Architecture carcérale | l'Encyclopédie Canadienne

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Architecture carcérale

L'architecture des prisons reflète les changements d'attitude de la société envers le crime et sa répression.
 Plan d
Plan d'une prison-forteresse caractéristique du 19e siècle (avec la permission de Dana Johnson).
Prison pour femmes
Prison pour femmes. Vue de l'est du pavillon cellulaire principal.
Pénitencier de Kingston, vers 1920
Tour nord-ouest du pénitencier de Kingston, vers 1920 (avec la permission de Bibliothèque et Archives Canada/PA-48106).
Pénitencier de Kingston, 1895
Pénitencier de Kingston. Plan de plongée de la prison, 1895 (avec la permission des Archives de l'Université Queen's, plans d'architecte de Kingston, no. 29)
Prison Don
Prison Don, à Toronto (avec la permission des Archives publiques de l'Ontario/5.15356).
Plan de la prison de Whitby
Plan de la prison de comté de l'Ontario, à Whitby, construite en 1855. Ce plan montre l'architecture de classification (avec la permission de l'auteur).
Pavillon cellulaire principal, Kingston
Pavillon cellulaire principal, pénitencier de Kingston (avec la permission des Archives de l'Université Queen's, plans d'architecte de Kingston, no. 29).

Architecture carcérale

L'architecture des prisons reflète les changements d'attitude de la société envers le crime et sa répression. Les prisons sont passées de simples lieux d'incarcération (où la protection du public est d'une importance primordiale) à des instruments de répression (où la privation de liberté est la sanction pour avoir enfreint la loi) à des lieux de réforme (où l’on tente de façonner le coupable selon les normes de la société).

Centres de détention de courte durée

Durant le régime français et les premières décennies sous autorité britannique, l'emprisonnement est un moyen de détenir les débiteurs pour s'assurer du paiement de leurs dettes, les accusés avant leur procès ou les coupables avant l'exécution de leur sentence. La cour, suivant les pratiques anglaises et françaises, impose des sentences, et en particulier des amendes, des mutilations corporelles telles que la flagellation ou le marquage au fer rouge, et la mort. Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, le transport des prisonniers vers l'une des Treize colonies pénitentiaires et, après l'indépendance des États-Unis, vers l'Australie, devient un châtiment de plus en plus populaire parce qu'il éloigne le coupable de la société locale. La durée de la sentence et la destination reflètent la sévérité avec laquelle la cour considère l'infraction.

Avant 1800, les prisons dans les colonies d'Amérique du Nord, comme celles de la métropole, sont utilisées pour l'emprisonnement de courte durée. Elles sont souvent aménagées dans des bâtiments existants, par exemple des installations militaires, qui offrent des niveaux appropriés de sécurité. Ces prisons d'avant 1800 sont habituellement constituées de grandes pièces à aire ouverte où les détenus vivent dans la promiscuité, sans surveillance et dans des conditions insalubres.

Les cellules d'emprisonnement, dont le but premier est la détention individuelle de prisonniers en lieu sûr, ont été conçues au XIXe siècle principalement pour les municipalités. On en retrouve un exemple à Trois-Rivières, au Québec (1822), LIEU HISTORIQUE national dont le style architectural classique palladien est modifié par la présence de barreaux de fer sur les fenêtres annonçant la fonction du bâtiment.

Pénitenciers

En 1779, après l'adoption de la Penitentiary Act d'Angleterre, qui fait de l'emprisonnement une alternative aux sentences traditionnelles, un nouveau type de prison fait son apparition : le pénitencier. Les bâtiments sont conçus pour être supervisés par un personnel rémunéré. Cette institution fournit des programmes de travail qui permettent l'apprentissage d'habitudes de travail et contribuent à l'entretien de l'institution. En outre, les détenus sont placés selon le sexe, l'âge et le niveau de criminalité et suivant le principe d'isolement cellulaire individuel (un détenu par cellule). On s'attend à ce que les pénitenciers exercent un effet dissuasif contre le crime.

À la fin du XVIIIe siècle, sous le leadership du shérif en chef du Bedfordshire, John Howard, les réformateurs anglais font la promotion des principes qui ont influencé l'architecture des prisons britanniques pendant 150 ans et qui commenceront à marquer l'aménagement canadien au début du XIXe siècle. Les plans de François Baillairgé (voir FAMILLE BAILLAIRGÉ) pour la prison de Québec (inaugurée en 1809) sont dominés par des espaces de vie commune, mais prévoient aussi quelques cellules individuelles et une séparation selon le sexe et le genre de crime commis. Celle de Montréal, une prison de ville conçue en 1826 par George Blaiklock et construite en 1832-1836 par l'architecte JOHN WELLS selon des lignes plus modernes, est une structure de transition. Elle comprend à la fois des cellules individuelles et des cellules doubles, ainsi que six salles communes de jour, des chapelles et des salles à manger. La seule forme de classification des détenus est celle de la séparation hommes - femmes.

Les effets des réformes américaines sur l'aménagement des prisons

Inspirés par Howard, les réformateurs de prisons cherchent à ajouter au châtiment et à l'effet dissuasif la réforme des détenus comme principe d'aménagement des prisons. Convaincus que la criminalité provient d'une carence en valeurs morales et en structure sociale dans la vie d'un individu, les tenants de la réforme des prisons prétendent qu'un régime de silence, d'isolement, d'enseignement religieux et de travaux forcés peut contraindre le détenu à faire un examen de conscience, à comprendre le coût de la criminalité et l'importance des valeurs socialement approuvées et des habitudes de travail.

Au cours des premières décennies du XIXe siècle, des commentateurs sociaux américains de New York et de Pennsylvanie combinent deux formules architecturales pour appuyer les principes de la réforme. Le principe Auburn propose des pavillons cellulaires qui consistent en des rangées de très petites cellules disposées dos à dos au centre d'un bâtiment et en de grands ateliers séparés où les détenus travaillent ensemble. Le système de la Pennsylvanie préconise des pavillons cellulaires disposés en étoile à partir d'une station de surveillance principale. Chaque pavillon est formé d'un corridor central encadré de rangées de cellules relativement grandes où les détenus vivent et travaillent pendant toute la durée de leur sentence. L'efficacité du principe Auburn dépend d'un régime de punitions brutales pour les manquements aux règlements, en particulier à celui du silence, et par conséquent exige un effectif nombreux. Les programmes de travail collectif permettent un large éventail d'activités industrielles potentiellement rentables. Les méthodes et la forme des prisons du modèle de Pennsylvanie nécessitent moins de personnel, mais limitent beaucoup la gamme des programmes de travail.

Le pénitencier de Kingston et le modèle Auburn

La conviction que l'aménagement des prisons peut réformer les détenus influence la planification et l'aménagement de l'institution provinciale de Kingston, qui accueille ses premiers détenus le 1er juin 1835. Conçu par William Powers, ancien directeur adjoint de la prison de l'État de New York à Auburn, et érigé sous la direction de John Mills, l'entrepreneur en bâtiments de l'institution, le pénitencier de Kingston illustre de façon particulièrement fidèle la philosophie correctionnelle d'Auburn. Sa capacité prévue, 880 prisonniers, le classe parmi les plus grandes institutions du monde, la plus imposante étant celle de Millbank en Angleterre (1 000 détenus). Il est constitué d'un imposant portique en forme d'arc de triomphe, qui mène d'abord à un immense pavillon principal en forme de croix (la plus grande structure non militaire de l'époque au Canada), puis à un atelier tout aussi imposant et encore une fois en forme de croix, le tout aménagé sur un terrain de dix acres fermé par un mur. Le pavillon cellulaire abrite les installations administratives (bureaux, salle du personnel, bibliothèque et hébergement pour le directeur et le directeur adjoint) dans l'aile de la façade, tandis que les détenus sont logés dans les trois autres ailes. Une impressionnante rotonde à coupole relie les quatre pavillons.

Quand ils ne travaillent pas, les détenus de Kingston sont confinés à de minuscules cellules de 2 m sur 0,6 m (6 pi x 2 pi), séparées les unes des autres par des murs de deux pieds d'épaisseur. Ces derniers empêchent efficacement les communications entre détenus, lesquelles risqueraient d'accentuer la contamination morale. Fermées par d'épaisses portes de bois percées de petites ouvertures à barreaux pour l'aération et la surveillance, les cellules sont disposées au milieu du pavillon cellulaire en longues rangées superposées de cinq cellules de haut. Le plan est conçu pour permettre au personnel une surveillance continue de chaque cellule, de l'avant comme de l'arrière. L'enseignement religieux, qui se fait à l'origine dans la cellule fermée du détenu, et le régime de silence complet font en sorte que l'esprit du prisonnier soit concentré sur les conséquences de ses méfaits. Les programmes de travail, aussi conçus pour réformer le détenu et soutenir financièrement l'institution, ont lieu dans de grands ateliers à aire ouverte, faciles à superviser. Le temps des détenus est « vendu » à des entrepreneurs qui transforment les ateliers de la prison en manufactures de meubles, de produits en métal ou en cuir, et de chaussures. Le travail vise à inculquer des habitudes de vie et des attitudes acceptables en société. La combinaison du travail, de l'enseignement moral soutenu et d'une discipline extrêmement dure garantirait aux criminels toutes les stimulations possibles pour se réformer.

Remise en question de l'efficacité du modèle Auburn

Le grand nombre de récidivistes et une enquête menée en 1846 sur le fonctionnement de la prison de Kingston laissent supposer que le système Auburn serait inefficace à réformer les détenus. L'enquête soulève également un problème de taille : l'emprisonnement de délinquants juvéniles, parfois âgés d'à peine dix ans, dans des institutions conçues pour les adultes. Pour tenter de résoudre le problème, on commence par construire une école de réforme, située à l'origine dans le fort de l'Île-aux-Noix, au Québec, inaugurée en 1857. Cette institution inspire par la suite l'ouverture d'une série de maisons correctionnelles pour les jeunes délinquants, dont des écoles ouvrières que le gouvernement du Québec autorise dès 1869. Devoir répondre aux besoins spécifiques des jeunes délinquants amène les autorités à abandonner leur dépendance traditionnelle envers le travail et l'enfermement cellulaire, et à développer un système qui recoupe l'aménagement des écoles publiques et des orphelinats de l'époque.

Malgré la remise en question de son efficacité, le modèle Auburn utilisé au pénitencier de Kingston reste la norme jusque dans les années 1930. La disposition de ses pavillons cellulaires, des cellules agencées en longues rangées superposées au milieu d'ailes disposées derrière un pavillon administratif, le tout entouré d'imposants murs de pierre, est reproduite pour les bâtiments d'incarcération de tous niveaux. D'abord développé essentiellement pour les institutions provinciales comme celle de Kingston ou, à plus petite échelle, celle d'Halifax, le modèle Auburn est peu à peu adopté dans la conception des prisons municipales. La prison bâtie en 1839 par la Ville de Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick, est pionnière à cet égard. Elle utilise la disposition Auburn pour les cellules et les corridors d'inspection en un seul pavillon cellulaire, mais ne fournit ni enseignement religieux ni programmes de travail.

Vers les années 1850 et 1860, l'agencement de Kingston - bâtiment administratif central avec cellules de style Auburn dans les ailes - est utilisé dans la conception de prisons municipales comme celles de St. John's (1859), de Toronto (la Don Jail, 1858-1864, conçue par William THOMAS), d'Ottawa (1860-1862, conçue par Horsey et Sheard) et de Québec (1862-1865, conçue par Charles Baillairgé). Lorsque les autorités provinciales ordonnent dans les années 1850 et 1860 la construction de nouvelles prisons dans des capitales de comtés partout dans le Haut et le Bas-Canada, elles bâtissent des versions simplifiées du modèle de Kingston : la façade abrite les pavillons administratifs (parfois reliés aux tribunaux) qui conduisent à une ou plusieurs ailes de pavillons cellulaires constitués de rangées de cellules disposées dos à dos au centre du bâtiment.

Ces nouvelles prisons, conçues pour l'incarcération de courte durée (détention avant jugement ou pour des peines de moins de deux ans), font souvent appel à des aménagements internes plus complexes que ceux employés dans les institutions destinées aux peines de longue durée. Les institutions construites à l'usage des municipalités au cours de la première moitié du XIXe siècle sont critiquées comme étant des écoles du crime. Puisque les détenus sont logés ensemble, font l'objet d'une surveillance limitée et sont désœuvrés, les criminels endurcis jouent les leaders et passent leur temps à former de jeunes détenus à l'art de commettre des délits. Les nouvelles prisons, au contraire, séparent les détenus selon leur sexe, leur âge et le niveau de leur délit. Le plan de la prison de comté de Whitby en Ontario, bâtie en 1852-1853, illustre les solutions choisies par les architectes de la firme torontoise Cumberland and Storm. Étages, portes, corridors et cellules individuelles séparent les hommes des femmes, les adultes des enfants, les prostitués des autres détenus et les délinquants mineurs des grands criminels.

Juridictions fédérale et provinciales

En vertu de l’Acte de l'Amérique du Nord britannique (1867), les affaires correctionnelles relèvent de la compétence fédérale. Dès lors, les sentences de deux ans et plus sont purgées dans des institutions financées par le gouvernement central, alors que les prisons provinciales hébergent des détenus condamnés à des sentences de courte durée. De plus, les installations doivent être agrandies pour se conformer à la législation. Plusieurs provinces construisent de nouvelles prisons. L'Ontario, par exemple, bâtit une nouvelle institution à Toronto en 1870-1872 (Kivas Tully, architecte) pour remplacer le pénitencier de Kingston, devenu propriété fédérale. De 1872 à 1878, le gouvernement central commence aussi à ouvrir de nouvelles institutions pour détenus condamnés à de longues peines, à Saint-Vincent-de-Paul, au Québec (inaugurée en 1873), à Stoney Mountain, au Manitoba (1877), à New Westminster, en Colombie-Britannique (1878) et à Dorchester, au Nouveau-Brunswick (1880). Commanditées par les gouvernements fédéral ou provinciaux, ces nouvelles institutions utilisent aussi un aménagement de style Auburn, calqué sur celui du pénitencier de Kingston.

Les avantages de l'introspection silencieuse étant remis en question, les programmes de travail tiennent une place plus importante dans la réforme des prisons. Les petits centres proposent habituellement des travaux assez simples, quoique l'institution de Toronto comprenne à l'origine une usine d'assemblage de wagons, laquelle se révélera un échec financier. L'utilisation de détenus sans formation adéquate nuit à l'efficacité, et les usines responsables enregistrent rarement des profits substantiels, bon nombre étant des entreprises éphémères. Tous les ateliers en milieu carcéral se frappent à l'opposition des manufacturiers et des groupes de travailleurs. On pense que l'utilisation de main-d’œuvre bon marché va à l'encontre du libre marché. En 1886, le gouvernement fédéral met fin à l'activité industrielle dans les prisons, une décision qui paralyse les efforts de formation des détenus pour faciliter leur transition éventuelle vers le marché du travail. Par la suite, les programmes de travail dans les institutions fédérales et provinciales se limitent essentiellement aux cuisines, aux activités agricoles, à l'entretien et à la réparation de bâtiment. Ces travaux soutiennent le fonctionnement de la prison et offrent une formation minimale. La sévérité de la discipline violente préconisée à Auburn est peu à peu atténuée. En dehors du système fédéral, la discipline est rarement aussi stricte qu'à Kingston, et le silence, règle en vigueur dans le système fédéral jusqu'en 1932, est rarement imposé.

Les solutions de remplacement au modèle Auburn

Quelques solutions de remplacement au modèle Auburn voient le jour au début du XXe siècle, lorsque certains gouvernements municipaux et provinciaux cherchent une autre approche architecturale de l’aménagement pénitentiaire. Lorsque la Ville de Montréal décide de remplacer sa prison, qui date des années 1820 et est tout à fait désuète, un complexe moderne, technologiquement avancé, est construit dans la banlieue de Bordeaux (1908-1913, conçu par JEAN-OMER MARCHAND et R. A. Brassard). Il est constitué d'un centre d'activités dodécagonale (12 côtés) à coupole, duquel s'étendent six ailes de pavillons cellulaires contenant de grandes cellules donnant sur l'extérieur et disposées le long des murs extérieurs. Alors que la majorité des anciens centres de détention de courte durée offrent des programmes de travail très élémentaires sous prétexte que seules les institutions d'incarcération de longue durée peuvent modifier les habitudes travail et offrir une formation professionnelle satisfaisante, la prison de Bordeaux comporte des ateliers de pointe. Ceux-ci sont symboliquement installés au cœur de la prison, devant le pavillon cellulaire et de chaque côté du bâtiment administratif. Tout le complexe est aménagé à l'intérieur d'un composite à cinq côtés entouré d'un mur double.

Le centre de réforme de Guelph en Ontario (1909-1910, conçu par JOHN LYLE) est destiné à répondre aux besoins des jeunes délinquants (30 ans et moins) qui, selon les autorités pénitentiaires, sont les plus susceptibles de se réhabiliter. Une conception différente, quoique tout aussi novatrice, y est adoptée. Les installations du personnel et des détenus sont concentrées dans le devant d'un bâtiment, en face de l'administration et relié par de longs corridors aux ailes des logements des détenus. Le complexe prend donc la forme d’un E.

Le centre de réforme de Guelph, comporte des cellules individuelles, des dortoirs, des cuisines et des salles à manger pour les détenus. Sur le site de 830 hectares, des aires sont aménagées par des spécialistes pour offrir un éventail remarquable de programmes professionnels, comprenant des installations complètes pour l'agriculture, des ateliers pour la construction, le travail du métal, du bois et de l'émail, une pisciculture, une carrière et une usine de souliers et de tissu. Le complexe, desservi par son propre chemin de fer et sa propre gare, est raccordé à la ligne principale du CP et comprend également une chapelle, une salle de bains publics, une salle de récréation et une école. Pour mieux se dissocier des anciens styles d'aménagement, le complexe n'est pas entouré de murs.

Les institutions provinciales de Guelph et de Bordeaux diffèrent du système Auburn à la fois par leur fonctionnement et par leur aménagement. Pour sa part, le ministère fédéral de la Justice n'effectue de virage que dans les années 1930. Il planifie alors les premiers pénitenciers à sécurité moyenne pour jeunes délinquants à Collins Bay, en Ontario, et à Saint-Vincent-de-Paul, au Québec (celui-ci ne sera jamais construit). Comme le centre de réforme de Guelph, ces institutions séparent les détenus de moins de 30 ans, qu'on juge récupérables, de la majorité des prisonniers qui sont des récidivistes. Les deux institutions utilisent le modèle du « poteau téléphonique », un bâtiment administratif principal relié à l'arrière par un long corridor menant à des ailes qui abritent les installations spécialisées des détenus et du personnel. Les détenus sont hébergés dans un mélange de cellules ordinaires, dont l'intérieur suit le modèle Auburn, sans contact avec les murs extérieurs du pavillon cellulaire, et de cellules donnant sur l'extérieur et dotées de fenêtres à barreaux. Contrairement à Guelph, les bâtiments principaux de l'institution de Collin's Bay sont aménagés dans une enceinte imprenable.

Nécessité d'un nouveau modèle pour les prisons canadiennes

Malgré ces tentatives de changements, on persiste à utiliser le modèle Auburn pour l'aménagement des institutions fédérales et provinciales. Un insigne exemple de l'emprise que ce modèle exerce sur la manière de concevoir les centres carcéraux est la prison pour femmes de Kingston, pour laquelle les architectes du ministère de la Justice produisent des plans qui prévoient un aménagement en T très semblable à celui des prisons pour hommes des années 1870. Les niveaux exceptionnels de sécurité comprennent des murs extérieurs d'une épaisseur incroyable, des cellules donnant sur l'intérieur et d'épaisses cloisons servant à contenir de petits groupes de détenues dont les dossiers criminels ne justifient pourtant pas, selon une commission royale de 1936 sur le système pénitentiaire, un système aussi rigide.

De 1914 à 1960, les deux guerres mondiales, la grande dépression et la reconstruction reportent sans cesse des réformes de conception attendues depuis longtemps. Sauf exception, tous les ordres de gouvernement continuent à utiliser des installations désuètes, souvent construites selon des philosophies pénitentiaires depuis longtemps discréditées. En revanche, au cours des années 1960 souffle un grand vent de réforme sur le système carcéral canadien. En 1960, un comité ministériel du gouvernement fédéral, présidé par Allen J. MacLeod, publie un rapport pionnier sur la planification pénitentiaire en vue de transformer le système. En 1977, un comité parlementaire présidé par Mark MacGuigan étoffe et met à jour le rapport MacLeod. Sous l'influence de tendances internationales représentées par des organisations telles que les Nations Unies, et instruit par des disciplines universitaires telles que la psychologie, la sociologie et la criminologie, le ministère propose d'éliminer progressivement presque toutes les prisons existantes, soit les bâtiments du type de Kingston datant d'avant 1914. Ceux-ci seraient remplacés par de nouveaux centres de détention reflétant les principes pénitentiaires contemporains. L'ancien modèle Auburn devra faire place à un système à modèles multiples avec une gamme de solutions institutionnelles comprenant des centres d'éducation surveillée, des maisons de transition, des centres de détention pour jeunes et des camps de travail isolés.

Ce qui caractérise les complexes pénitentiaires contemporains, c'est la diversité de leurs aménagements, chacun étant conçu selon les exigences particulières des programmes. Les niveaux de sécurité varient et on se sert souvent de moyens électroniques. On cherche à réduire la taille des établissements pénitentiaires, d'une capacité d'abord établie entre 500 et 1 500 prisonniers, à environ 200. Les conditions et le milieu de vie des détenus ressemblent davantage à ceux de l'extérieur. On y retrouve souvent des installations modernes de formation professionnelle et d'enseignement et des programmes de réinsertion sociale en vue de la remise en liberté.

L'insistance actuelle du système pénitentiaire sur la réinsertion sociale (préparation du détenu à un retour sécuritaire dans la collectivité) est visible dans le concept de gestion des unités, dans lesquelles divers types d'employés se voient confier un groupe de détenus qu'ils tenteront, par la collaboration, de réhabiliter en vue d'une réintégration dans la société. Le remplacement du modèle des pavillons cellulaires linéaires par des grappes d'unités cellulaires (chambres à coucher disposées autour d'une salle commune) tente de répondre à la nouvelle philosophie pénitentiaire.

L'approche des grappes d'unités cellulaires a été appliquée à la création de cinq nouveaux centres pour femmes destinés à remplacer la prison pour femmes de Kingston, qui datait de 1934 et a fermé ses portes en 2000. Des logements disposés comme des maisons individuelles dans un village tentent de reproduire la vie à l'extérieur. Selon ce modèle, la prison devient une communauté à plus petite échelle où les détenus et le personnel vivent et travaillent en collaboration, en situation presque familiale. Installés au milieu de petites villes, ces établissements sont conçus pour faire partie intégrante du voisinage. La surveillance électronique y est remplacée par la supervision traditionnelle du personnel et par des murs. Un des cinq centres de femmes fonctionne comme un pavillon de ressourcement, sa conception ayant profité d'une contribution AUTOCHTONE.

Les unités spéciales de détention (USD), conçues pour loger les plus dangereux détenus du Canada pendant une courte durée, se trouvent à l'autre extrémité de l'échelle de sécurité. Après des expériences effectuées à la fin des années 1970 à Millhaven (Ontario) et à Laval (Québec), le gouvernement fédéral construit ce genre d'établissement à Laval et à Prince Albert (Saskatchewan). Tous deux sont inaugurés au milieu des années 1980. Ces unités à haute surveillance et à faible population exigent, pour des raisons de sécurité, un minimum de contacts directs entre le personnel et les détenus, et dépendent beaucoup de la technologie de surveillance. En 2013, on compte une USD au Canada (située à Sainte-Anne-des-Plaines, au Québec) à laquelle s’ajoutent diverses autres institutions à niveaux multiples et à sécurité maximale.

Service correctionnel du Canada et peuples autochtones

Aucune source autochtone n’évoque la notion d’incarcération de longue durée comme type de peine appliquée dans ces communautés. Les individus qui ne respecteraient pas les normes et traditions des Premières Nations s’exposent à des sanctions telles que l’exil temporaire ou définitif ou bien la mort. Aujourd’hui, Service correctionnel Canada s’adapte aux besoins des communautés dans de nombreux centres de détentions, parmi lesquels des établissements correctionnels, des pavillons de ressourcement pour détenus autochtones, des résidences communautaires et des bureaux de libération conditionnelle. Ce sont tous les types d’établissements correctionnels canadiens qui sont représentés à travers ces aménagements.

L'avenir des prisons

La mise en œuvre des recommandations du rapport MacLeod a littéralement transformé le système pénitentiaire fédéral : de huit établissements en 1958, dont six précédant la PREMIÈRE GUERRE MONDIALE, le système est passé à 56 en 1978.

Depuis 1960, la majorité des prisons provinciales et municipales, datant d'avant la Première Guerre mondiale, ont été remplacées par de nouveaux établissements. Tout comme leurs équivalents fédéraux, les rangées de cellules de style Auburn ont été abandonnées au profit de logements moins institutionnels. On peut constater ce changement de philosophie si l’on compare le centre correctionnel municipal de Toronto de 1977à la Don Jail de 1864, conçue par William Thomas et située un peu plus à l’ouest. Les bâtiments reflètent deux regards sociaux différents sur la raison d'être des prisons. Ces bâtiments reflètent les conceptions de leurs époques respectives, qui considèrent les prisons comme étant un lieu de réhabilitation ou de peine.

La population carcérale a considérablement augmenté au Canada au cours des 40 dernières années, passant de 90 pour 100 000 habitants en 1972 à 142 pour 100 000 en 2012. Cette augmentation découle en grande partie de l’application de peines obligatoires pour les crimes liés aux armes à feu et à la drogue. Elle a pour conséquence inévitable une surpopulation dans les prisons canadiennes et la nécessité d’en construire de nouvelles.

La nouvelle génération de prison, telle l’Edmonton Remand Center (ouvert en 2013) est à la pointe de la technologie. La sécurité, auparavant garantie par des murs et un personnel nombreux, y est désormais assurée par les nouvelles technologies en bâtiment et en électronique (surveillance audio et vidéo, systèmes d'ouverture automatique, acier trempé et autres matériaux de très grande solidité).

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