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Mobilité sociale

La mobilité sociale désigne le mouvement des personnes, des familles et des groupes d'une situation sociale à une autre.

Mobilité sociale

La mobilité sociale désigne le mouvement des personnes, des familles et des groupes d'une situation sociale à une autre. La théorie de la mobilité sociale cherche à expliquer la fréquence de ces mouvements et les façons dont les gens se retrouvent répartis en diverses situations sociales (sélection sociale).

Historique de la recherche
Les chercheurs se sont d'abord intéressés à l'étude de la mobilité sociale en raison de la régularité avec laquelle les gens se retrouvaient à peu près dans la même situation sociale que leurs parents. En dépit de certains mouvements vers le haut ou le bas de l'échelle sociale d'une génération à l'autre, les gens nés dans des familles riches et influentes seront vraisemblablement riches et influents durant leur vie, contrairement à ceux qui sont nés dans des familles pauvres. Dans notre société, cette régularité résulte de la richesse héritée, de relations sociales utiles et de l'éducation, et non d'une intelligence ou d'un jugement supérieurs, comme certains le pensaient originellement. Les sociétés sont qualifiées d' « ouvertes » ou de « fermées » selon la mesure dans laquelle la fortune des enfants dépend de celle de leurs parents.

Les auteurs de la fin du XVIIIe siècle et du XIXe siècle, qui posent un regard critique sur leurs sociétés, s'inquiètent de l'incidence des facteurs institutionnels sur la mobilité. Ils préconisent une société qui récompenserait le mérite et le talent et qui offrirait à tous la possibilité de développer leurs qualités. Malheureusement, les auteurs contemporains sont plutôt enclins à substituer des mesures statistiques sommaires de la mobilité à l'analyse critique de la société dans son ensemble.

Deux types de mobilité

Les sociologues distinguent habituellement la « mobilité structurelle » (toutes les personnes améliorent leur situation ou font mieux que leurs parents) de la « mobilité d'échange » (certaines personnes changent de situation par rapport à d'autres). Au XXe siècle, la mobilité structurelle augmente au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans d'autres pays industrialisés, mais la mobilité d'échange évolue très peu.

Changements dans la mobilité structurelle
Avec l'industrialisation, le travail agricole diminue au profit du travail dans les manufactures et les bureaux. Certains emplois devenant plus courants, les chances de les occuper (comparés à d'autres emplois) augmentent. Ainsi, la mobilité dans les secteurs en croissance de l'économie dépasse celle dans les secteurs en déclin. Il s'agit là d'une forme de mobilité structurelle. En même temps, la chance d'obtenir un emploi est très grande quand la concurrence pour cet emploi est la moins forte. À mesure que le nombre de concurrents décroît, le taux de mobilité augmente : c'est l'autre forme de mobilité structurelle.

Le taux de mobilité structurelle dépend donc à la fois du nombre d'emplois et du nombre de concurrents pour ces emplois. Quand l'économie est en expansion, le CHÔMAGE décline, de nouveaux emplois se créent et les anciens emplois sont souvent améliorés; les meilleurs travailleurs reçoivent de meilleurs salaires et avantages. Dans les périodes de stagnation économique, il y a peu d'emplois disponibles, l'amélioration est moins fréquente et la mobilité diminue. Ce cycle de croissance-décroissance est particulièrement évident au Canada. Comme son économie est largement entre les mains d'investisseurs étrangers (voir INVESTISSEMENTS ÉTRANGERS) et dominée par l'exportation de matières premières vers des consommateurs étrangers, le Canada s'avère particulièrement sensible aux fluctuations des économies étrangères. La croissance économique et les changements technologiques sont aussi largement tributaires de forces extérieures.

En général, la taille de la POPULATION ACTIVE et la concurrence pour les emplois entre les travailleurs sont déterminées par la croissance naturelle de la population, la migration des travailleurs et les changements dans le taux de participation adulte. Durant la CRISE DES ANNÉES 30, le taux de natalité baisse radicalement, mais après, surtout entre 1946 et 1962, il atteint des sommets. La génération du BABY-BOOM remplit les écoles dans les années 50, les universités dans les années 60 et le marché des premiers emplois dans les années 70. Depuis le baby-boom, le taux de natalité chute de nouveau, bien que certains observateurs croient que des cycles de 40 ans vont donner lieu à de nouvelles explosions et baisses démographiques.

Depuis la Crise des années 30, l'IMMIGRATION reste toujours importante au Canada. Le gouvernement canadien encourage généralement l'immigration de travailleurs désireux d'accepter des emplois que les Canadiens de naissance ne veulent ou ne peuvent pas occuper. Par conséquent, une hausse du taux d'immigration ne signifie pas nécessairement une plus grande concurrence pour tous les emplois. Au milieu des années 60, les modifications aux lois de l'immigration favorisent les personnes plus instruites; il en résulte une augmentation des migrants urbains instruits qui compétitionnent avec succès pour décrocher des emplois de cols blancs. Au cours des deux dernières décennies, une grande partie des nouveaux immigrants sont soit des réfugiés, soit des membres de la « catégorie de la famille », c'est-à-dire des parents ou des personnes à charge d'un immigrant reçu. La sortie de capitaux et l'émigration de personnes très spécialisées vers les États-Unis se poursuivent. Toutefois, le nombre de départs est trop faible pour influencer de façon significative la mobilité de ceux qui restent.

Participation de la population active

Les taux de participation, particulièrement celui des femmes, influent aussi sur le nombre de concurrents pour les emplois. L'instruction publique, l'urbanisation, le développement du travail de bureau et les besoins économiques conduisent à l'accroissement du nombre des entrées dans la population active. Plus de jeunes femmes ayant moins d'enfants ont un plan de carrière et retournent au travail peu de temps après leur accouchement.

D'autres types de mobilité sociale sont apparemment moins touchés par les changements dans la taille et la composition de la population active. Par exemple, les caractéristiques sociales de l'élite canadienne ont peu évolué au cours des 50 dernières années ou plus, en dépit de changements dans la population en général. Les membres de l'élite ont encore tendance à être des hommes blancs anglo-saxons protestants, issus de familles de la classe supérieure ou des couches supérieures des classes moyennes. Cependant, on trouve des différences d'une partie du Canada à l'autre. Par exemple, il y a plus de catholiques francophones dans l'ÉLITE DU MONDE DES AFFAIRES du Québec ou dans la classe politique fédérale que dans les classes correspondantes de l'Ontario. Par ailleurs, des groupes sociaux autrefois exclus rejoignent l'élite et les couches supérieures de la société dans des secteurs en croissance de l'économie, comme les Italiens et les Juifs dans l'immobilier et la construction.

Les sociétés multinationales semblent également offrir de meilleures chances d'accès à des postes d'élite que les sociétés purement canadiennes. En général, cependant, les caractéristiques sociales qui limitent l'extension et le taux de mobilité de l'emploi dans l'ensemble, comme le sexe, la race, la religion et l'origine de classe, semblent aussi entraver l'accession à l'élite.

Formes d'inégalité des chances

Le taux de mobilité est affecté différemment par les règles et les barrières relatives au recrutement. Les personnes moyennes peuvent très bien obtenir des postes dans les organismes qui recrutent des gens de l'extérieur et font preuve d'impartialité, comme la fonction publique fédérale. En dehors de ces organismes, les postes d'élite sont généralement occupés par les enfants des parents de l'élite. Par exemple, les places dans les écoles médicales sont occupées de façon disproportionnée par les enfants de médecins, et même dans bien des métiers spécialisés, le droit ou la possibilité d'obtenir un poste se transmet de parent à enfant. La classe sociale des parents détermine dans une large mesure les possibilités initiales d'accès à l'éducation et les choix importants pour la mobilité future.

De façon générale, les gens ne changent pas radicalement de catégorie d'emploi ou de situation sociale après leur entrée dans la population active, ils dépassent leurs parents tout de suite ou jamais. Une fois qu'ils débutent à un échelon donné, ils avancent surtout par ancienneté, de sorte qu'ils ne peuvent guère changer de situation par rapport à leurs camarades de travail. Le marché du travail se divise aussi en plusieurs catégories. Il existe ainsi des emplois qui dépendent de la formation, des emplois obtenus grâce à l'appartenance à un syndicat et des emplois accessibles à tous. Les gens qui commencent dans une catégorie vont rarement, si jamais cela arrive, entrer en concurrence avec des gens d'une autre catégorie. Par exemple, les journaliers occasionnels vont rarement se trouver en compétition avec les ouvriers qualifiés détenteurs de cartes de compétence ou avec les professionnels agréés.

Inégalité des chances

En dehors de la mobilité structurelle et parce qu'il y a peu de mobilité d'échange et de libre concurrence, les Canadiens ne jouissent pas de chances égales d'avancement. Si on oublie la richesse et le statut, les Canadiens ne sont pas égaux face au pouvoir, car la société canadienne protège le pouvoir de diverses façons. Le pouvoir de la famille est protégé par la richesse. Beaucoup de professions et de postes de responsabilité sont inaccessibles à certains, faute de formation et, notamment, de diplôme universitaire. Ceux qui possèdent la formation exigée viennent de façon disproportionnée des classes moyennes et supérieures.

Tentatives d'égalisation des chances
L'IMPOSITION et les PAIEMENTS DE TRANSFERT, destinés à redistribuer la richesse, ne réussissent pas à réduire les disparités de façon significative. Cependant, les lois antidiscriminatoires ou les efforts déployés afin d'offrir l'équité en matière d'emploi sont particulièrement précieux pour les groupes traditionnellement exclus comme les femmes et les minorités raciales. Il semble que ces initiatives commencent à avoir des effets sur la mobilité professionnelle, surtout dans les organismes du secteur public comme l'État et les universités.

L'augmentation des possibilités en éducation (plus d'universités, admissions plus nombreuses, plus de bourses) réduit la valeur originelle de la qualification et incite les employeurs à exiger une qualification plus poussées. Néanmoins, l'éducation a aidé bien des enfants de familles pauvres à obtenir des emplois meilleurs que ceux qu'ils auraient pu obtenir autrement, même si les postes supérieurs leur restent inaccessibles

Mobilité collective

La mobilité collective est un moyen efficace de rendre les chances égales. De plus en plus, des groupes de personnes partageant un même but, tels des syndicats ou des associations professionnelles, coopèrent pour leur avancement. Mais d'autres groupes en moins bonne posture se mobilisent aussi collectivement, y compris des groupes ethniques comme la communauté italienne de Toronto, des groupes linguistiques comme les francophones canadiens, des groupes régionaux ou provinciaux et des réseaux de connaissances personnelles, d'amis ou de parents. Dans plusieurs cas, la mobilisation collective fait avancer les intérêts du groupe tout autant que ceux des individus. Cependant, la mobilisation de tout le monde entraînerait une nouvelle impasse, s'avérant une façon indirecte, inefficace d'éliminer les inégalités sociales.

Tendances de la recherche et des publications canadiennes

La recherche sur les élites, qui s'est penchée durant les années 70 sur les réseaux nationaux et internationaux d'administrateurs étroitement interreliés, est moins fréquente dans les années 80 et 90. On met alors plus d'efforts sur l'étude de la mobilité sociale des personnes extérieures à l'élite. Partant d'échantillons nombreux, ces recherches reproduisent le travail des Américains sur la mobilité, qui examinait la réussite en matière d'occupation et de statut, et concluent que le Canada ressemble aux États-Unis, du moins en ce qui a trait à la mobilité. La mobilité sociale au Canada s'apparente aujourd'hui beaucoup à celle des États-Unis et d'autres pays industriels modernes.

Les années 90 sont fertiles pour la recherche sur la mobilité sociale. Elles coïncident avec un mouvement de récession économique et de décroissance organisationnelle qui se traduit par plus de chômage, plus de compétition pour les emplois disponibles, plus de mobilité professionnelle descendante et moins de mobilité professionnelle ascendante. Beaucoup de chercheurs signalent le déclin des classes moyennes, l'écart grandissant entre riches et pauvres et l'apparition d'une nouvelle génération dont les chances de mobilité ascendante sont moins bonnes que celles de leurs parents et même de leurs grands-parents. Ainsi, la récession bloque la croissance de la mobilité ascendante intergénérationnelle pour la première fois en un siècle.

En dépit de ce sombre portrait d'ensemble, quelques recherches dégagent des résultats plus encourageants. Par exemple, dans leur étude sur l'expérience des minorités ethniques, Breton et ses collaborateurs montrent que le portrait brossé en 1965 par John Porter des groupes ethniques comme composant une MOSAÏQUE VERTICALE est moins pertinent à l'heure actuelle. À l'encontre de l'analyse que fait Porter des années 50 et 60, Breton soutient que l'origine ethnique a peu d'effet, si elle en a, sur les Canadiens blancs aujourd'hui, lorsqu'on garde constants d'autres facteurs comme l'éducation, le sexe et la classe d'origine.

Cependant, d'autres recherches démontrent que la discrimination à l'endroit des minorités raciales gêne leur mobilité sociale. Au moins pour les membres de ces minorités, le Canada continue d'être une mosaïque verticale.

Mobilité suivant le sexe

Les recherches les plus intéressantes sur la mobilité sociale portent aujourd'hui sur la mobilité des femmes. Des travaux récents de Creese, Guppy et Meissmer révèlent que le sexe demeure un facteur clé en matière de statut social, tandis que l'ethnicité et la langue revêtent moins d'importance. La mobilité des femmes est décrite dans un certain nombre d'études utilisant des données variées. Certaines s'intéressent aux théories économiques de la segmentation du marché du travail et aux effets sur les femmes de l'introduction de nouvelles technologies. À la différence des enquêtes traditionnelles à grande échelle, qui mettent l'accent sur la mobilité de l'emploi, les recherches récentes examinent les changements structurels majeurs dans les emplois du secteur des services. Les changements dans le travail à temps partiel et dans le plan de carrière des femmes mariées présentent un intérêt particulier.

En conclusion de leur étude sur la vie des femmes canadiennes, Jones, Marsden et Tepperman affirment que de plus en plus de femmes vivent des formes variées de mobilité horizontale et verticale. Comparée à celle de leurs mères, pères, frères ou maris, la vie des femmes se caractérise désormais par une grande variété, la fluidité et l'idiosyncrasie. De plus, leur vie diffère de l'une à l'autre : en d'autres mots, leurs modèles de mobilité éducationnelle, familiale et professionnelle sont « individualisés ».

Les recherches futures sur la mobilité sociale continueront vraisemblablement à mettre l'accent sur les questions soulevées ici, notamment sur les différents types et taux de mobilité sociale vécus au cours d'une vie. Il nous reste encore à comprendre les écarts dans la mobilité sociale selon le sexe et la race ou les raisons de l'augmentation des différences de mobilité sociale selon les groupes au cours de périodes de difficultés économiques comme les années 90.

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