces maisons deviennent progressivement des sociétés ouvertes ou des filiales d'entreprises internationales, les décisions en matière d'édition dépendent souvent davantage des possibilités de bénéfice que de la vision d'une personne. En revanche, les propriétaires de petites maisons d'édition contrôlent eux-mêmes tous les aspects de l'édition, du manuscrit jusqu'au livre fini. Le développement de la presse offset et de l'impression informatisée permet de produire des livres peu coûteux et attrayants, la plupart étant des livres de genre populaire.

Trois autres facteurs facilitent ce processus. Tout d'abord, la fondation en 1957 du CONSEIL DES ARTS DU CANADA, qui a pour mandat d'encourager les écrivains et d'aider les éditeurs canadiens, est une bénédiction inattendue pour les petites maisons d'édition. Les subventions du Conseil visent à enrichir la culture et l'identité nationales, mais en réalité, le Conseil des arts du Canada et les autres conseils des arts provinciaux contribuent à décentraliser les activités culturelles elles-mêmes. Ensuite, la perspective d'un nouvel ordre social et politique, qui est tout aussi importante que le rôle du Conseil des arts du Canada, incite nombre de jeunes éditeurs ambitieux, comme André Major, Clyde Rose, May Cutler, Victor-Levy Beaulieu, Dave Godfrey, James Lorimer, Mel Hurtig et David Robinson, à s'aventurer hors des sentiers battus. Bien que ce soit essentiellement la littérature avant-gardiste qui nourrisse la qualité et l'effervescence de l'édition parallèle, l'activisme politique des années 1960 y trouve aussi sa tribune. Cet activisme puise dans des sources tant étrangères que canadiennes. La répression politique en Tchécoslovaquie, les grèves dans les universités françaises et, surtout, les manifestations sur les campus américains concernant le conflit au Vietnam ont une influence similaire à la timidité et à la fierté issues de la RÉVOLUTION TRANQUILLE au Québec après 1960 et à l'euphorie entourant le centenaire de la Confédération en 1967. Enfin, la croissance des universités et des collèges crée pour les livres un nouveau marché, surtout alimenté par la révolution des livres brochés aux États-Unis. Presque en même temps, les écrivains et les lecteurs développent une curiosité pour leur propre partie du monde, ce qui inspire une foule de mémoires, d'histoires locales et d'ouvrages littéraires peu attrayants à l'échelle nationale mais très vendus à l'échelle locale. Les petites maisons d'édition de tout le pays répondent à ces besoins, et rapidement, quelques-unes d'entre elles se débarrassent des connotations négatives du terme « régional ».

Ainsi, une génération tout entière d'écrivains, de professeurs d'université, de journalistes, d'anciens employés de grands éditeurs, de membres de Radio-Canada et de nouveaux dessinateurs-maquettistes établissent de petites maisons d'édition. Beaucoup de ces éditeurs en herbe entreprennent leurs activités dans une maison, un sous-sol ou un garage et transforment leurs tables de cuisine en bureaux de la rédaction. Ils se font aider par des employés à temps partiel et des bénévoles et, parfois, même leurs auteurs les aident pour l'impression et la reliure. Ce qui suit témoigne à peine de la richesse, de la complexité et de l'importance du mouvement des petites maisons d'édition.

Provinces de l'Atlantique

Les petites maisons d'édition des provinces de l'Atlantique restaurent une industrie culturelle et un sentiment d'identité essentiels dans une région où il ne se passe pas grand-chose depuis la fin du 19e siècle. Terre-Neuve est un sujet en or pour les auteurs et les éditeurs. À St John's, Clyde Rose et plusieurs de ses amis à l'Université Memorial lancent Breakwater Books (1973), qui imprime des anthologies sur la culture et folklore de Terre-Neuve-et-Labrador ainsi que des pièces d'Al Pittman et de Michael Cook. That Far Greater Bay (1977) de Ray Guy remporte la Stephen Leacock Memorial Medal for Humour (voirSTEPHEN LEACOCK MEMORIAL AWARD). En vue de réduire la mainmise des éditeurs américains et torontois de manuels scolaires, Breakwater fait son entrée sur le marché provincial des ouvrages pédagogiques. À Charlottetown, Harry Baglole ne parvient pas à vendre son livre sur les ressources régionales à McClelland & Stewart et décide donc de participer à la création de Ragweed Press (1973). Sa propriétaire suivante, Libby Oulton, publie de la poésie, de la fiction, des biographies ainsi que des livres d'histoire et d'arts sur l'Île-du-Prince-Édouard, et son successeur, Louise Fleming, crée la marque Gynergy Books pour les livres de femmes.

La Nouvelle-Écosse compte un grand nombre de petites maisons d'édition. Lesley Choyce, de Pottersfield Press (1973), à Lawrencetown Beach, ville située à l'est de Dartmouth, publie des auteurs des Maritimes, comme Rita Joe et les auteurs noirs de la Nouvelle-Écosse George Elliot Clarke et Maxine Tynes. En 1991-1992, Pottersfield sort Fire on the Water: An Anthology of Black Nova Scotian Writing, un ouvrage en deux volumes de Clarke. À Halifax, William McCurdy crée Petheric Press pour publier des éditions à tirage limité d'ouvrages rares, généralement en rapport avec l'histoire des Maritimes. L'entreprise Nimbus Publishing (1979), lancée par John Marshall, représente d'autres petites maisons d'édition des Maritimes et de l'est des États-Unis. Nimbus réédite des œuvres de Thomas Raddall, comme The Nymph and the Lamp, des livres d'intérêt général, comme The Black Battalion, 1916-1920: Canada's Best Kept Military Secret (1987) de Calvin Ruck, ainsi que des livres de photographie et d'art, dont plusieurs sur l'artiste folklorique Maud Lewis. Un autre éditeur d'Halifax, James Lorimer & Company, fait ses débuts en tant qu'activiste radical à Toronto en 1968, avec des livres de John Sewell, d'Heather Robertson et de James Laxer. Lorimer s'installe à Halifax en 1981 et, avec sa femme Carolyn MacGregor, il continue de publier des livres sur la politique et l'économie ainsi que des manuels scolaires. Lancelot Press, à Windsor et à Hantsport, est fondée par l'ancien ministre William Pope en 1968 et ferme ses portes en 1996.

Au Nouveau-Brunswick, Michael Wardell établit Brunswick Press en 1950 pour promouvoir la culture de la province. Dans les années 1980, Peter Thomas, qui prend la relève de Fred Cogswell à la direction de Fiddlehead Books en 1981, crée la marque Goose Lane Editions pour sa biographie et ses ouvrages de fiction. Maintenant sous la direction de l'éditrice Susanne Alexander, Goose Lane représente aussi plusieurs petites maisons d'édition spécialisées, comme Acadiensis Press, Art Gallery of Nova Scotia et University College of Cape Breton Press (1974). Ces organisations publient des livres, des cassettes, des vidéos et des CD-ROM sur la littérature et les arts. Les titres de Goose Lane vont de The Collected Letters of Charles G.D. Roberts (1989, édité par Laurel Boone) jusqu'à la poésie de Douglas Lochhead, en passant par les livres de fiction de Lesley Choyce et de T.F. Rigelhof. À l'Université de Moncton, centre de formation et médiathèque de la culture acadienne, Raymond Gallant et quelques-uns de ses collègues fondent Les Éditions d'Acadie (1972), première maison d'édition consacrée aux livres de langue française portant sur l'histoire et la littérature acadiennes. Sa première parution est Cri de terre (1973) de Raymond LeBlanc. Le Centre d'études acadiennes de l'Université de Moncton publie des œuvres savantes sur la culture acadienne. En redonnant vie au passé, les petites maisons d'édition poussent les écrivains des Maritimes à déployer de nouveaux efforts créatifs.

Québec

À la fin du 19e siècle, Montréal perd le titre de centre de l'édition et de la distribution d'ouvrages de langue anglaise au profit de Toronto, mais reste le cœur de la production de langue française. Depuis les années 1960, beaucoup de petites maisons d'édition sont fondées en vue de répondre à la demande des deux groupes linguistiques ainsi que des communautés ethniques récemment établies. C'est une époque où les controverses et les incertitudes politiques ont un effet définitivement stimulant sur les artistes et les écrivains. Parti pris (1963-1968), la revue culturelle fondée par André Major et ses amis, ainsi que la maison d'édition Les Éditions Parti pris (1961) encouragent l'utilisation du joual chez les écrivains québécois. Parmi leurs publications littéraires figurent Les Cœurs empaillés, nouvelles (1967) de Claude Jasmin et La Nuit (1971) de Jacques Ferron. Le poète et professeur Gatien LaPointe crée Les Écrits de Forges en 1971 pour publier des poètes nouveaux et inconnus. Tout comme les petites maisons d'ailleurs, les éditeurs de Montréal appliquent depuis les années 1970 les théories postmodernistes à la littérature ainsi qu'aux écrits politiques et sociaux. Les Éditions de l'Aurore (1973), entreprise de Victor-Levy Beaulieu, ne survivent que deux ans aux problèmes financiers, mais les projets suivants de Beaulieu, VLB Éditeur (1976-1984) et Les Éditions Trois-Pistoles, se révèlent plus résistants. Il publie un grand nombre de ses propres œuvres, dont Don Quichotte de la démanche (1974), Monsieur Melville (1978) et Beauté féroce : une histoire d'amour pas comme les nôtres (1998). Des conflits avec Les Éditions du Jour poussent un groupe d'auteurs, dont Marie-Claire Blais et Jacques Godbout, à fonder la coopérative d'édition Les Quinze. Nouvelle Optique se spécialise dans les livres traitant de la condition des femmes. La poète et romancière Nicole BROSSARD est publiée par Les Quinze et Nouvelle Optique, ainsi que par sa propre maison d'édition, L'Intégrale éditrice (1982), qui se spécialise dans les ouvrages féministes.

Les petites maisons d'édition permettent aux écrivains anglophones du Québec de retrouver leur voix. Parmi les premières maisons figurent Harvest House, lancée par Maynard et Ann Gertler en 1960, ainsi que Tundra Books (1967), maison de renommée internationale établie par May Cutler pour publier des livres pour enfants. Cutler publie A Prairie Boy's Winter de William Kurelek, artiste de la Saskatchewan, et Mary of Mile 18 d'Ann Blades. De plus, beaucoup de livres publiés par Tundra remportent des prix dans le monde entier. En 1980, le poète Gary Geddes fonde Quadrant Editions en tant qu'éditeur d'ouvrages par abonnement, mais la grève de la poste en 1981 anéantit pratiquement ses activités. Andrew Wheatley en devient le propriétaire en 1982, et cinq ans plus tard, l'entreprise est confrontée à des problèmes avec les auteurs au sujet des redevances et avec le Conseil des arts du Canada. En 1986, le poète et critique Steve Luxton reprend DC Books, maison fondée en 1965 par Louis Dudek, Michael Gnarowski et Glen Siebrasse sous le nom de Delta Canada. Black Rose Books (1970), sous la direction de Dimitrios Roussopoulos, se spécialise dans les écrits anarchistes. Black Rose publie Manufacturing Consent: Noam Chomsky and the Media de Mark Achbar, livre inspiré du documentaire de l'ONF du même nom. Véhicule Press (1972) est à l'origine une coopérative d'artistes associée à la Véhicule Art Gallery, qui imprime des livres d'art et la poésie de Ken Norris, d'Endre Farkas et d'Artie Gold, en plus de commanditer des lectures de poésie. La maison d'édition Véhicule est fondée par Guy Lavoie et Simon Dardick, mais en 1981, Dardick et sa femme Nancy Marrelli en deviennent les seuls propriétaires et mettent l'accent sur les livres grand public d'intérêt local ainsi que sur la fiction et le jazz. Norris et Farkas dirigent également The Muses' Company, qui compte parmi ses publications deux anthologies éditées par Farkas, The Other Language (1989) et Québec Suite (1995). Guernica Editions (1978), qui doit son nom à un tableau de Pablo Picasso illustrant les horreurs de la guerre civile espagnole, est lancée par le poète et critique Antonio D'Alfonso et publie des ouvrages sur l'ethnicité et le sexe, comme Duologue on Culture and Identity (1998) de D'Alfonso et Pasquale Verdicchio. Guernica publie aussi des traductions d'écrivains québécois en anglais et en italien ainsi que d'écrivains italiens en anglais. Karen Haughian ouvre NuAge Editions (1986) en tant que projet d'étudiant inspiré par Gary Geddes, et NuAge se spécialise dans les traductions de dramaturges québécois en anglais. En 1983, les maisons d'édition anglophones fondent la Montréal Publishers' Round Table en vue d'améliorer le marketing en dehors de la province et de mieux se faire connaître du gouvernement fédéral.

Ontario

Les petites maisons d'édition de l'Ontario desservent une vaste gamme de marchés. À Sudbury, les Éditions Prise de parole publie des Franco-ontariens, comme le romancier Pierre Paul Karch, le poète Patrice Desbiens et le dramaturge Jean-Marc Dalpé. C'est aussi à Ottawa que se trouve Oberon Press, fondée en 1966 par Michael Macklem et sa femme Anne Hardy, qui encouragent les nouveaux écrivains en publiant des anthologies de nouvelles. Dans leur grand catalogue figurent Where to Eat in Canada de Hardy, des ouvrages de fiction de Hugh Hood, de Marie-Claire Blais et de W.P. Kinsella ainsi que de la poésie de Gwendolyn MacEwen, de bpNichol, de Raymond Souster et de Bronwen Wallace. Glen Clever, de l'Université d'Ottawa, établit Borealis Press (1972), qui publie la poésie et les critiques des débuts de Carol Shields. La région de Kingston comprend beaucoup d'écrivains et d'éditeurs depuis les années 1960. Quarry Press (1965), cofondée par plusieurs poètes de l'Université Queen's à Kingston et appartenant maintenant à Bob Hilderley, est à l'origine le magazine Quarry et reste une maison d'édition majoritairement littéraire, bien qu'elle publie aussi des livres d'art et des histoires locales. Près de Kingston se trouve Camden House (1977), lancée par James Lawrence du magazine Harrowsmith et plus tard reprise par Frank Edwards. Puis, en 1980, Edwards et son associé, l'illustrateur John Bianchi, établissent Bungalo Books pour publier leurs propres livres pour enfants. Potlatch de Hamilton maintient depuis toujours un équilibre entre les ouvrages d'intérêt pour la région du Niagara et le sud-ouest de l'Ontario ainsi que les ouvrages attrayants pour tout le pays. C'est à London, centre de l'activité littéraire dans le sud-ouest de l'Ontario, que se trouve Brick Books, dont les auteurs incluent Michael Ondaatje, P.K. Page et Dennis Lee.

Toronto

La ville de Toronto compte deux des petites maisons d'édition les plus connues. Coach House Press ouvre ses portes en 1965 lorsque Stan Bevington installe une énorme presse à bras dans un garage. Avec l'aide des éditeurs Wayne Clifford et Victor Coleman, les livres de poésie magnifiquement conçus et imprimés deviennent rapidement des articles de collection, et ses presses à imprimer produisent aussi un grand nombre de beaux livres pour d'autres entreprises. En 1990, plusieurs années après que Bevington ait décidé de se concentrer sur l'impression commerciale, Coach House sépare ses activités d'édition et d'impression. Lorsque le gouvernement de l'Ontario cesse de financer l'édition en 1996, un tollé s'élève dans la communauté culturelle de Toronto. Les activités d'impression continuent de prospérer. HOUSE OF ANANSI (1967), qui doit son nom au dieu filou des contes en Afrique de l'Ouest et est fondée par l'écrivain Dave GODFREY et le poète Dennis Lee, se fait le porte-parole du modernisme, du changement social et du nationalisme canadien. Les marques d'Anansi se retrouvent sur Technology and Empire de George Grant, The Bush Garden de Northrop Frye, The Circle Game de Margaret Atwood ainsi que sur des traductions de livres québécois comme The Hockey Sweater (1979) de Roch Carrier. Godfrey établit ensuite New Press (1970) avec James Bacque et Roy MacSkimming. Leur premier livre d'action sociale, The Bad Trip de David et Nadine Nowlan, aide à anéantir le projet de la route express de Spadina. Godfrey compte aussi Press Porcépic (1970) au nombre de ses entreprises. Lorsque Porcépic déménage à Victoria en 1974, ses collègues Tim et Elke Inkster donnent à leur partie de l'entreprise le nom The Porcupine's Quill et s'installent à Erin, en Ontario, où ils publient des livres magnifiquement conçus d'auteurs comme George Johnston, Matt Cohen et John Newlove. Women's Press, une société collective fondée en 1972, est réservée aux questions féministes, du sexisme jusqu'aux soins de santé. La maison d'édition survit à un conflit (1988) parmi ses membres au sujet de l'appropriation des rôles dans l'une de ses anthologies ainsi qu'à la crise (1996) causée par la réduction du financement provincial. En plus de la fiction, de la poésie, des livres pour enfants et des ouvrages québécois, Women's Press publie The Everywoman's Almanac (depuis 1976).

En 1972, deux entreprises sont fondées pour publier le nombre grandissant de pièces canadiennes en vue de leur production amatrice et professionnelle. Rolf Kalman, ancien éditeur d'origine hongroise de Performing Arts in Canada, fonde Simon and Pierre, qui doit son nom aux deux chats de Kalman. Il publie des pièces de Len Peterson, de W.O. Mitchell, de Mavor Moore et d'Eric Nicol. Connie Brissenden établit la Playwrights Co-op avec peu d'argent et, avec l'aide de ses employés, elle produit de nouvelles pièces sur une machine à miméographier Gestetner. Deux des six grands éditeurs canadiens de livres pour enfants font leurs débuts modestes dans les années 1970, époque où des ventes de 3000 à 5000 exemplaires d'un livre pour enfants sont considérées comme un succès. Rick Wilks et Anne Millyard fondent Annick Press (1973). Kids Can Press (1973) est au départ une société de gestion collective féministe qui publie des livres pour enfants, mais à partir de 1979, lorsque Valerie Hussey et Ricky Englander prennent la relève, la maison d'édition commence à se concentrer sur des livres pour enfants de haute qualité ayant pour thèmes les métiers et la science. Ils ont du succès dans le monde entier avec Franklin in the Dark (1986) de Pauline Bourgeois, qui est même commercialisé par l'entreprise de cosmétiques Avon Canada. Dans les années 1990, on considère qu'un livre pour enfants qui se vend à 40 000 exemplaires au Canada et à l'étranger est une réussite.

ECW Press (1977) est fondée à Montréal par David Lecker et Jack David, ce dernier publiant déjà le périodique Essays in Canadian Writing. La maison d'édition se concentre à l'origine sur des livres savants et de référence, dont notamment la série The Annotated Bibliography of Canada's Major Authors. ECW Press publie ensuite des livres commerciaux et entre sur le marché américain. En 1981, quatre petites maisons d'édition fondent Garamond Press, un éditeur indépendant d'ouvrages académiques axés sur les sciences sociales. Parmi les publications académiques de Dundurn Press figurent la série Profiles in Canadian Literature, dont chaque volume comprend des comptes rendus de recherches d'auteurs bien connus. Mosaic Press/Valley Editions est au départ deux entités distinctes : Valley publie de la création littéraire, tandis que Mosaic est axée sur des ouvrages ethniques et savants.

Beaucoup d'immigrants du monde entier s'installent à Toronto, et le travail des petites maisons d'édition de la ville reflète les réalités multiculturelles du Canada depuis les années 1970. Au nombre de ces maisons figurent Sixty-Eight Press (1968-1991), fondée par le romancier Josef Skvorecky et sa femme, Zdena Salivarova, pour publier des livres interdits en Tchécoslovaquie, leur pays d'origine. Sister Vision Press (1985) publie des livres de femmes noires, asiatiques et de culture mixte. Insomniac Press (1993), une maison d'édition plus récente fondée par Mike O'Connor, publie de beaux livres de poésie de poètes jeunes et nouveaux et se fait connaître grâce à Paul's Case (1997) de Lynn Crosbie, un livre sur le meurtrier sexuel Paul Bernardo. Sam Hiyate de Gutter Press (1993) publie des ouvrages érotiques crus comme The Reluctant Pornographer de Bruce LaBruce et commercialise ses livres de façon agressive aux États-Unis. Omrikon de Sal Nensi est un nouveau type d'entreprise, un conglomérat qui agit en tant qu'agent littéraire et de mise en marché ainsi que consultant.

Provinces des Prairies

La contribution des écrivains de l'Ouest à la littérature canadienne au 20e siècle est considérable, mais les petites maisons d'édition intensifient l'activité littéraire et aident à établir la diffusion des publications dans les trois provinces des Prairies pour la première fois. Dans les années 1960, cette situation favorise un sentiment de libération de la domination culturelle de Toronto. Le succès international phénoménal de Harlequin Books (1948) débute à Winnipeg, mais cet éditeur ne fait jamais partie du mouvement des petites maisons d'édition. La première nouvelle maison d'édition au Manitoba est Peguis Publishing, lancée par Mary Scorer après une carrière fructueuse au rayon des livres d'Eaton à Winnipeg ainsi qu'à la tête de son entreprise, Mary Scorer Books. Turnstone Press (1975), conçue dans un pub par son premier conseil d'administration, se spécialise dans les nouveaux écrivains - dont Sandra Birdsell et Miriam Toews - et, dans les années 1990, étend ses activités aux livres gothiques, de fantaisie et de science-fiction. En 1987, deux étudiants de premier cycle de l'Université du Manitoba, Gordon Shillingford et Peter Atwood, lancent Blizzard Books en vue de publier des pièces dramatiques et multimédias écrites dans l'Ouest. Leur premier livre, Footprints de Maureen Hunter, sort au moment de la première. Par l'intermédiaire de sa propre entreprise, J. Gordon Shillingford, Shillingford publie de la poésie de toutes les régions du Canada ainsi que des livres d'intérêt général. À la fin des années 1990, de 70 à 90 nouveaux titres sont publiés chaque année au Manitoba en anglais, en français et en cri.

À Regina, le Saskatchewan Wheat Pool établit Western Producer Books (1954), une entreprise qui jouit d'une longue réputation enviable d'éditeur de livres sur la vie en Saskatchewan. Son directeur de l'édition, Robert Sanders, quitte l'entreprise en 1987 pour travailler pour Douglas & McIntyre à Vancouver. Malgré les bonnes ventes, WPB vit des temps difficiles en 1991 et finit par être absorbée par Douglas & McIntyre. Cependant, il reste à Regina la maison Coteau Books (1975), qui est fondée par quatre écrivains de Moose Jaw, Bob Currie, Gary Hyland, Geoffrey Ursell et Barbara Sapergia, pour publier de la poésie de la Saskatchewan. Sous la direction des éditeurs Geoffrey Ursell et Barbara Sapergia, Coteau publie une panoplie de livres magnifiquement conçus, dont des livres pour enfants, des ouvrages multiculturels, des livres d'art et des calendriers. Les titres de Coteau reflètent la mosaïque sociale des Prairies, notamment dans les poèmes de Louise Halfe sur la vie autochtone, Bear Bones & Feathers (1994), le roman de Sapergia sur des immigrants roumains, Foreigners (1995), et l'anthologie sur l'expérience des Canadiens d'origine ukrainienne, Two Lands, New Visions (1998), publiée sous la direction de Janice Kulyk Keefer et de Solomea Pavlychko. Thistledown, à Saskatoon, publie la poésie de Ken Mitchell et d'Andrew Suknaski.

L'éditeur le plus connu d'Edmonton est Mel Hurtig, dont l'entreprise (1967) issue de sa librairie prospère est fondée en 1957. Les livres de Hurtig reflètent ses activités en tant que nationaliste canadien, et deux de ses premiers succès de librairie sont The New Romans (1968), publié sous la direction d'Al Purdy, et The Unjust Society: The Tragedy of Canada's Indians (1968) de Harold Cardinal. En 1985, Hurtig publie la première série de L'Encyclopédie canadienne. Les poètes Stephen Scobie et Douglas Barbour cofondent Longspoon Press alors qu'ils sont professeurs à l'Université de l'Alberta. George Melnyk lance NeWest Review en 1975 (relocalisé à Saskatoon en 1981) et fonde NeWest Press en 1977. Son premier livre est Getting Here de Rudy Wiebe. Lorsque Melnyk quitte NeWest Press en 1979, l'entreprise est constituée en société et dirigée par un conseil d'écrivains et d'universitaires des quatre provinces de l'Ouest, dont Douglas Barbour, Rudy Wiebe et Diane Bessai. NeWest publie de la poésie et de la fiction ainsi que des pièces de Sharon Pollock, de Ken Mitchell et de Brad Fraser. Red Deer College Press (Red Deer, 1972), fondée par l'Alberta Cultural Activities Trust Fund et transformée en société indépendante en 1975, fonctionne en tant que maison d'édition universitaire et alternative qui publie plusieurs séries : des livres illustrés pour enfants, des histoires de cow-boys et des ouvrages de dramaturges, en plus de romans comme Restlessness (1998) d'Aritha Van Herk.

Vancouver et Colombie-Britannique

L'industrie de l'édition aux environs de Vancouver, dans la vallée du bas Fraser et sur l'île de Vancouver est maintenant si importante qu'on peut la comparer à celle de Montréal et de Toronto. Une grande partie de cette activité débute vers 1960, lorsque Vancouver déborde d'écrivains d'avant-garde, différents et engagés sur le plan politique, dont certains sont associés au département de création littéraire de l'Université de la Colombie-Britannique. Le magazine expérimental Tish (1961-1969), fondé par un groupe comprenant George Bowering, Fred Wah et Frank Davey, lance beaucoup d'écrivains de la côte Ouest et publie aussi des livres. bill bissett dirige Blew Ointment Press (1967-1992) et le magazine du même nom, qui publie beaucoup de nouveaux poètes canadiens à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Talonbooks (1968), entreprise issue du magazine de poésie Talon de David Robinson, se spécialise dans la publication d'éditions attrayantes de pièces de théâtre. Maintenant connue sous le nom de Talon Books et dirigée par Karl Seigler, la maison d'édition prend de l'importance grâce à Colours in the Dark (1969) de James Reaney, à The Ecstasy of Rita Joe (1970) de George Ryga et aux œuvres du dramaturge québécois Michel Tremblay. Son catalogue inclut également Billy Bishop Goes to War (1981) de John Gray ainsi que des pièces de David Freeman et de David Fennario. La poésie de Talonbooks est financée, notamment, par un livre de cuisine à succès, Mama Never Cooked Like This (1981) de Susan Mendelson.

Douglas & McIntyre (1971) n'est plus une petite maison d'édition. En effet, elle étend ses activités pour devenir le plus grand éditeur national en dehors de la région de Toronto. New Star Books (1972) est l'évolution de la Georgia Straight Writing Series, qui est publiée par plusieurs des associés du journal Georgia Straight. Dans les années 1990, New Star passe des publications principalement de gauche axées sur la justice sociale aux ouvrages littéraires. Groundwood, l'un des plus importants éditeurs canadiens de livres pour enfants, publie un grand nombre de livres récompensés. Arsenal Pulp Press (1974), fondée par Stephen Osborne en tant que solution de rechange à l'avant-gardisme, et Press Gang Publishers (1975) publient des livres sur la vie gaie et lesbienne. Pulp Press lance le 3-Day Novel-Writing Contest en 1978. L'un des groupes d'éditeurs les plus agressifs du pays est l'Association of Book Publishers of British Columbia, qui commence à publier son catalogue annuel, Books from British Columbia, en 1975.

À Victoria, J. Michael Yates lance Sono Nis Press (1968) en vue de publier de la poésie et de la fiction d'avant-garde. La maison d'édition doit son nom à un personnage fantaisiste de The Man in the Glass Octopus de Yates, le premier livre publié. L'entreprise est située dans la région éloignée de Haida Gwaii pendant deux ans, puis s'installe à Mission. Yates vend l'entreprise (1976) à ses imprimeurs, la Morriss Company, et le répertoire est élargi pour inclure des histoires, des biographies, des critiques et des livres savants de la région. Ekstasis Editions (1982) de Richard Olafson est fondée dans l'atelier d'imprimerie du sous-sol de la Gallerie Untitled de Victoria dans le but de produire de magnifiques livres de poésie, de fiction et de critique. Press Porcépic de Dave Godfrey, à Victoria, continue de publier des ouvrages littéraires, mais sous la direction de nouveaux propriétaires et sous le nom Beach Holme Publishing, l'entreprise étend ses activités au féminisme et à la science-fiction et publie un livre à succès international, The Practice of Witchcraft (1990) de Robin Skelton. Oolichan Books (1974) de Ron Smith, à Lantzville, sur l'île de Vancouver, publie des auteurs qui reçoivent de nombreux prix dans les domaines de la poésie, de la fiction, des autobiographies et de l'histoire, surtout sur la côte Ouest. Encouragé par Ron Smith, Randy Fred, un membre de la tribu Tse'shaht, lance Thetyus Books (1981) à Penticton. Son premier livre est Gone Indian de Robert Kroetsch. « Theytus » est un mot salish qui signifie « préserver dans le but de transmettre ». Sous la direction de Fred puis de Greg Young-Ing, Thetyus se concentre sur la côte Ouest, en particulier sur des ouvrages écrits par les Autochtones sur les Autochtones et, plus récemment, sur des ouvrages d'écrivains canadiens d'origine chinoise. Harbour Publishing (1974), fondée par Howard White à Pender Harbour, connaît une première année phénoménalement réussie grâce à Raincoast Chronicles First Five. Dans son livre (composé des éditions de son magazine de ce nom) et dans ses autres histoires orales, White préserve le passé de la côte Ouest, de San Francisco jusqu'à l'Alaska. Comme dans d'autres parties du Canada, l'industrie des petites maisons d'édition publie de tout, de la poésie d'avant-garde jusqu'aux livres de cuisine, en passant par des ouvrages d'intérêt local et international.

Problèmes : survie, financement et distribution

Les petites maisons d'édition sont constamment préoccupées par des questions de survie et de financement. Comme tous les éditeurs, elles doivent dépenser de l'argent pour les coûts indirects, l'entreposage, la distribution et la publicité. Les plus petits tirages des petites maisons d'édition signifient un coût unitaire plus élevé par livre, et elles doivent vendre plus d'exemplaires pour atteindre le seuil de rentabilité, en particulier dans le cas des productions coûteuses comme les livres pour enfants, les livres de cuisine et les ouvrages savants. Le flux de trésorerie est une préoccupation quasi quotidienne et les petites maisons d'édition dépendent des banques, qui sont généralement prudentes en ce qui a trait aux prêts aux éditeurs, ou du gouvernement. Même les subventions sont remises en question. Le romancier et critique John Metcalf soutient que les subventions entretiennent la médiocrité, pardonnent la dépendance aux dons publics et encouragent les bénéficiaires à rendre des comptes aux bureaucrates et aux comités des prix.

La distribution au-delà de la communauté locale présente des défis, en particulier lorsque des événements comme la grève des postes en 1975 et en 1981 nuisent aux activités de plusieurs petites entreprises dont la distribution est interrompue et dont les comptes restent impayés. Même le tarif imposé en 1986 pour l'importation de livres en anglais au Canada - une mesure mise en place par le Canada en réponse au tarif établi par les États-Unis pour les fentes et les bardeaux de cèdre canadien - n'a pas l'effet prévu puisque des entreprises comme Annick Press doivent annuler les coproductions outre-mer. Ces entreprises et leurs auteurs canadiens en souffrent puisque leurs livres sont imprimés à l'étranger et, par conséquent, assujettis aux douanes. Ottawa revient sur sa décision neuf mois plus tard. C'est pour ces raisons que les éditeurs coopèrent sur les questions faisant l'objet de préoccupations communes. La plupart des provinces ont maintenant des associations d'éditeurs, et les quatre provinces de l'Atlantique se sont rassemblées en une seule organisation. Le groupe le plus vigoureux est une organisation nationale, l'Independent Publishers Association (1969), dont les premiers membres sont des propriétaires nationalistes de petites maisons d'édition. Au moyen de bulletins et de présentations à Ottawa, l'Association soutient activement le droit de propriété canadien des industries culturelles, si bien que les grandes maisons commerciales se joignent au groupe, qui devient l'Association of Canadian Publishers (ACP). En 1975, l'ACP établit le Literary Press Group of Canada (LPGC) en vue de publier un catalogue commun des publications de ses membres et de constituer un réseau central de commande et de distribution dans tout le pays. L'informatisation des opérations quotidiennes aide énormément cette industrie. Avec le temps, le LPGC, qui est maintenant une filiale de General Publishing, conclut des ententes avec les distributeurs américains et britanniques de titres de petites maisons d'édition pour s'occuper des livres canadiens. L'University of Toronto Press distribue également des livres de petites maisons d'édition.

Bien que les acquisitions les plus connues concernent de grands éditeurs ou des filiales canadiennes, des petites maisons d'édition menacées de disparaître ou de faire faillite sont parfois sauvées par le même processus. À la fin des années 1980 et dans les années 1990, le ralentissement de l'économie force le gouvernement à réduire radicalement le financement des industries culturelles. De plus, la concurrence entre les grands éditeurs et les sociétés multinationales ainsi que la modification des ententes avec les petites librairies et les librairies de masse étouffent les petites maisons d'édition. En 1989, Ann Wall vend House of Anansi à Stoddart Publishing, qui en fait sa marque littéraire. En 1991, McClelland & Stewart achète Hurtig, à Edmonton, qui a des ennuis d'argent, et Douglas & McIntyre prend les rênes de Western Producer Books. Arsenal Pulp Press achète le catalogue de Blew Ointment en 1992.

Depuis les années 1960, les deux générations de petites maisons d'édition se sont succédé et ont beaucoup évolué. Très peu possèdent encore des presses à bras, sauf certaines qui produisent toujours de la poésie, de petites monographies ou des in-plano. Les livres sont imprimés à l'étranger. Elles ont découvert des auteurs prometteurs comme Michael Ondaatje, Margaret Atwood, Carol Shields, Nino Ricci et Diane Schoemperlen. Ces derniers, ainsi que d'autres auteurs de renommée internationale (comme Northrop Frye), figurent toujours dans les catalogues de petites maisons d'édition. Beaucoup d'entreprises aussi importantes, qui se sont intégrées dans les réseaux de distribution internationaux, ont peu à peu établi des catalogues impressionnants.

À vrai dire, les expressions « petite maison d'édition » ou « petit éditeur », telles que définies par Statistique Canada dans ses enquêtes sur l'industrie de l'édition excluent certaines des entreprises mentionnées dans cet article, puisqu'elles ont fait leurs débuts en tant que petites maisons d'édition, mais sont devenues « importantes » en chiffre d'affaires. L'enquête effectuée par Statistique Canada en 1994-1995 auprès de 89 éditeurs canadiens dont les revenus se situent entre 50 000 $ et 250 000 $ indique qu'ils ont publié 634 titres. Plus de 90 p. 100 de ceux-ci sont d'auteurs canadiens, et la plupart sont des ouvrages littéraires (de fiction et non romanesques) ou des livres destinés à un créneau spécifique du marché (poésie, histoire régionale, biographies, livres pour enfants). Très peu disposent des ressources nécessaires pour publier des manuels savants, techniques ou de références coûteux, mais beaucoup publient des manuels scolaires. Leurs revenus totaux sont de 12 571 000 $, dont 18 p. 100 provient de subventions et 12 p. 100 d'exportations. Cependant, 40 p. 100 des 89 entreprises, toutes canadiennes, connaissent des pertes totalisant 678 000 $.

Les perspectives en 2000

Les petites maisons d'édition constituent la principale tribune des nouvelles voix, tant individuelles que collectives, qu'elles soient géographiques, comme à Terre-Neuve-et-Labrador, ethniques, comme en Acadie, ou dispersées, comme dans les sociétés autochtones. De plus, elles accueillent les auteurs qui réécrivent le passé de leur communauté, que d'autres se sont approprié avant eux. Ces éditeurs préservent toujours l'avant-gardisme littéraire ainsi que la communauté de l'édition parallèle. Ils publient chaque année la plupart des recueils de poésie au Canada. Plusieurs d'entre eux ont développé des marchés à créneaux adaptés à des intérêts multiculturels particuliers, aux enjeux des femmes ainsi qu'aux questions gaies et lesbiennes. Ils constituent le bastion de la majorité de la littérature pour enfants publiée au Canada.

Même si leur ferveur nationaliste s'est apaisée depuis la fin des années 1970, les petites maisons d'édition ont modifié la culture littéraire du Canada anglais et du Canada français dans les années 1960. En effet, elles ont permis aux écrivains activistes et engagés de remettre en question l'institution politique et commerciale. Leur présence a contribué à la résurgence des identités régionales, jamais totalement disparues au Canada, entre la Première Guerre mondiale et 1950. Dans la tension permanente entre le centre et la périphérie qui caractérise la société canadienne, les petites maisons d'édition ont presque entièrement éliminé la traditionnelle conception canadienne selon laquelle la plus grande littérature doit provenir de Londres ou de New York. Pendant ce temps, Ottawa et les capitales provinciales ont distribué leurs subventions, souvent dans le but à peine masqué de promouvoir une culture officielle désignée canadienne, québécoise, bilingue ou multiculturelle. Malgré la condamnation, et parfois la protestation, des petites maisons d'édition, de cette manipulation, elles ont maintenu une tradition de libre propos et d'échange des idées, en plus de jouer leur rôle de promotion de l'alphabétisation et de l'éducation auprès du plus grand public possible.

Voir aussiFRYE, BOLT, KROETSCH, LITTÉRATURE ENFANTINE DE LANGUE ANGLAISE, ÉDITION DE LANGUE FRANÇAISE et RÉGIONALISME DANS LA LITTÉRATURE.

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