Bagel de Montréal | l'Encyclopédie Canadienne

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Bagel de Montréal

Le bagel de Montréal est l’une des collations les plus emblématiques du Canada et les plus prisées par la population. Ses origines demeurent toutefois controversées et incertaines. Une théorie prétend que c’est un boulanger juif viennois qui aurait mis au point la première recette de bagel à la fin du 17e siècle. Il aurait conçu un petit pain en forme d’étrier pour l’équitation (beugel en allemand autrichien) comme cadeau pour le roi de Pologne, Jean III Sobieski, qui venait de repousser les forces ottomanes lors de la bataille de Vienne en 1683, les empêchant ainsi d’imposer leur domination à ses compatriotes. À partir de ce point de départ, si l’on s’en tient à cette version, le beugel aurait été introduit dans la cuisine polonaise populaire, devenant, sans que l’on sache très bien pourquoi, un cadeau traditionnel offert aux nouvelles mamans. Enfin, il aurait voyagé vers l’est, jusqu’en Russie, où il aurait pris le nom de bubliki pour être essentiellement vendu dans les rues grouillantes des villes.
Bagels de Montréal


Les bagels arrivent à Montréal

Quelle que soit la version de la création du bagel retenue, ce qui ne fait aucun doute, c’est qu’il a été introduit, tel que nous le connaissons aujourd’hui, à Montréal, avec la vague d’immigration juive en provenance d’Europe de l’Est du début des années 1900, la plupart de ces immigrants juifs s’installant dans le quartier du Mile-End dans la partie nord‑est de la ville. Ceci étant établi, il n’en demeure pas moins que divers récits coexistent quant à l’identité précise de la personne qui aurait introduit le bagelà Montréal. Certains disent qu’il s’agissait d’Isadore Schlafman, dont le père tenait une boulangerie à Kiev, qui cuisait et vendait des bagels dans une petite boutique d’une ruelle donnant sur le boulevard Saint‑Laurent. D’autres jurent que le premier était Hyman Seligman, de Dvinsk en Russie, qui vendait, dans tout le Mile-End, des bagelsà la douzaine dans un chariot tiré par des chevaux.

Il est vraisemblable que l’on ne saura jamais qui a vraiment cuit le premier bagel de Montréal.

L’entreprise Fairmount Bagel, rebaptisée plus tard The Original Fairmount Bagel Factory, a été ouverte sur la rue Fairmount par Isadore Schlafman en 1949. En 1957, Hyman Seligman et Myer Lewkowicz ouvrent St‑Viateur Bagel, une rue au nord de la rue Fairmount. Bien évidemment, ces deux boulangeries, qui fonctionnent encore aujourd’hui, revendiquent la production des bagels les plus savoureux et les plus authentiques de Montréal, chacune ayant sa clientèle fidèle.

Les bagels se démocratisent

Tout au long de la première moitié du 20e siècle, les bagels nord‑américains sont presque exclusivement produits et vendus au sein des communautés juives. L’ouverture, à New Haven dans le Connecticut, d’une usine de fabrication de bagels par Harry Lender, un boulanger né en Pologne, marque la première étape de la diffusion à grande échelle de ce produit. En augmentant ses niveaux de production, il est en mesure de commercialiser ses bagels dans des magasins non‑juifs et, dans les années 1950, on peut les trouver préemballés dans des épiceries non‑cachères. Le terme bagel lui‑même, dans sa version anglaise, s’installe dans le grand public, notamment, à l’occasion de la comédie de Broadway de 1951 Bagel and Yox.

Dans les années 1970, les bagels sont produits en masse à la machine, congelés puis expédiés dans des supermarchés dans tous les États‑Unis, emballés par six dans des sacs en polyéthylène. Cette popularisation du bagel s’étend au Canada au‑delà de la frontière, permettant à la version montréalaise de déborder sa base ethnique de consommateurs.

Toutefois, contrairement à son homologue new‑yorkais, le bagel montréalais évolue très peu dans son mode de fabrication en dépit d’une demande accrue. Pour fabriquer un bagel de Montréal, on commence par ébouillanter la pâte dans de l’eau adoucie au miel, puis on la roule à la main et enfin on la cuit dans un four à bois. La recette contient de la farine de malt, mais ni sel ni œufs. Le résultat donne un pain plus croustillant, légèrement plus sucré, plus plat et plus compact que le bagel new‑yorkais, plus lisse et plus gonflé.

On pourrait dire que les bagels de Montréal et de New York possèdent tous deux des caractéristiques reflétant certains traits des communautés au sein desquelles ils ont vu le jour. Coincée dans une position plutôt inconfortable entre la classe anglophone dominante et la majorité francophone, la population immigrante juive de Montréal doit faire face à des vagues d’hostilité tout au long de la première moitié du 20e siècle, ce qui l’amène à se doter d’une « carapace épaisse », à privilégier la chaleur du « cercle communautaire » et à resserrer les liens tissés entre ses membres, des caractéristiques qui ne sont pas sans rappeler la forme et la texture du bagel de Montréal. D’un autre côté, le bagel de New York, cuit à l’origine dans les rues du Lower East Side où grouille une foule d’immigrants, semble vouloir gonfler indéfiniment comme s’il voulait se mélanger à son environnement dans un geste fusionnel grandiose, la pâte aérienne enrobée d’une croûte molle contenant tous les espoirs et toutes les illusions du rêve américain.

Les débats visant à déterminer le meilleur bagel, entre celui de Montréal et celui de New York, font rage depuis des décennies. La critique gastronomique Phyllis Richman a écrit dans le Washington Post que « le meilleur bagel des Amériques [venait de] Montréal et non pas de New York », tandis que l’ancienne critique du New York Times Mimi Sheraton rejette impitoyablement le petit pain en forme d’anneau fabriqué au nord de la frontière : « Je les trouve très mauvais, je ne crois pas qu’on puisse même les appeler bagels. »

Le bagel de Montréal dans la culture populaire

On trouve, dans la littérature, de nombreuses références au bagel de Montréal, notamment dans des œuvres comme Saturday Night at The Bagel Factory and Other Stories de Donald Bell. De façon encore plus frappante, le générique d’ouverture de l’adaptation cinématographique du roman emblématique de Mordecai Richler, The Apprenticeship of Duddy Kravitz (trad.L’apprentissage de Duddy Kravitz, 1976), montre Richard Dreyfuss, qui joue Duddy, achetant une pile de bagels dans un magasin qui ressemble à s’y méprendre à la boulangerie St‑Viateur Bagel.

Depuis qu’ils sont sortis pour la première fois d’un four, les bagels de Montréal continuent d’évoquer passion, inspiration et débat, et l’on peut sans peine imaginer qu’il en sera ainsi pour longtemps encore. Ceux qui les aiment leur vouent un culte sans limite : en 2008, l’astronaute montréalais Greg Chamitoff emporte avec lui 18 bagels Fairmount pour son voyage vers la Station spatiale internationale.