Philosophie : Éthique, philosophie sociale et politique | l'Encyclopédie Canadienne

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Philosophie : Éthique, philosophie sociale et politique

L'éthique est la branche de la philosophie qui s'intéresse aux valeurs et aux actes, qu'ils soient bons, mauvais ou appropriés, aux obligations et aux droits, à la justice et aux structures politiques et sociales idéales.

Philosophie : Éthique, philosophie sociale et politique

L'éthique est la branche de la philosophie qui s'intéresse aux valeurs et aux actes, qu'ils soient bons, mauvais ou appropriés, aux obligations et aux droits, à la justice et aux structures politiques et sociales idéales. Les philosophies sociale et politique, elles, forment souvent des sous-catégories de l'éthique.

Canada anglais

Depuis 1950, les philosophes du Canada anglais approfondissent l'étude des valeurs, notamment l'éthique (Qu'est-ce ce qui différencie, le cas échéant, un acte bon d'un acte mauvais?), les philosophies sociale et politique (Quels principes utiliser pour évaluer les groupes sociaux et les institutions politiques?) et la philosophie du droit (Quelles sont les normes inhérentes à la loi? Quel lien entretiennent-elles avec les règles morales?). Certains de ces travaux sont issus de réflexions sur des personnages célèbres de l'histoire de l'éthique : Hobbes, Hume, Kant, Hegel et Marx. Ce genre de travaux mène souvent à des réponses partielles originales aux grandes questions normatives. Néanmoins, la plupart des travaux réalisés au cours de cette période s'attaquent davantage aux problèmes reliés à l'éthique qu'à son histoire. On privilégie l'approche « analytique », traditionnellement anglaise, plutôt que l'approche européenne actuelle. Les principaux travaux dont il est question ici peuvent être divisés en trois catégories : méta-éthique, éthique théorique et politique, philosophie appliquée.

Au Canada français

Durant les années 50, la réflexion philosophique sur l'éthique au Québec continue d'être enracinée dans la tradition aristotélico-thomiste et l'enseignement de l'Église catholique. La fin de la décennie est marquée par un changement profond. Le pluralisme entre en scène, alors que la tradition scolastique et systématique décline avec la nouvelle génération de philosophes intéressés à l'histoire de la pensée et à la comparaison entre les diverses écoles de philosophie et les divers systèmes de valeurs.

Méta-éthique

La méta-éthique, la plus abstraite des trois catégories, est celle qui reçoit le plus d'attention au cours des années 60. Elle s'intéresse principalement à la signification et à la pertinence des affirmations morales, comme en discute Francis Sparshott dans son ouvrage Enquiry into Goodness and Related Concepts (1958). Sa seconde préoccupation concerne la relation entre l'intérêt personnel et la moralité. Certains philosophes, Gauthier par exemple, dans Morals by Agreement (1986), soutiennent que l'intérêt personnel est le fondement de la moralité, mais la plupart d'entre eux, Kai Nielsen par exemple, rejettent cette affirmation et la vision de la moralité qui y est implicite.

L'une des plus grandes préoccupations est ce que David Braybrooke qualifie de « croisement éthopolitique », soit la jonction entre la philosophie de l'histoire et des sciences sociales et la philosophie sociale et politique. Braybrooke, Donald Brown, Charles TAYLOR, Jonathan Bennett et Gerald Cohen ont effectué des recherches remarquables sur la différenciation scientifique et normative des comportements humain. Ils ont établi une liste de critères pour les actes rationnels et moraux en ce qui a trait à l'approche normative. La plupart des questions fondamentales continuent d'alimenter les débats en méta-éthique, surtout celles qui déterminent la portée des critères définitifs servant à trouver des solutions aux enjeux moraux, politiques et juridiques (comme dans Reason and Value d'E.J. Bond, 1983).

Élaboration de théories

Les philosophes canadiens ont également été actifs dans la deuxième catégorie, c'est-à-dire l'élaboration de théories. Ils ont élaboré la plupart de leurs théories petit à petit, se concentrant sur l'évaluation des théories opposées relatives aux aspects dominants de la vie morale, par exemple les relations interpersonnelles, les émotions, les punitions, les droits et les obligations légales et morales. Des efforts sont également déployés à une échelle plus large en vue de défendre les principales théories qui s'affrontent : utilitarisme, droits individuels et marxisme. Ces théories proposent différentes réponses à la question de savoir si la quête de la justice est essentiellement négative (le chacun pour soi) ou également positive (invitant les individus sans problèmes à aider leurs semblables en difficulté). Depuis le milieu des années 70, en philosophie de la politique, on assiste à un polarisation entre le collectivisme de Marx (par exemple dans l'ouvrage de Kai Nielsen, Equality and Liberty, 1985) et l'individualisme libertaire (par exemple dans l'ouvrage de David Gauthier, Morals By Agreement, 1985). Les défenseurs du statu quo sont demeurés discrets, peut-être parce qu'ils concentrent leurs efforts sur la troisième catégorie.

Philosophie appliquée

Jusqu'au milieu des années 70, la plupart des philosophes se penchent sur la méta-éthique et l'élaboration de théories. Leurs ouvrages sont principalement destinés aux autres philosophes, et ils fréquentent peu les spécialistes d'autres disciplines et le grand public. Aujourd'hui, la plupart des département de philosophie offrent des cours en éthique biomédicale, en éthique des affaires et professionnelle ainsi que sur les problèmes moraux, politiques et juridiques. Grâce à l'enseignement partagé, aux rencontres interdisciplinaires et à la mise sur pied d'instituts (par exemple le Westminster Institute for Ethics and Human Values à London, en Ontario) et de sociétés (par exemple la Canadian Section for Philosophy of Law), les contacts avec d'autres spécialistes oeuvrant dans des domaines connexes augmentent, permettant l'étude des grandes questions morales.

De plus en plus, les philosophes orientent leurs théories vers les problèmes pratiques, tels que les droits des autochtones, la discrimination envers les femmes, l'enseignement moral, l'énergie nucléaire et la guerre. L'ouvrage utilitariste Abortion and Moral Theory (1981) de Wayne Sumner illustre bien cette situation. Ils portent également leur attention sur les problèmes spécifiquement canadiens, comme en témoignent les échanges de 1979 sur la CONFÉDÉRATION et la SOUVERAINETÉ-ASSOCIATION.

Grâce à sa CHARTE CANADIENNE DES DROITS ET LIBERTÉS, la Constitution de 1982 fait également l'objet d'études philosophiques de la part de philosophes préoccupés par l'aspect légal et par des juristes à préoccupation philosophique. L'ampleur de l'intérêt porté aux problèmes canadiens semble être l'élément qui différencie les travaux en philosophie politique et juridique menés au pays par rapport à ceux menés ailleurs (par exemple le récent débat sur la nature et l'importance des droits collectifs aux niveaux linguistique, religieux, autochtone, etc.). Parmi les anthologies récentes en éthique théorique et appliquée, on note l'ouvrage de Stanley French, Philosophers Look at Canadian Confederation (1979), et celui de Wesley Cragg, Contemporary Moral Issues (2e éd., 1987).

Prise de conscience des philosophes canadiens

Bien que l'intérêt envers la philosophie appliquée ait augmenté au cours des dernières années, les théories normatives et les opinions méta-éthiques sont toujours implicites dans certains domaines d'application. Les philosophes se plaisent à expliciter ces opinions implicites et à les soumettre à la critique. Cela signifie que les philosophes reviennent inévitablement aux questions fondamentales sur le statut et la justification des règles morales, politiques, sociales et juridiques. Enfin, alors que les philosophes canadiens contribueront probablement de plus en plus et de façon notable aux échanges publics sur des enjeux moraux, il faut noter qu'ils ne sont pas parvenus jusqu'à présent à se faire connaître en dehors des départements de philosophie des universités, à l'exception notable de Charles TAYLOR et de George GRANT. Ces deux philosophes soulèvent des questions sur l'évolution technologique, et ils critiquent les présupposés moraux de la société industrielle moderne. Taylor s'inspire des philosophes européens des XVIIIe et XIXe siècles, notamment Hegel. Quant à Grant, il s'inspire des philosophes de l'Antiquité et de la doctrine chrétienne. Tous deux, et en particulier Grant, ont réussi à attirer de nombreux partisans parmi les cercles philosophiques professionnels.

MICHAEL MCDONALD

Rupture avec la tradition

Depuis les années 60, les courants philosophiques ont considérablement changé au Québec ainsi que toute la manière de philosopher. Au cours des années 60, la philosophie a fait écho à la RÉVOLUTION TRANQUILLE. Le marxisme et l'existentialisme sont devenus les véhicules du changement dans les valeurs ainsi que dans le contenu de la recherche et de l'enseignement de la philosophie. Quelques philosophes sociopolitiques s'interrogent sur les structures et les valeurs de la société québécoise, sur ses valeurs culturelles, sur ses structures de pouvoir et sur ses idéologies. Parmi les travaux importants en ce domaine, il faut mentionner ceux de Fernand Dumont : Le pouvoir dans la société canadienne-française (1966), Le lieu de l'homme (1968) et La vigile du Québec, octobre 1970 : l'impasse? (1971). Au cours de cette période, un groupe de recherche sur l'idéologie a été fondé et dirigé par Claude Savary.

Dans les années 70, les publications en philosophie sociale et politique se font plus nombreuses et plus diversifiées, tels les essais plus personnels et plus populaires de penseurs impliqués dans les questions sociales et politiques du Québec, comme ceux de Jacques Grand'Maison, Une société en quête d'éthique (1977) et Un nouveau contrat social (1980), et l'essai de Michel Morin et Claude Bertrand, Le territoire imaginaire de la culture (1979). Les essais plus académiques traitent surtout des formes du pouvoir politique, comme les travaux de Joseph Pestieau et les réflexions d'un groupe de philosophes sur la Confédération dans La Confédération canadienne, qu'en pensent les philosophes? (1979). Maurice Lagueux s'est mérité le prix du Gouverneur général pour son essai sur Le marxisme des années soixante (1982).

La question politique du Québec et la philosophie

La philosophie sociale et politique au Québec a été essentiellement centrée sur les questions politiques et les idées issues de la RÉVOLUTION TRANQUILLE. Elle s'est aussi intéressé aux questions plus universelles des droits de l'homme, de la justice sociale, des droits à l'égalité, aux valeurs culturelles, aux droits des minorités, etc.

Au cours des années 70, 80 et 90, plusieurs colloques et de nombreuses publications ont traité de la question québécoise et de la réforme possible du fédéralisme canadien. Parmi les écrits les plus significatifs en ce sens, il faut mentionner ceux de Fernand Dumont, La vigile du Québec (1971), Genèse de la société québécoise (1993) et Raisons communes (1995), ainsi que certains ouvrages collectifs tels Le Québec et la restructuration du Canada (1991), sous la direction de Guy Laforest, Louis Balthazar et Vincent Lemieux, Libéralismes et nationalismes (1995), sous la direction de Guy Laforest, François Blais et Diane Lamoureux, et Une nation peut-elle se donner la constitution de son choix? (1995), sous la direction de Michel Seymour. Quelques publications collectives sur des sujets connexes sont parues dans des revues telles que Carrefour, Lekton et Philosophiques.

Un certain nombre de publications se situent à la frontière de la philosophie politique et de la pensée politique, tels les travaux de Charles Taylor, Reconciling the Solitudes (1992) et Multiculturalism: Examining the Politics of Recognition (1994), et ceux de Gérard Bergeron, Syndrome québécois et mal canadien (1981). Les travaux de recherche et de publication les plus importants en ce sens se font principalement à l'UNIVERSITÉ LAVAL, à l'UNIVERSITÉ D'OTTAWA, à l'UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL (UQAM) et à l'UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL.

Les questions fondamentales

Les questions plus universelles de la philosophie sociale et politique sont aussi discutées, parmi lesquelles figurent celles du néolibéralisme et des droits fondamentaux, de la justice sociale, de l'égalité, de l'études des auteurs classiques et des périodes de l'histoire, du marxisme, etc. Bien que le marxisme ne représente plus un intérêt majeur pour les philosophes, les travaux de Maurice Lagueux, Le marxisme des années soixante (1982), de Jean-Guy Meunier, Genèse du matérialisme dans les écrits de jeunesse de K. Marx (1981), et de Serge Cantin, La philosophie et le déni du politique (1992), donnent un aperçu de la recherche qui se fait dans ce domaine. Des travaux de recherche importants se font sur le néolibéralisme, la théorie démocratique et la justice sociale. Jean Roy et Guy Lafrance ont produit plusieurs travaux sur les théories de Rawls et sur le néolibéralisme, Jocelyne Couture sur l'Éthique sociale et la justice distributive (1991), Roger Lambert sur La justice vécue et les théories éthiques contemporaines (1994). Tous ces travaux traitent de la justice sociale. Dominique Leydet ainsi qu'un groupe de recherche établi à l'U. d'Ottawa s'intéressent aux problèmes de la théorie démocratique et de la citoyenneté. Ce domaine particulier de recherche est partagé par plusieurs personnes qui travaillent sur la théorie générale de la démocratie et la nécessité de repenser la démocratie en fonction des besoins de nos sociétés contemporaines, ainsi qu'en témoigne le collectif Philosophie politique et démocratie (1996), publié sous la direction de Gilles Labelle et Yvon Thériault.

En ce qui regarde la philosophie du droit, un intérêt particulier pour la question des droits fondamentaux s'est manifesté au cours des dernières années, comme en témoigne l'ouvrage Éthique et droits fondamentaux (1989), publié sous la direction de Guy Lafrance. Le rapport entre la philosophie et le droit a aussi été étudié d'une façon plus générale, comme le montre la publication d'actes de colloques organisés par Josiane Ayoub, Pierre Robert et Bjarne Melkevik dans Carrefour : Philosophie et Droit (1995) et L'amour des lois (1996). Ces colloques sont le résultat des activités de recherche du groupe DIKÈ établi à l'UQAM et associé à la Société canadienne de philosophie politique et de philosophie du droit.

Dans une perspective plus historique, des recherches importantes sont faites sur la philosophie politique des Lumières, en particulier par Josiane Ayoub qui travaille et publie sur l'idéologie et les théories symboliques ainsi que sur les théories de la culture, comme le montre son ouvrage Contre nous de la tyrannie (1989). Sur la pensée sociale et politique des Lumières, Philip Knee a publié le résultat de ses recherches dans Penser l'appartenance, enjeux des Lumières en France (1995) dans la collection « Pensée libre » de l'Association Jean-Jacques-Rousseau.

La philosophie politique représente un domaine d'intérêt majeur pour les philosophes au Canada français. Cet intérêt se manifeste dans les nombreuses publications, les colloques, les associations et les divers groupes de recherche qui se consacrent à ce domaine de la philosophie.

GUY LAFRANCE

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