William Aberhart | l'Encyclopédie Canadienne

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William Aberhart

William « Bible Bill » Aberhart, enseignant, évangéliste radiophonique, premier ministre de l’Alberta de 1935 à 1943 (né le 31 décembre 1878 dans le canton de Hibbert, comté de Perth, en Ontario; décédé le 23 mai 1943 à Vancouver, en Colombie-Britannique). Figure importante du sectarisme religieux dans l’Ouest canadien, William Aberhart dirige le premier gouvernement crédit social jamais arrivé au pouvoir. Ce parti va dominer la vie politique en Alberta jusqu’en 1971.
Aberhart, William
William Aberhart, avec \u00e0 sa droite le premier ministre R.B. Bennett (avec la permission des Provincial Archives of Alberta).

Enfance, formation et famille

William Aberhart, quatrième d’une fratrie de huit enfants mis au monde par Louisa (née Pepper) et William Aberhart (né de parents prussiens), passe son enfance dans le comté de Perth jusqu’au déménagement de sa famille dans une ferme située près d’Egmondville, dans le comté de Huron.

Le jeune William Aberhart poursuit sa scolarité au Seaforth Collegiate Institute, où sa corpulence fait de lui un des atouts de l’équipe de football de l’école. En 1896, après deux années au sein de cet établissement, il s’inscrit aux cours d’apprentissage de l’enseignement offerts par la Mitchell Model School. Il suit ensuite des cours pendant quatre mois au Chatham Business College, puis retourne au Seaforth Collegiate Institute pour terminer ses études secondaires. Il reçoit ultérieurement une formation supplémentaire d’enseignant à la Ontario Normal School (voir École normale) d’Hamilton, dont il sort diplômé en 1898.

C’est dans cette école qu’il étudie pour la dernière fois en salle de classe, puisqu’il effectuera dorénavant toutes ses études par correspondance. Privé d’interaction avec les enseignants et les autres étudiants, ces études à distance l’empêchent cependant de développer ses capacités de raisonnement analytique. Il s’appuie plutôt sur la mémorisation par cœur, exploitant sa mémoire quasi photographique. Aberhart devient ainsi un penseur aux idées cloisonnées, qui sera plus tard capable, dans l’exercice de ses responsabilités religieuses ou politiques, de soutenir parfois simultanément plusieurs opinions contradictoires.

En 1901, William Aberhart rencontre Jessie Flatt, qui a assisté à un de ses matchs de football. Ils se marient en 1902 et ont deux filles, Khona (1903) et Ola (1905). Les ambitions sociales de Jessie dépassent celles de son mari, ce qui engendre des tensions au sein du couple. Jessie laisse également ses deux filles adolescentes défier les objections que formule leur père à l’encontre de la danse et du cinéma. Aberhart est par ailleurs très occupé par ses activités professionnelles dans l’enseignement et, de plus en plus, par son engagement dans le secteur religieux (puis sur la scène politique), ce qui lui laisse peu de temps pour la vie en famille.

Carrière dans l’enseignement

William Aberhart commence sa carrière d’enseignant dans le comté de Huron. En 1901, il accepte un poste à Brantford, où il devient finalement directeur de la Brantford Collegiate Institute & Vocational School. Il suit parallèlement des cours par correspondance pour l’obtention d’un baccalauréat ès arts de l’Université Queen’s (qu’il obtient en 1911, après son déménagement en Alberta). Dans un essai rédigé en 1903, il vante la « New Model Army » d’Oliver Cromwell, et suggère qu’une structure militaire et une discipline similaires pourraient être adoptées en salle de classe.

En 1910, Aberhart accepte un poste plus lucratif que lui propose le Conseil scolaire de Calgary et devient ainsi directeur de l’École Alexandra puis de l’École Victoria. En 1915, il est directeur de l’école secondaire Crescent Heights où il se charge de tout organiser, y compris les clubs d’étudiants. Cette tendance à la microgestion frustre certains membres du personnel et huit d’entre eux s’en plaignent auprès de la commission scolaire. L’enquête terminée, trois de ces détracteurs sont transférés dans d’autres écoles, mais on lui signifie qu’il perdra son poste si les plaintes continuent. Aberhart restera à son poste de directeur de l’école secondaire Crescent Heights jusqu’en 1935.

Croyances et activités religieuses

L’enseignement est la vocation de William Aberhart, mais la prédication devient sa passion. Ses parents n’ont jamais été des fervents de l’église, mais dans son enfance, il se rend à l’école du dimanche offerte par une église presbytérienne voisine.

Dès le début de sa carrière d’enseignant, Aberhart est exposé à la théologie sectaire des Frères de Plymouth, probablement par la lecture des romans apocalyptiques de Sydney Watson, dont il fera plus tard la promotion. Il commence à prêcher durant les fins de semaine, dans Brantford et ses alentours. Il ne possède alors aucune formation théologique autre que celle acquise dans le cadre des cours par correspondance de Cyrus Scofield, qui vulgarisent à l’époque les idées des Frères de Plymouth. Cyrus Scofield explique notamment les contradictions juridiques qui émaillent les textes bibliques en divisant les temps bibliques en différentes périodes associées chacune à une législation différente. Ce « dispensationalisme » devient le pilier de la théologie d’Aberhart, même s’il ne s’harmonise pas avec la théologie de l’église presbytérienne à laquelle il appartient.

Après son arrivée à Calgary en 1910, Aberhart devient un aîné de la prestigieuse église presbytérienne Grace tandis qu’il continue sa prédication laïque et son enseignement biblique. Après avoir été impliqué dans un léger différend (pour lequel il sera par la suite innocenté), il quitte l’obédience en 1912. Il rejoint un temps les méthodistes, mais son leadership et sa théologie posent problème.

En 1915, il devient le pasteur non officiel de l’Église baptiste Westbourne. Malgré les tentatives des chefs de l’Église baptiste de le chasser, sa congrégation lui reste fidèle. Après s’être associé brièvement à un pasteur pentecôtiste en 1920, il commence à présenter des pratiques et des doctrines « charismatiques » dans l’église, parallèlement à son dispensationalisme et à son intérêt pour la « prophétie » biblique, au grand désarroi des pasteurs baptistes locaux. Il s’identifie au mouvement fondamentaliste, en pleine croissance, et devient de plus en plus hostile aux confessions religieuses courantes.

En 1918, Aberhart met sur pied un groupe d’étude biblique, la Calgary Prophetic Bible Conference, au sein de l’Église baptiste Westbourne. Lorsque les participants deviennent trop nombreux pour l’édifice, il tient ses conférences dans divers théâtres, les dimanches après-midi. Dès 1923, il assure des cours du soir en théologie dans le sous-sol de l’Église baptiste Westbourne. Il prend aussi conscience des possibilités qu’offre la radio et en 1925, il commence à radiodiffuser ses services du dimanche après-midi sur CFCN, à l’époque la station la plus puissante à l’est de Montréal. Cette même année, il crée la Radio Sunday School Mission (mission radiophonique de l’école du dimanche), qui envoie des leçons aux enfants dans tout l’ouest du Canada et le nord des États-Unis. En 1939, plus de 9 000 enfants sont inscrits et participent au programme.

Les installations dont il dispose étant désormais trop petites pour abriter l’école biblique et les foules attirées par ses réunions du dimanche après-midi, il ouvre en 1927 le Calgary Prophetic Bible Institute où il va assurer lui-même un bon nombre de ses cours. La congrégation de l’Église baptiste Westbourne y déménage également. Aberhart dirige alors l’église et l’institut et produit des émissions radiodiffusées tout en étant directeur de l’école secondaire Crescent Heights.

En 1929, les activités religieuses d’Aberhart soulèvent déjà depuis quelque temps les préoccupations du Conseil scolaire de Calgary, en particulier après le dépôt de plaintes l’accusant d’avoir demandé à des étudiants de remplir des enveloppes pour son organisation religieuse durant les heures d’école. Alors qu’il se bat pour conserver son poste, la plupart des membres de la congrégation de l’Église baptiste Westbourne se séparent de lui et retournent dans leur ancien édifice. Certains d’entre eux sont irrités d’avoir perdu de l’argent dans un système de Ponzi dont Aberhart a fait la promotion tandis que d’autres s’opposent à ses tentatives de placer les fonds de construction de l’église dans ce système.

Aberhart forme sa propre secte, la Bible Institute Baptist Church, mais au cours des dix années qui suivent, les pasteurs qu’il embauche vont fréquemment se révolter contre sa gestion dominante et ses idées.

La crise des années 1930 et le Crédit social

La crise des années 1930 est dévastatrice pour l’économie agricole des Prairies et la misère se répand partout. L’incapacité des partis politiques de trouver des solutions au problème de la « pauvreté dans un contexte d’abondance » pousse les Albertains à chercher d’autres remèdes. Les idées économiques que William Aberhart défend dans ses émissions religieuses radiodiffusées les attirent.

S’étant jusque-là tenu à l’écart de la politique, Aberhart s’intéresse, en 1932, aux doctrines de réforme monétaire du major Clifford Hugh Douglas, un ingénieur britannique (1879-1952) qui pense que le capitalisme classique s’effondrera éventuellement, le contrôle privé du crédit engendrant nécessairement une insuffisance chronique du pouvoir d’achat. La solution, selon Hugh Douglas, demeure la surveillance étatique du crédit et l’augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs grâce à la distribution de rabais baptisés dividendes nationaux. Son analyse économique est fondamentalement biaisée et semble être en partie le fruit de son antisémitisme.

Aberhart, qui s’oppose à l’antisémitisme mais ignore presque tout des opinions réelles de Hugh Douglas, n’a fait qu’adopter l’analyse économique simpliste et les mots à la mode utilisés par ce dernier. Il rend ainsi populaire la théorie du crédit social en mettant en avant son propre projet selon lequel chaque citoyen pourra recevoir un dividende mensuel de base de 25 $ par mois pour acheter les articles de première nécessité.

En 1933, William Aberhart détaille ses idées dans un petit prospectus anonyme intitulé The Douglas System of Economics – aussi connu sous le nom de « dépliant jaune » – qu’il a rédigé avec l’aide du communiste H.B. (Hilly) Hill. Le dépliant propose la régulation totale de l’économie, notamment la conversion des comptes bancaires personnels en obligations provinciales qui viennent à échéance lors du décès de leur propriétaire, l’abolition des assurances vie et des héritages et l’instauration d’un plafond pour les revenus personnels. Le crédit est censé remplacer l’argent qui ne sera utilisé que par le gouvernement pour les transactions extraprovinciales. Tout crédit, que ce soit des dividendes ou une rémunération gagnée, devra être dépensé ou converti en obligations du gouvernement avant la fin de l’année sous peine d’être confisqué. Le statut de citoyen sera « clairement défini et étroitement encadré ». Il ne sera pas accordé aux « individus sans mérite ». Les citoyens seront « formés à des métiers utiles » et « orientés pour ce qui est de l’utilisation de leur temps libre ». Les personnes non conformistes seront lourdement taxées.

Le projet d’Aberhart n’est autre qu’un système totalitaire de fichage des citoyens géré par une agence de crédit étatique. On y décèle quelques influences du Manifeste du parti communiste, mais Aberhart s’est également beaucoup inspiré des romans utopiques de l’auteur socialiste américain Edward Bellamy (1850-1898), qu’il a lus avant 1929. Plusieurs groupes en Amérique du Nord et en Europe ont essayé de concrétiser politiquement les idées de Bellamy.

Le concept de crédit social présenté par Aberhart provoque un débat d’idée si vigoureux que le gouvernement de l’Alberta l’invite, en compagnie de Hugh Douglas, à faire une présentation devant un comité législatif en 1934. Des correspondances privées montrent que l’objet réel de la réunion est en fait de mettre en évidence leurs différences et en particulier de discréditer Aberhart. Lorsque Hugh Douglas et Aberhart se rencontrent, comme prévu, le courant ne passe pas. En public, Hugh Douglas déclare que le crédit social ne peut être mis en place qu’après un coup d’État militaire ou le contrôle complet du gouvernement fédéral. En privé, il réfute les opinions d’Aberhart et accuse celui-ci de tromperie. Dans un élan cynique visant à torpiller l’Influence d’Aberhart, le gouvernement provincial embauche Hugh Douglas en qualité de conseiller économique.

Aberhart ne se laisse cependant pas abattre. Rejetant la solution militaire avancée par Hugh Douglas (tout en continuant à revendiquer le soutien de ce dernier), il lance un mouvement populaire afin de promouvoir le concept de crédit social. Il crée des pièces de théâtre satiriques diffusées à la radio et fait la tournée de la province, rencontrant pour la première fois un grand nombre de ses auditeurs et se construisant ainsi une large base de partisans. Le Conseil scolaire de Calgary s’inquiète à nouveau du fait qu’Aberhart prend trop de liberté avec son emploi du temps et il lui suggère de démissionner.

Lorsqu’en 1935, les partis politiques existants (en particulier les Fermiers unis de l’Alberta) rejettent ses propositions économiques, Aberhart décide de faire entrer la Social Credit League de l’Alberta dans l’arène politique. Il promet qu’en cas de succès aux élections, Hugh Douglas serait appelé pour piloter le système.

Lors des élections provinciales du 22 août 1935, le parti d’Aberhart, Crédit social de l’Alberta, remporte 56 des 63 sièges à l’Assemblée législative albertaine et chasse les Fermiers unis de l’Alberta du pouvoir. Aberhart ne s’est pas présenté lui-même aux élections, n’envisageant de démissionner de son poste de directeur qu’en cas de victoire de son parti. Il devient premier ministre et prend en charge le portefeuille de l’Éducation. Un siège facile à l’Assemblée est rapidement laissé vacant pour qu’il puisse se présenter lors d’une élection partielle (qu’il remporte par acclamation).

Aberhart premier ministre et gouvernement créditiste

Dès la victoire du Crédit social de l’Alberta aux élections, William Aberhart envoie un télégramme à Hugh Douglas, mais celui-ci refuse de venir en Alberta pour l’aider. Aberhart n’a aucun plan en place, et les gens demandent leurs 25 dollars de dividendes. Il se rend compte que les caisses de la Province sont vides, les investisseurs ayant revendu leurs obligations de l’Alberta et transféré leurs comptes bancaires à l’extérieur de la province, craignant les mesures qu’Aberhart pourrait prendre. Pour financer les dépenses de son gouvernement, Aberhart en est réduit à mendier des fonds d’urgence au gouvernement fédéral.

En 1936, le gouvernement d’Aberhart déclare que les Albertains doivent désormais signer un « convenant d’enregistrement » dans lequel ils promettent au gouvernement d’Aberhart de satisfaire aux critères pour la perception des dividendes promis. Les covenants sont signés par la plupart des gens, qui craignent de perdre leurs droits civiques. Ils doivent également demander la permission de voyager en dehors de la province lorsqu’ils partent pour plus d’un mois.

Aberhart essaie par ailleurs un certain nombre de mécanismes plus ou moins douteux pour relancer l’économie. En 1937, il doit faire face à une crise au sein de son caucus après l’échec de ses « certificats de prospérité ». Les commerçants et même les organismes gouvernementaux n’acceptent pas ces certificats qui sont vus comme de la monnaie de singe. La crise se conclut par la création du Social Credit Board, dont les responsables prennent contact avec Hugh Douglas pour demander son aide. Celui-ci envoie deux émissaires d’Angleterre qui prennent le contrôle du Cabinet – un épisode inédit dans une démocratie. La première directive de Hugh Douglas (qui sera un échec) consiste à remplacer la GRC par une force de police du Crédit social commandée par ses agents.

Les hommes de Hugh Douglas rédigent rapidement des lois contre la presse, les banques et les employés de banque. Le procureur général John Hugill démissionne après avoir déclaré cette législation inconstitutionnelle. Sans aucune formation de juriste, Aberhart se retrouve au poste de procureur général et essaie de faire passer la législation, mais celle-ci est désavouée par le gouvernement fédéral. L’influence de Hugh Douglas diminue à nouveau lorsque George F. Powell, l’un de ses émissaires, et Joe Unwin, le whip du parti, sont arrêtés pour diffamation et incitation au meurtre. Ils ont en effet publié un tract incendiaire dans lequel ils appellent à l’extermination des « lèche-bottes des banquiers », une expression qui désigne neuf personnalités éminentes qui s’opposent au gouvernement du Crédit social, parmi lesquelles David Duggan, chef du Parti conservateur. Aberhart essaie de bloquer les poursuites, mais George Powell et Joe Unwin sont finalement reconnus coupables de diffamation et emprisonnés. George Powell sera par la suite déporté par le gouvernement fédéral.

En 1940, Aberhart se présente à nouveau et gagne avec une majorité réduite. Les plans relatifs au crédit social sont mis de côté jusqu’à la fin de la guerre, qu’il ne verra jamais. Aberhart meurt en effet le 23 mai 1943 alors qu’il rend visite à sa famille, à Vancouver. Son ami et protégé, Ernest C. Manning, premier diplômé du Prophetic Bible Institute (et père de Preston Manning), lui succède au poste de premier ministre. Le parti Crédit social de l’Alberta restera au pouvoir jusqu’en 1971.

Sous les directions successives d’Aberhart et de Manning, le Crédit social de l’Alberta soutient l’eugénique, comme le font un certain nombre de personnalités canadiennes influentes à l’époque (notamment les réformistes sociaux Emily Murphy et Nellie McClung). En 1928, l’Alberta adopte la Sexual Sterilization Act, qui définit les conditions requises pour la stérilisation de certains patients des hôpitaux psychiatriques. Le patient en question (ou son gardien, ou représentant) doit notamment donner son consentement. Cette loi sera modifiée à deux reprises durant le mandat d’Aberhart en tant que premier ministre et procureur général, notamment afin de supprimer la clause de consentement éclairé dans le cas des personnes considérées comme étant « défectueuses ». La stérilisation eugénique continue à bénéficier d’un soutien sous le gouvernement créditiste d’Ernest Manning. Il faudra attendre l’élection du premier ministre progressiste-conservateur Peter Lougheed pour que cette loi soit abrogée.

Aberhart était-il un fasciste ou un dictateur?

Il est difficile de placer précisément William Aberhart sur l’échiquier politique. Certaines études suggèrent qu’Aberhart serait de droite, mais plusieurs indices historiques prouvent qu’il était en fait encore plus à gauche que la Co-operative Commonwealth Federation (CCF) socialiste. En 1933 et 1934, il collabore stratégiquement avec les chefs de la CCF en Alberta : ils annoncent mutuellement leurs réunions et Aberhart autorise la CCF à se réunir dans les locaux de son Calgary Prophetic Bible Institute.

Lorsque Aberhart arrive au pouvoir, la Pravda de Moscou demande à son journaliste de faire un papier sur cette expérience de gauche hors du commun. Le ton de gauche adopté par le gouvernement d’Aberhart attire le soutien du Parti communiste. En 1937, les membres de ce parti distribuent les « Alberta blue pledges », qui remplacent les « Alberta citizens’ registration covenant » (covenants d’enregistrement des citoyens de l’Alberta). Lorsque Joe Unwin est libéré de prison, les chefs du Crédit social et du Parti communiste célèbrent ensemble l’événement en se donnant mutuellement du « camarade! ». Les opinions exprimées par Aberhart et les contacts qu’il a entretenus montrent qu’il n’était ni de droite ni conservateur. Il apparaît plus comme un héritier des penseurs de gauche tels que Karl Marx et Edward Bellamy que de Douglas et de sa version du capitalisme.

Stewart Cameron, un caricaturiste du Calgary Herald, a souvent croqué Aberhart en lui attribuant un caractère fasciste ou nazi (un de ses dessins, daté du 28 septembre 1938, dépeint Aberhart comme le « Oh-You--Nazi Man »). C’est l’association d’Aberhart aux idées de Hugh Douglas, antisémite de droite virulent, qui a en grande partie suscité la connotation de nazisme. Les principaux soutiens de Hugh Douglas comme Oswald Mosley, Ezra Pound et le 12e duc de Bedford, entretiennent eux des contacts avec des nazis haut placés.

Aberhart dénonce le nazisme, mais il adopte une philosophie politique emprunte de caractéristiques dictatoriales et totalitaires, même si on y distingue aussi des aspects socialistes. Lorsque la presse décrit ses politiques comme dignes d’un dictateur, il refuse de s’excuser : « L’esprit du Christ s’est emparé de moi. Je ne cherche qu’à nourrir, habiller et abriter les gens qui meurent de faim. Si vous appelez ça agir comme un dictateur, alors j’en suis un. »

Comme dans un État fasciste, le parti d’Aberhart devient l’« État » lui-même et essaie de contrôler toutes les facettes de la vie économique. Sur la scène internationale, l’Alberta est perçue comme étant fasciste parce que sa législation, inspirée des thèses de Hugh Douglas, prive les journalistes et les employés de banque de leurs droits civiques. Les journaux sont par exemple obligés d’imprimer tout ce que le gouvernement leur envoie et de révéler toutes les sources de leurs articles, ainsi que le nom et l’adresse des éditorialistes et les lettres adressées à la rédaction. Les rédacteurs en chef qui refusent d’obtempérer peuvent voir la publication de leur journal suspendue et être condamnés à payer une amende maximale de 1 000 dollars par jour tant qu’ils persistent à ne pas respecter la loi. Le fonctionnement journalier des institutions financières est soumis à la dictature du Social Credit Board. L’indépendance du lieutenant-gouverneur fait l’objet de diverses restrictions après le refus de celui-ci de signer d’autres lois draconiennes. En 1938, le prix américain Pulitzer pour la liberté de la presse est décerné à l’Edmonton Journal « pour ses prises de position éditoriales en faveur de la liberté de la presse dans la province de l’Alberta, au Canada ».

Importance

Le gouvernement de William Aberhart n’a pas pu mettre en œuvre les politiques relatives au crédit social, mais il a créé plusieurs projets de travaux publics et programmes d’allègement de dette. Ses moratoires sur le recouvrement de dettes, qui sauvent plusieurs fermes et foyers, seront cependant annulés par le gouvernement fédéral et les tribunaux. Il a également introduit quelques mesures dans le domaine de la santé et adopté des lois progressistes sur le travail, mais celles-ci n’avaient rien à voir avec le crédit social. En tant que ministre de l’Éducation, il est réputé pour avoir professionnalisé les enseignants, fusionné les districts scolaires et normalisé les programmes.

Aberhart a eu un impact marqué sur la politique canadienne. Le radicalisme extrême de son gouvernement est l’un des facteurs qui ont motivé la mise en place de la Commission royale d’enquête sur les relations fédérales-provinciales en 1937. À l’extérieur de l’Alberta, un parti créditiste non aberhartien a dirigé la Colombie-Britannique pendant de nombreuses années, et des candidats créditistes douglasiens ont remporté quelques sièges au niveau fédéral.

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