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La Woman's Christian Temperance Union au Canada

La Woman’s Christian Temperance Union (WCTU; Union chrétienne des femmes pour la tempérance) est la plus importante organisation non confessionnelle pour femmes du XIXe siècle au Canada.

La Woman’s Christian Temperance Union (WCTU; Union chrétienne des femmes pour la tempérance) est la plus importante organisation non confessionnelle pour femmes du XIXe siècle au Canada. Estimant que l’abus d’alcool est la cause du chômage, des maladies, de la prostitution, de la pauvreté, de la violence contre les femmes et les enfants et de l’immoralité, la WCTU fait campagne pour la prohibition de toutes les boissons alcoolisées. Ses membres, issues de la classe moyenne croissante du Canada, sont d’inspiration évangélique protestante. La WCTU milite également pour le droit de vote des femmes au Canada comme moyen de mettre en œuvre les dispositions législatives envers la prohibition. La WCTU promeut une éthique du travail fondée sur la sobriété, l’épargne, le sens du devoir et le caractère sacré de la famille, entreprend des travaux communautaires tels que l’ouverture de salles de lecture et de maisons pour les femmes et les enfants, et milite pour la réforme des prisons.

Création

L’inspiration menant à la création de la WCTU canadienne provient des États-Unis. Au début des années 1850 en Ohio, des groupes de femmes tentent de rendre honteux pour les hommes le fait de fréquenter les bars, en se postant et en priant à l’extérieur et parfois même à l’intérieur de ceux-ci. À l’été 1874, la WCTU est formée comme organisation nationale américaine, dans le cadre d’une conférence internationale sur l’école du dimanche à Chautauqua, dans l’État de New York. Elle est ensuite officiellement fondée en novembre de la même année, à Cleveland, en Ohio.

Bien que la première WCTU soit formée aux États-Unis, des organisations locales de tempérance existent au Canada dès les années 1820. En mai 1974, une « Ligue des femmes pour la prohibition » est formée à Owen Sound, en Ontario, par Mme William Doyle et a comme raison d’être de révoquer les permis d’alcool détenus par les épiceries en raison de la menace pour la vie familiale que représente l’alcool. Cette organisation est aujourd’hui reconnue comme la toute première Woman’s Christian Temperance Union au Canada.

La deuxième WCTU du Canada est fondée à Picton, en Ontario, par l’enseignante d’école du dimanche et belle-mère de huit enfants Letitia Youmans. Ayant assisté à la conférence sur l’école du dimanche de Chautauqua, dans l’État de New York, celle-ci est revenue inspirée des États-Unis. (Voir aussi Début des mouvements de femmes au Canada : 1867-1960.)

Croissance et organisation

Letitia Youmans joue un rôle important dans la propagation de la WCTU partout au Canada. En 1875, elle contribue à établir une WCTU à Toronto, puis, en 1877, elle devient la toute première présidente de l’Union provinciale de l’Ontario nouvellement établie, qui est composée de sections locales de la WCTU. Elle se rend dans l’ouest du Canada en 1886, où elle met sur pied des sections locales à Morley, Calgaryet Regina, de nos jours dans les provinces de l’Albertaet de la Saskatchewan. Des sections sont également établies dans l’est du Canada, soit à Monctonen 1875 et à Frederictonet Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, en 1877. Des sections continuent d’être fondées aux quatre coins du Canada jusqu’au 20e siècle, et 578 sont répertoriées en 1917.

Char de la WCTU au défilé de Winnipeg, 1910
Char de la WCTU \u00e0 l'avant du défilé, Winnipeg, 1910 (avec la permission des Archives du Manitoba, section Images fixes. Collection Foote. Article numéro 264. Négatif 1864).

Les sections locales de la WCTU sont généralement dotées d’une direction et d’une série d’équipes de travail supervisées par une directrice. Une fois par an, les présidentes et les directrices de chaque section locale se rencontrent dans le cadre d’un congrès au cours duquel des rapports sont présentés et des résolutions, débattues. Bien qu’elles se rapportent aux organismes provinciaux, ces sections locales conservent un important degré d’autonomie et façonnent leurs activités en fonction de préoccupations locales.

Les dirigeantes provinciales rendent des comptes à la WCTU du Dominion, une organisation créée en 1883 par des représentantes de sections de la WCTU de l’Ontario et du Québec. La fonction principale de la WCTU du Dominion consiste à aborder les questions nationales et à organiser des congrès; il s’agit du tout premier groupe (techniquement) non confessionnel pour femmes à s’organiser à l’échelle nationale au Canada. Letitia Youmans est la première présidente de l’organisation nationale, ayant démissionné de la présidence de la WCTU de l’Ontario en 1882 pour fonder la WCTU du Dominion. En 1900, celle-ci déclare un effectif de plus de 10 000 membres, la plupart des femmes, avec quelques membres honoraires et auxiliaires de sexe masculin.

La WCTU du Dominion relève du secrétariat de World WCTU, fondée en 1885. World WCTU tend à être dominée par les WCTU nationales des États-Unis et de la Grande-Bretagne. Des représentantes canadiennes assistent toutefois également aux congrès mondiaux. En effet, à la suite d’un différend d’ordre organisationnel entre la WCTU du Québec et celle de l’Ontario en 1913-1914, les deux organisations entretiennent de meilleurs rapports avec World WCTU que l’une avec l’autre.

Adhésion

La fin du 19esiècle constitue une période d’incertitude pour bon nombre de Canadiennes et Canadiens, l’industrialisation, l’immigration, l’urbanisation et d’autres changements sociaux suscitant autant d’inquiétudes quant à la survie de l’idéal familial. Cette période voit également l’émergence d’une classe moyenne au Canada, qui incarne les idéaux du travail, de l’épargne, du sens du devoir et du caractère sacré de la vie familiale. Les membres de la WCTU sont largement issues de cette nouvelle classe moyenne, ces femmes ayant le temps et la conviction de participer à ses activités. Les femmes impliquées à l’échelon local, bien qu’appartenant également à la classe moyenne, sont souvent moins riches et ont un statut social inférieur à celles œuvrant sur le plan provincial ou national.

Les membres de la WCTU ont souvent des croyances protestantes évangéliques et visent à réformer la société selon l’idéal de la famille chrétienne reconstituée (voir Mouvements évangélique et fondamentaliste). Les membres sont préoccupées par le bien-être spirituel de ceux et celles qu’elles tentent d’aider, et estiment que la foi constitue la pierre angulaire de la tempérance (voir Mouvement pour la tempérance).

La prohibition au Canada

Les membres de la WCTU estiment que l’alcool est à la base de nombreux problèmes sociaux, voyant notamment en lui la principale cause de violence conjugale et de divorce (voir aussi Violence familiale). Ses membres estiment que la santé des Canadiens est ruinée par les boissons alcoolisées, en plus de prétendre à des liens entre celles-ci et la criminalité, l’immoralité sexuelle et la pauvreté. Elles ont la conviction que les femmes et les enfants sont d’innocentes victimes des effets de l’alcool, l’abus de celui-ci chez les hommes ayant infiltré les foyers et répandu la violence.

Les premiers mouvements de tempérance se fondent sur la croyance que la volonté individuelle, plutôt que les changements législatifs, constitue la meilleure voie vers la rédemption contre l’alcool. La WCTU fait d’abord campagne pour la tempérance au moyen de pétitions, de pamphlets et de discours. Cependant, dans les années 1880, Letitia Youmans et la WCTU de l’Ontario deviennent convaincues qu’on ne peut parvenir à la tempérance que par la voie législative.

Les premières pétitions connaissent un certain succès, quoique limité, les gouvernements se trouvant informés de l’existence d’une demande en faveur de la prohibition. Plusieurs provinces tiennent des plébiscites(ou référendums) sur la question, lesquels sont suivis d’un plébiscite national sur la prohibition en 1898. La majorité des électeurs se prononcent en faveur de la prohibition, mais les villes, les communautés d’immigrants et la province du Québec s’y opposent. Face à ces divisions, le gouvernement de sir Wilfrid Laurier juge préférable de ne pas agir.

Bien que le gouvernement fédéralcontrôle la fabrication et le commerce de l’alcool, les provincessont habilitées à en réglementer la vente. La première province à promulguer la prohibition est l’Île-du-Prince-Édouard, en 1901. Au cours de la Première Guerre mondiale, toutes les autres sauf le Québec votent pour rester « sèches », surtout comme sacrifice patriotique pour gagner la guerre. En 1918, le gouvernement fédéral met un terme à la fabrication et à l’importation de boissons alcoolisées dans les provinces « sèches ». Ces règlements représentent une victoire pour la WCTU.

tonneaux d
Des tonneaux d'alcool sont vidés dans le lac Elk, en Ontario, pendant la prohibition (avec la permission des Public Archives of Ontario/S15001).

Droit de vote des femmes au Canada

Dans ses premières années, la WCTU n’est pas en faveur du droit de vote des femmes. Cependant, en raison de son intérêt croissant envers la tempérance par voie législative, la tempérance et le droit de vote des femmes deviennent des enjeux qui vont de pair. La WCTU fait alors office de plateforme permettant aux femmes d’être des participantes publiquement actives au sein de leurs communautés. L’organisation ne manque d’ailleurs pas de souligner que ses membres ont le droit de participer à la vie publique. En 1888, le congrès de la WCTU du Dominion décide d’appuyer le droit de vote des femmes, devenant ainsi la première organisation nationale majeure au Canada à se prononcer en faveur de celui-ci.

Pétition de 1893 de la Woman
Pétition de 1893 de la Woman's Christian Temperance Union (avec la permission des Archives du Manitoba, documents parlementaires LA 0009, GR0247, 32 Pétition d'A.M. Blakely et al. [de la Woman's Christian Temperance Union] pour l'émancipation de la femme, 1893, G 7173).
Pétition de 1893 de la Woman
Pétition de 1893 de la Woman's Christian Temperance Union (avec la permission des Archives du Manitoba, documents parlementaires LA 0009, GR0247, 32 Pétition d'A.M. Blakely et al. [de la Woman's Christian Temperance Union] pour l'émancipation de la femme, 1893, G 7173).

En 1898, les femmes demandent de pouvoir voter lors du plébiscite national sur la prohibition, mais elles essuient un refus. L’inaction gouvernementale à la suite du plébiscite convainc bon nombre d’entre elles que le gouvernement n’agit pas dans l’intérêt du peuple. Les membres de la WCTU deviennent de plus en plus frustrées d’avoir à compter sur les hommes pour créer le genre de société qu’elles souhaitent. En dépit de ces frustrations, la WCTU continue à plaider en faveur du droit de vote des femmes comme moyen de façonner positivement la société.

(Voir aussi Simulacre de parlement, 1914.)

Travail communautaire

Bien que la prohibition soit le principal objectif de la WCTU, ses membres s’impliquent également dans d’autres aspects de la réforme sociale. Des sections locales répondent aux besoins au sein de leurs propres communautés, par exemple en ouvrant des bibliothèques et salles de lecture gratuites dans le quartier Westmount de Montréal. La WCTU de l’Ontario et d’autres organisent également des groupes de jeunes tels que les Little White Ribboners et la Young Woman’s Christian Temperance Union. Des activités sont entreprises en grand nombre à travers le pays, plusieurs étant axées sur l’aide aux mères célibataires, l’éducation sexuelle, la lutte au tabagisme, la pureté sociale et la réforme des prisons. D’autres initiatives comprennent l’éducation des adultes et des enfants, ainsi que des foyers pour femmes « déchues » et orphelins, des hôpitaux pour les femmes, et des résidences pour les femmes monoparentales qui travaillent. Il convient de noter, cependant, que les bénéficiaires de ces œuvres philanthropiques ne sont généralement que des femmes qui partagent la religion et l’origine ethnique des membres de la WCTU, c’est-à-dire à la fois chrétiennes et blanches.

Héritage

Lorsque la prohibition prend fin dans les années 1920, la WCTU constate qu’elle n’est plus en phase avec la société. L’adoption de lois mettant en œuvre des systèmes provinciaux pour le contrôle et la vente d’alcool à travers le pays contribue à réduire l’influence de la WCTU auprès du grand public. Dans les années 1920, de nombreuses membres, notamment en Saskatchewan, sont divisées à l’égard d’un attachement résolu envers la prohibition, ce qui mène au départ des plus modérées et à une plus grande rigidité conservatrice et moralisatrice parmi celles qui restent.

La WCTU continue à œuvrer sur le plan communautaire et reste active dans le mouvement de tempérance, bien qu’elle n’y remporte que de rares succès. Dans les années 1960, en dépit de ses efforts contre la consommation de drogues, l’organisation apparaît comme inspirée par un type de réforme morale plutôt vieux jeu, qui ne trouve plus écho dans la société dans son ensemble.

En outre, la professionnalisation du travail social signifie que le rôle des femmes sans formation issues de la classe moyenne en matière de travail communautaire s’en trouve diminué. La recherche médicale et en sciences sociales prend également la relève de l’analyse par la WCTU des effets sociaux de la consommation d’alcool, menant à une érosion encore plus prononcée de la pertinence de l’organisation.

De nos jours, malgré des effectifs réduits, la Canadian Woman’s Christian Temperance Union continue de faire partie de l’organisation mondiale. Elle met l’accent sur la sensibilisation de la société canadienne aux dangers de l’alcool, du tabac et autres drogues. En 1995, elle comptait 1 700 membres réparties dans 67 sections, par rapport à 2 473 en 1987.

Voir aussi Mouvement pour la tempérance.

Lecture supplémentaire