Question des écoles du Nord-Ouest | l'Encyclopédie Canadienne

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Question des écoles du Nord-Ouest

La question des écoles du Nord-Ouest est un conflit entre l’Église et l’État pour le contrôle de l’enseignement dans les Territoires du Nord-Ouest (aujourd’hui la Saskatchewan et l’Alberta) à la fin du 19e siècle. La controverse est similaire à plusieurs autres crises au sujet de l’éducation, qui s’inscrivent dans le débat plus général sur l’avenir du Canada en tant que pays bilingue et biculturel.
\u00c9cole des Prairies
\u00c9cole de Coldridge, vers 1905 (avec la permission du Saskatchewan Archives Board).

Contexte social et situation de l’éducation

Jusqu’en 1870, quand le gouvernement fédéral obtient les Territoires du Nord-Ouest de la Compagnie de la Baie d’Hudson, l’éducation officielle demeure entre les mains des missionnaires chrétiens. Si quelques uns sont méthodistes, comme John Chantler McDougall, la plupart d’entre eux sont membres d’ordres religieux catholiques comme les Sœurs grises et les Oblats de Marie Immaculée, incluant le célèbre père oblat Albert Lacombe. Dans les années 1870, les colons franco-catholiques composent la majorité de la population non autochtone de la région et les écoles reflètent leur langue et leur foi. Cependant, à partir de cette époque, le développement du transport par chemin de fer et le potentiel de développement économique (grâce à l’agriculture et l’élevage) permettent à beaucoup de nouveaux immigrants de s’installer dans l’Ouest. La plupart des nouveaux colons sont des protestants anglophones provenant de l’Ontario, des États-Unis et des Îles britanniques, qui voient très différemment l’avenir de l’éducation.

Transformation de l’éducation dans les années 1870 et 1880

En 1875, les libéraux fédéraux, sous la direction d’Alexander Mackenzie, promulguent la Loi sur les Territoires du Nord-Ouest. Tout en maintenant l’autorité du gouvernement canadien, ce document initie le processus d’accession au gouvernement responsable responsable pour les Territoires ; un lieutenant-gouverneur est nommé et des dispositions sont prises pour l’élection de représentants quand le nombre d’habitants le permettra. La Loi introduit également le principe d’écoles séparées pour les protestants (majoritairement anglophones) et les catholiques (majoritairement francophones) de la région. En conséquence, les contribuables locaux sont responsables du type d’écoles qu’ils veulent mettre en place pour leurs enfants. L’ordonnance scolaire de 1884 garantit des écoles séparées pour les minorités religieuses. Tout en ordonnant que les deux systèmes d’écoles confessionnelles soient administrés par le Bureau d’éducation, elle prévoit que chaque section possèdera une autonomie quand à des responsabilités clés, dont les programmes d’étude, l’inspection et la certification des enseignants dans ses écoles respectives.

Nouveau contexte pour une réforme de l’éducation

Ce système mixte reste en vigueur jusqu’en 1892. À cette époque, une série de transformations bousculent la situation de l’enseignement dans les Territoires du Nord-Ouest. Premièrement, au plan démographique, le nombre des anglo-protestants dépasse celui des franco-catholiques. Deuxièmement, avec la création de l’Assemblée législative en 1888 et d’un Comité exécutif en 1891, la région possède une plus grande autonomie et les dirigeants anglais disposent d’un pouvoir politique accru. Troisièmement, des organisations comme l’Equal Rights Association et l’Ordre d’Orange font de plus en plus de pressions dans le pays pour s’attaquer aux droits des francophones et à l’enseignement catholique. Enfin, dans la province voisine du Manitoba, le gouvernement libéral dirigé par Thomas Greenway a aboli le bilinguisme officiel et le système des écoles séparées en 1890, déclenchant une controverse nationale sur les droits en éducation, qui éprouve les limites de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (voir Question des écoles du Manitoba). Dans ce nouveau contexte, l’idée de sections protestantes et catholiques autonomes dans les Territoires du Nord-Ouest devient de plus en plus impopulaire. Beaucoup de protestants préfèrent que l’on retire tout privilège à la minorité catholique et que tous les enfants soient éduqués ensemble, peu importe leur langue, pour encourager la tolérance et l’unité civique, et débarrasser la région des divisions sectaires.

Conflit sur l’éducation

Sous le leadership de F.W.G. Haultain, l’homme politique le plus en vue des Territoires de 1888 à 1905, les Territoires du Nord-Ouest décident d’établir un gouvernement et un système éducatif uniquement anglais. Ceux qui soutiennent des écoles anglaises pensent que c’est le meilleur moyen d’encourager le patriotisme et d’assurer l’assimilation des Canadiens français et du nombre grandissant d’immigrants européens qui arrivent dans la région au cours des années 1890, particulièrement des Ukrainiens, des Mennonites, des Doukhobors, des Allemands et des Scandinaves. Au contraire, le clergé catholique s’oppose vigoureusement à l’idée qu’il ne puisse administrer ses propres écoles et demeure inflexible sur le fait que la foi et la langue font partie intégrale de l’éducation. Les principaux défenseurs de l’enseignement catholique dans l’Ouest sont l’archevêque Alexandre-Antonin Taché de St. Boniface, l’évêque Vital-Justin Grandin de St. Albert ainsi que le père Hippolyte Leduc.

Frederick W.G. Haultain, avocat, homme politique
Politicien du centre, Haultain déplore fortement l'influence de la partisanerie en politique et ne cessera de répéter qu'elle n'a pas sa place dans l'Ouest (avec la permission du Saskatchewan Archives Board).
Alexandre Taché, missionnaire, prêtre et évêque catholique
Monseigneur Alexandre A. Taché fonde de nombreuses missions dans l'Ouest et aide les nombreux immigrants qui affluent dans la région (avec la permission de NAC/PA-74103).
Bishop Grandin, circa 1900

Pour réaliser leurs objectifs, Frederick Haultain et le Comité exécutif lancent une série d’ordonnances scolaires qui concentrent l’autorité entre les mains du gouvernement et établissent une plus grande uniformité réglementaire. Particulièrement, par l’ordonnance scolaire de 1892, le gouvernement limite l’influence du clergé en s’appropriant toute autorité sur la formation et l’accréditation des professeurs, l’inspection des écoles et les programmes scolaires, en éliminant l’enseignement en français après la deuxième année et en mettant en place un conseil de l’instruction publique pour remplacer le Bureau d’éducation. Essentiellement, cette loi transforme les écoles confessionnelles en un système d’écoles publiques « national », assorti de quelques écoles séparées où l’influence religieuse est minimale. Les recours des catholiques au gouvernement fédéral pour garder plus de contrôle sur l’enseignement ne sont pas entendus.

Reprise de la controverse

La question des écoles est ravivée en 1904-1905, durant les négociations pour l’autonomie provinciale de l’Alberta et la Saskatchewan. Au début de 1905, le premier ministre sir Wilfrid Laurier présente les Projets de loi d’autonomie, provoquant une controverse nationale. Ces législations évoquent vaguement la possibilité de restaurer le système d’écoles séparées originalement mis en place par l’ordonnance de 1884. La question soulève des sentiments passionnés, particulièrement en Ontario et au Québec, mettant l’unité canadienne à l’épreuve et menaçant de faire éclater le Parti libéral. Le ministre de l’Intérieur, Clifford Sifton, quitte le Cabinet en guise de protestation. Après sa démission, il propose une clause de compromis, acceptée par Wilfrid Laurier, qui permet d’éviter la scission. La clause, qui devient partie intégrante des constitutions des nouvelles provinces, préserve en grande partie la situation qui existait en 1892 en éducation tout en reflétant l’ordonnance de 1901, qui centralisait encore plus l’administration des écoles et posait de nouvelles limites à l’enseignement religieux.

Sir Clifford Sifton, homme politique
L'un des hommes politiciques les plus doués de son époque, Sifton est renommé surtout pour avoir fait des efforts afin de favoriser l'immigration pour la colonisation de l'Ouest (avec la permission des Bibliothèque et Archives Canada/PA-27943).
Sir Wilfrid Laurier
Sir Wilfrid Laurier en campagne électorale.

Émile Legal, qui succède à Vital-Justin Grandin comme évêque de St. Albert, refuse de suivre Adélard Langevin (archevêque de St. Boniface, ayant succédé à Alexandre-Antonin Taché), dans une nouvelle bataille, afin de sauvegarder les écoles séparées qui existent encore et d’éviter qu’elles soient assujetties à la double taxation. En outre, les libéraux ayant remporté en force les premières élections dans les nouvelles provinces, il y a peu d’espoir pour les catholiques d’obtenir plus de contrôle. La question des écoles du Nord-Ouest est rapidement oubliée en tant qu’enjeu national. Toutefois, cette controverse, avec la Question des écoles du Manitoba, la Question des écoles de l’Ontario et la Question des écoles du Nouveau-Brunswick, reste très importante pour les tensions religieuses et linguistiques qu’elle soulève, et reflète différentes conceptions de l’identité canadienne. Dans les Territoires du Nord-Ouest, les anglophones de plus en plus nombreux cherchent à imposer leur volonté en limitant les droits à l’éducation de la minorité et en imposant la domination de la majorité. Cette vision s’oppose directement à la lutte des Canadiens français pour former un pays bilingue et biculturel. En ce sens, la question des écoles du Nord-Ouest met en évidence les limites de l’entente de la Confédération.

Voir aussi Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867 : document ; Histoire de l’éducation ; Enseignement des langues secondes.