Droit des biens | l'Encyclopédie Canadienne

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Droit des biens

Au sens juridique, le bien peut référer à un bien réel, comme un terrain ou un bâtiment, ou un bien personnel et meuble. Le droit des biens, qu’il soit sous la Common Law, comme c’est le cas dans la majorité du Canada, ou le Code civil au Québec, légifère tout un éventail des droits et d’obligations de la personne et des gouvernements. Il a été grandement amendé depuis le 19e siècle, notamment en ce qui a trait à l’égalité des femmes.

Qu’est-ce que le droit des bien?

Au sens populaire, le bien constitue une chose matérielle susceptible d’appropriation. Ainsi entendue, la notion de bien favorise la conception des droits de propriété comme droits absolus et non indéfectibles. Au sens juridique, il est toutefois plus exact de considérer le bien sous l’angle de l’ensemble des droits juridiques dont jouissent les individus à l’égard des choses et des obligations qu’autrui leur doit et que l’État garantit et protège. La propriété des biens est soit « privée » (cas des biens appartenant à un ou plusieurs particuliers), soit « domaniale » (cas des biens appartenant à des personnes morales de droit public).

La Common Law distingue aussi les biens « réels » des biens « personnels ». Les biens réels (ou biens immobiliers ou immeubles) comprennent les biens-fonds, les bâtiments s’y trouvant, les droits rattachés aux ressources minières du sol et toutes choses incorporées aux biens-fonds ou aux bâtiments qui peuvent être considérées comme permanentes. Les biens personnels (parfois appelés chatels) sont tous les biens qui ne sont pas des biens réels. La différence entre biens réels et biens personnels provient de l’ancien droit anglais qui considérait qu’un bien était « réel » si les tribunaux pouvaient remettre à son propriétaire dépossédé la chose elle-même au lieu de lui accorder uniquement des dommages-intérêts sous forme d’indemnisation pour sa perte.

Origine et évolution

Le droit des biens de toutes les provinces de common law au pays tire son origine de l’Angleterre. Les régimes juridiques ont été établis à diverses époques, par exemple en Nouvelle-Écosse, y compris ce qui deviendra plus tard le Nouveau-Brunswick en 1758, à l’Île-du-Prince-Édouard en 1763, dans le Haut-Canada [Ontario] en 1792, à Terre-Neuve en 1832, en Colombie-Britannique en 1858 et dans le Nord-Ouest [plus tard les trois provinces des Prairies] en 1870.

La Loi constitutionnelle de 1867 a donné aux provinces le pouvoir de légiférer sur les biens et les droits civils. En conséquence, seules les législatures provinciales sont habilitées à légiférer en matière de droit des biens en général, y compris le droit des successions et le droit des biens matrimoniaux (voir Droit de la famille). Certains genres de biens (p. ex. les lettres de change et les billets à ordre, les brevets, les droits d’auteur et l’intérêt) relèvent toutefois de la compétence fédérale. Le Parlement peut légiférer indirectement sur les droits de propriété dans le cadre de la réglementation du commerce interprovincial ou international au titre de son pouvoir de taxation et de son pouvoir d’expropriation à des fins fédérales. Il n’en demeure pas moins que le droit général des biens relève de la compétence des provinces.

Le droit des biens s’est développé de façon progressive et peu spectaculaire. Vers la fin du XIXe siècle, les provinces et territoires canadiens ont adopté des lois permettant aux femmes mariées de détenir des biens séparément de leurs maris. Auparavant, les biens personnels d’une femme étaient dévolus à son mari au moment du mariage. Le droit de la femme mariée d’accéder à la propriété à titre personnel permettait ainsi aux conjoints de détenir le foyer matrimonial en tenance conjointe, un régime qui se généralisera au XXe siècle.

Évolution de l’égalité

Le XIXe siècle a connu le droit successoral applicable aux biens réels et aux biens personnels. Le droit de primogéniture qui voulait que l’aîné reçoive en héritage la totalité du patrimoine a été abandonné, en cas de succession non testamentaire, au profit du partage des biens-fonds entre la femme et ses enfants, comme le partage s’effectuait dans le cas des biens personnels. En 1910, l’Alberta et la Saskatchewan, suivant en cela la Nouvelle-Zélande, deviennent les premières provinces à édicter des lois limitant le pouvoir de léguer des biens (respectivement, les lois intitulées An Act Respecting the Rights of Married Women in the Estate of their Deceased Husbands et An Act to Amend the Devolution of Estates Act). Peu à peu, toutes les provinces de common law ont édicté des lois sur l’entretien de la famille du testateur ou pour la provision des personnes à charge du testateur, qui habilitaient le juge à invalider tout testament dont son auteur avait insuffisamment pourvu à l’entretien du conjoint ou des autres personnes à sa charge.

En 1975, dans l’affaire Murdoch, la Cour suprême du Canada a statué que la femme d’un éleveur albertain dont le mariage avait échoué n’avait pas droit à une part de la ferme, laquelle était enregistrée au nom du mari, même si elle avait grandement participé au succès de la ferme. L’injustice flagrante du droit, clairement illustrée par cet arrêt, a transformé profondément le droit des biens matrimoniaux dans toutes les provinces de common law au cours de la décennie suivante. Les lois provinciales autorisent maintenant les juges à ordonner la répartition des biens après l’échec du mariage pour faire justice aux conjoints, peu importe celui des deux qui possède les biens.

Les tribunaux ont aussi participé à cet effort et les notions du droit des biens ont été modifiées pour assurer des résultats plus justes. En 1978, dans l’arrêt Rathwell en Saskatchewan, la Cour suprême du Canada, afin d’empêcher que le mari titulaire du titre de propriété s’enrichisse sans cause, a invoqué la notion de fiducie par déduction pour faire obstacle à cet enrichissement par suite de la contribution faite par la femme à l’acquisition des biens. Dans l’arrêt Pettkus c. Becker de 1980, elle a appliqué de nouveau ces principes afin de répartir également les biens entre un homme et une femme non mariés qui avaient vécu ensemble pendant près de 20 ans dès lors que la contribution de la femme avait permis au mari d’acquérir ces biens.

Actes notariés et titres de biens-fonds

Le droit des biens des provinces de common law est généralement semblable d’une province à l’autre, sauf dans le domaine de l’enregistrement des droits fonciers. Les provinces de l’Atlantique et le sud de l’Ontario ont un système d’enregistrement des actes, alors que dans les quatre provinces de l’Ouest et dans le nord de l’Ontario, on trouve plutôt un régime d’enregistrement des titres fonciers, ou le système Torrens. Dans le système d’enregistrement des actes, le propriétaire établit son titre par l’entremise de leurs prédécesseurs en titre. En théorie, on établit alors le titre en remontant jusqu’à la concession primitive accordée par la Couronne. Dans le sud de l’Ontario, il est maintenant nécessaire d’établir une chaîne de titre valable sur une période de 40 ans.

Sous le régime d’enregistrement des titres fonciers ou système Torrens, du nom de sir Robert Richard Torrens, le concepteur du système du sud de l’Australie, l’État enregistre tous les biens-fonds relevant de sa compétence en indiquant les noms des propriétaires et ceux des revendiquants d’un droit afférent.

Changement de catégories de biens

Les catégories de biens reflètent les aspects économiques et sociaux de la société. L’industrialisation a consacré de nouvelles formes de droits de propriété sur les usines et les machines. L’essor des sociétés par actions (les prédécesseurs des sociétés commerciales modernes) a fait apparaître de nouveaux droits de propriété sous forme d’obligations et d’actions. Récemment, la nature des droits de propriété s’est transformée en raison de la tendance des États modernes à prélever des revenus, à se conférer des pouvoirs et à accorder des subventions, des avantages, des services, des contrats, des franchises et des licences. Cette largesse des pouvoirs publics peut fort bien remplacer les formes traditionnelles de richesse, aussi devra-t-on établir de nouvelles règles pour protéger les particuliers contre les mesures arbitraires de l’État. On a soutenu que la définition de la notion de bien ne devrait plus se limiter au droit d’exclure les tiers de l’usage ou de la jouissance d’une chose, mais devrait aussi comprendre le droit de ne pas être exclu de l’usage ou de la jouissance des réalisations de l’ensemble de la société.

Charte des droits et libertés

La Charte canadienne des droits et libertés ne protège pas expressément les droits de propriété en tant que tels, mais ceux-ci sont créés et donc protégés à la fois par la common law et par le droit législatif, bien que la common law et les lois puissent toutes deux être modifiées par voie législative. Toute garantie constitutionnelle devrait reconnaître que la propriété est une institution sociale qui doit être constamment réformée.

Comme l’a soutenu un grand juriste, un droit de propriété absolu mènerait à la dissolution de la société. L’importance de cet avertissement est peut-être le mieux illustrée par la situation de la personne qui achète un fusil. Les droits de propriété qu’elle acquiert à l’égard du fusil ne peuvent s’étendre à la permission d’utiliser le fusil n’importe comment. De même, le propriétaire foncier ne devrait pas avoir le droit de polluer l’air et l’eau, d’abord parce que cela diminuerait la jouissance et la valeur des biens des propriétaires voisins, ensuite en raison de l’obligation morale de chaque génération de léguer aux générations futures une planète habitable. On pourrait donc modifier les droits de propriété en vue de contrecarrer de nouvelles menaces à l’environnement. Il n’existe aucune harmonie préétablie entre les droits privés et le bien-être public. La société devra toujours faire face au dilemme suivant : comment combiner l’utilisation rationnelle des ressources à une réglementation efficace dans l’intérêt de tous?

Québec

Dans son sens le plus large, le droit québécois des biens comprend les principes régissant les modes d’acquisition et d’aliénation de tous genres de biens, tous les mécanismes et les opérations qui caractérisent la transmission des biens. Dans un sens plus étroit, ce droit s’intéresse à la définition de la notion de bien. En fait, par bien on entend toute chose qui a une valeur pécuniaire. Cette définition engloberait tout droit quantifiable monétairement et non seulement des droits sur les choses (« droits réels ») ou, en fait, ces choses elles-mêmes. Traditionnellement, le droit des biens se limite cependant au domaine des droits réels.

Au Québec, le droit des biens est fermement ancré dans la tradition du droit civil français. Il découle donc du droit romain. La common law anglo-américaine a très peu influencé ses institutions (sauf pour ce qui est de l’institution de la fiducie et de certaines sûretés). Le droit québécois, comme le droit français, a toujours attaché la plus grande importance aux fonds de terre et aux droits fonciers comme objets de richesse. En effet, le régime foncier féodal (le régime seigneurial) n’a été aboli au Québec qu’en 1854, une réforme qu’il fallait nécessairement instituer avant la codification du droit civil lui-même dans sa forme moderne (1866). Qu’elles aient autrefois été des seigneuries sous le régime français ou qu’elles aient été concédées par la Couronne (depuis 1763), aujourd’hui, les terres au Québec appartiennent dans tous les cas aux particuliers au titre d’une tenure « franche », c’est-à-dire qu’elles sont détenues de façon indépendante de la Couronne et de façon aussi absolue que possible.

Le Code civil du Québec énonce les principes fondamentaux du droit des biens applicables aux particuliers. Depuis 1866, de nombreux textes législatifs connexes sont venus s’y greffer pour réglementer de nouvelles formes de biens (telle l’énergie hydraulique) et contrôler l’usage des biens en fonction des préoccupations contemporaines (tels les risques environnementaux et le patrimoine culturel). Néanmoins, le Code reconnaît deux principes fondamentaux du droit des biens : le droit de propriété privée (la propriété privée des fonds de terre et des objets) et, comme corollaire, la libre circulation de ces biens. Il réglemente lui-même la propriété privée en ce sens, alors que les lois réglementent les biens de la Couronne ou les biens domaniaux et municipaux auxquels s’appliquent des règles spéciales.

Plus techniquement, en droit civil québécois les types de biens sont soit des « immeubles » (les biens-fonds et leurs dépendances, et tous les droits fonciers), soit des « meubles » (les choses matérielles qui peuvent être déplacées ainsi que les créances monétaires et l’exécution des contrats et des obligations en général). Cette distinction forme le fil d’Ariane qui parcourt le droit québécois et constitue le fondement de plusieurs des formalités juridiques qui se rapportent à divers types de biens. Par exemple, tous les droits fonciers sont susceptibles d’inscription officielle au système des titres fonciers, contrairement aux droits portant sur les biens meubles.

Les droits portant sur les choses (« les droits réels » au sens technique) peuvent se diviser en trois grandes catégories : ainsi, on peut avoir un droit de propriété, c’est-à-dire un droit sur son propre bien; un droit sur la chose d’autrui, c’est-à-dire un droit moindre que la propriété, mais néanmoins doté de certaines des prérogatives afférentes à la propriété; ou une créance, c’est-à-dire le droit autorisant un créancier à saisir et à vendre les biens de son débiteur pour régler une dette impayée.

La propriété, c’est-à-dire le droit réel dans sa plénitude, est le droit d’utiliser des objets, d’en jouir et de les aliéner de la façon la plus absolue, à condition que l’usage qui en est fait soit conforme à la loi ou aux règlements. La propriété est un droit « exclusif » ou individuel et, comme notion, elle revêt une forme unitaire. Ainsi, le droit décourage deux ou plusieurs personnes d’être conjointement propriétaires du même bien (sous réserve de certaines exceptions notables telles que les condominiums et certains aspects des relations propriétales entre époux). Le droit civil ne reconnaît pas lui non plus la distinction, que fait la common law, entre la propriété en common law et la propriété en equity, par exemple les biens partagés entre un fiduciaire et le bénéficiaire de la fiducie. La propriété étant considérée comme exclusive et individuelle, le principe juridique général veut que les droits moindres que la propriété qui sont dévolus à des tiers soient normalement limités dans le temps, de sorte à préserver toute l’intégrité des prérogatives qui découlent de la propriété proprement dite.

Les droits de la seconde catégorie (les droits sur les choses dont une autre personne est propriétaire) sont dotés de certaines prérogatives de la propriété, mais sont moins importants que le droit de propriété. L’« usufruit » est le droit à la possession, à l’usage et à la jouissance d’une chose (meuble ou immeuble) appartenant à autrui, à charge de la remettre (ou parfois de remettre son équivalent en argent) à la fin de la période de jouissance. Cette notion ou ses variantes se rencontre souvent dans la planification successorale.

L’« emphytéose » est le droit, au titre d’un bail foncier de longue durée d’un bien appartenant à autrui, en vertu duquel le preneur ou l’emphytéote s’engage à apporter des améliorations en contrepartie du droit de jouir du bien-fonds comme propriétaire pour la période précisée. Cette institution sert principalement dans le cadre de grands projets d’aménagement urbain. Les « servitudes réelles » s’entendent de diverses sortes de droits liant deux biens-fonds en vertu desquels un bien-fonds (ou un propriétaire foncier) est assujetti à des obligations ou à des services déterminés en faveur de l’autre, tels les droits de vue ou de passage ou l’obligation de ne pas construire un mur au-delà d’une certaine hauteur.

Dans la troisième catégorie de droits, un créancier peut détenir un droit sur le bien de son débiteur lui permettant de saisir ce bien et de le vendre, sous l’autorité de la justice, si le débiteur est incapable de payer sa dette. Le bien saisissable par le créancier peut précédemment avoir été cédé au créancier ou être resté en la possession du débiteur. Au Québec, on appelle ces diverses sûretés ou bien des privilèges, c’est-à-dire des droits d’origine législative grevant les biens du débiteur destinés à garantir une liste variée de créances des créanciers, ou bien une « hypothèque », c’est-à-dire le droit du créancier de saisir et de vendre le bien immeuble (le bien-fonds, les bâtiments) de son débiteur qui a été constitué par voie contractuelle en garantie de la dette. Les provinces et les territoires de common law ont au Canada une institution semblable, également appelée hypothèque.

En droit québécois, il n’est pas certain dans quelle mesure un particulier peut, en vertu du principe de la liberté contractuelle, créer des droits réels ou des droits de propriété, autres que ceux déjà inscrits dans le Code civil ou dans des lois connexes. Les droits de propriété les plus communément invoqués sont maintenant prévus dans ces sources.

Menace de fraude

Les années récentes ont vu pulluler les fraudes de titres d’hypothèque, pour lesquelles les criminels forgent de toute pièce ou font passer des biens d’hypothèques comme étant légalement les leurs. Cette technique apparaît particulièrement en Ontario, tant et si bien que le gouvernement provincial est forcé de modifier la loi pour protéger des centaines de propriétaires innocents susceptibles de perdre leurs biens par fraude.

En 2005, la Cour d’appel de l’Ontario juge, dans le cas Household Realty Corp. c. Liu que l’hypothèque ou le transfert frauduleux sont valides dès lors qu’ils sont enregistrés. Par addition, l’hypothèque forgée est valide parce que les prêteurs n’ont pas participé à la fraude. Le titre d’hypothèque est donc considéré comme impossible à infirmer ou « immédiatement irrévocable ». Dans un grand nombre de cas en Ontario, des propriétaires innocents ont perdu leurs titres ou ont été forcés de souscrire aux demandes d’une hypothèque qu’ils n’ont jamais désirée. Leur seul recours consistait à demander compensation à la Caisse d’assurance des droits immobiliers prévue dans la loi ontarienne.

Les assurances résidentielles ontariennes couvrent suffisamment les propriétaires contre ce genre de fraudes. Les assureurs doivent toutefois assumer les coûts de ces demandes, frais qui sont rarement allégés par la Caisse d’assurance des droits immobiliers.

La province crée donc la Loi de 2006 du ministère des Services gouvernementaux sur la modernisation des services et de la protection du consommateur, qui amende les articles concernant la fraude. Ces amendements renversent la position prise par la Cour dans les cas précédents et rend clairement invalide, ou immédiatement révocable le transfert ou l’opération frauduleuse. Le transfert entre un intérim et un acheteur innocent reste valide. Ce faisant, les acheteurs sont chargés de vérifier avec soin les titres de propriété convoités.

Dans une autre action posée pour protéger les propriétaires de titres, la Cour d’appel de l’Ontario change son verdict dans l’affaire Lawrence c. Wright et décide en 2007 que la preuve présentée dans l’affaire de Household rend invalide l’impossibilité d’annuler des hypothèques frauduleuses.

Finalement, le Barreau du Haut-Canada amende le Code de déontologie des avocats ontariens. Dans les cas où l’avocat représente à la fois l’acheteur et le prêteur, il ou elle doit fournir par écrit l’entièreté des informations pertinentes relatives à la transaction aux deux partis. Le Barreau suggère que les avocats gardent l’œil ouvert à l’escalade récente des prix ou les transferts récents, même si leur client ne leur en fait pas la demande expresse.